Robbe-Grillet: l écrivain et l engagement
Publié le 14/09/2015
Extrait du document
Le dogmatisme n’est rien d’autre que le discours serein de la vérité (sûre de soi-même, pleine et sans partage). Le penseur traditionnel était homme de vérité mais, naguère encore, il pouvait croire de bonne foi que le règne du vrai avançait de pair — même but, mêmes combats, mêmes ennemis — avec tout progrès de la liberté humaine... Belle utopie, belle tromperie, qui éclaira l’aube euphorique de notre société bourgeoise, comme un siècle plus tard celle du socialisme scientifique naissant. Nous savons, hélas, aujourd’hui, où mène cette science-là. La vérité, en Fin de compte, n’a jamais servi qu’à l’oppression. Trop d’espoirs, de déboires misérables et de paradis sanglants nous apprennent en tout cas à nous méfier d’elle.
« Il n’est pas raisonnable, dès lors, de prétendre dans nos romans servir une cause politique, même une cause qui nous paraît juste, même si dans notre vie politique nous militons pour son triomphe. La vie politique nous oblige sans cesse à supposer des significations connues : significations sociales, significations historiques, significations morales. L’art est plus modeste — ou plus ambitieux — : pour lui, rien n’est jamais connu d’avance.
Avant l’œuvre, il n’y a rien, pas de certitude, pas de thèse, pas de message. Croire que le romancier a «quelque chose à dire», et qu’il cherche ensuite comment le dire, représente le plus grave des contresens. Car c’est précisément ce «comment», cette manière de dire, qui constitue son projet d’écrivain, projet obscur entre tous, et qui sera plus tard le contenu douteux de son livre. C’est peut-être, en fin de compte, ce contenu douteux d’un obscur projet de forme qui servira le mieux la cause de la liberté. Mais à quelle échéance ? »
«
politique nous oblige sans cesse à supposer des signifi
cations connues : significations sociales, significations
historiques, significations morales.
L'art est plus
modeste- ou plus ambitieux-: pour lui, rien n'est
jamais connu d'avance.
Avant l'œuvre,
il n'y a rien, pas de certitude, pas
de thèse, pas de message.
Croire que
le romancier
a
«quelque chose à dire», et qu'il cherche ensuite
comment
le dire, représente le plus grave des contre
sens.
Car c'est précisément ce «comment», cette
manière de dire, qui constitue son projet d'écrivain,
projet obscur entre tous, et qui sera plus tard
le con
tenu douteux de son livre.
C'est peut-être, en fin de
compte,
ce contenu douteux d'un obscur projet de
forme qui servira
le mieux la cause de la liberté.
Mais
à quelle échéance
? »
..,..
On ne peut comprendre la position de Robbe-Grillet
sur la question de l'engagement
qu'à la lumière de sa
conception d'ensemble du roman.
Pour Robbe-Grillet,
le roman ne doit être le lieu
d'aucune signification toute faite, d'aucun message.
Il
doit être l'espace d'une recherche permanente par
laquelle
le sens se trouve perpétuellement .mis en ques
tion, suspendu.
Le roman ne représente plus une réalité
qui lui serait extérieure mais
il se veut construction
- selon des règles qu'il s'assigne à lui-même -
d'un
texte qui ne tire sa réalité que de la forme qu'il se
donne.
Pour reprendre la célèbre formule de Jean
Ricardou,
le roman cesse de se vouloir l'écriture d'une
aventure pour devenir l'aventure d'une écriture.
Toute possibilité d'engagement au sens traditionnel du
terme, du coup, s'effondre.
Le roman engagé
se définit
en effet par
le message politique qu'il se propose de
transmettre au lecteur:
il est le véhicule d'un sens,
d'une thèse à laquelle
il se réduit et qui lui donne toute sa
valeur.
Avec une signification donnée
à l'avance et une
littérature dont
le projet se ramène à l'expression d'un.
»
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