Riquet à la houppe
Publié le 23/03/2014
Extrait du document
«
sottise.
Elle était avec cela si maladroite qu'elle n'eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord d'une cheminée
sans en casser une, ni boire un verre d'eau sans en répandre la moitié sur ses habits. Quoique la beauté soit
un grand avantage chez une jeune femme, cependant la cadette l'emportait presque toujours sur son aînée
dans toutes les soirées.
D'abord on allait du côté de 2la plus belle pour la voir et pour l'admirer, mais bientôt
après, on allait à celle qui avait le plus d'esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables, et on était étonné
qu'en moins d'un quart d'heure l'aînée n'avait plus personne auprès d'elle, et que tout le monde s'était rangé
autour de la cadette. L'aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien, et elle eût donné sans regret toute sa
beauté pour avoir la moitié de l'esprit de sa soeur.
La reine, toute sage qu'elle était, ne put s'empêcher de lui
reprocher plusieurs fois sa bêtise, ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse. Un jour qu'elle
s'était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort
désagréable, mais vêtu très magnifiquement. C'était le jeune prince Riquet à la houppe, qui étant devenu
amoureux d'elle d'après ses portraits qui circulaient par tout le monde, avait quitté le royaume de son père pour
avoir le plaisir de la voir et de lui parler.
Ravi de la rencontrer ainsi toute seule, il l'aborde avec tout le respect et
toute la politesse imaginables.
Ayant remarqué, après lui avoir fait les compliments ordinaires, qu'elle était fort mélancolique, il lui dit: - Je ne comprends point, Madame, comment quelqu'un aussi belle que vous l'êtes peut être aussi triste que vous le paraissez; car, quoique je puisse me vanter d'avoir vu une infinité de belles dames, je puis dire que je n'en ai jamais vu dont la beauté approche de la vôtre. - Cela vous plaît à dire, Monsieur, lui répondit la princesse, et en demeure là. - La beauté, reprit Riquet à la houppe, est un si grand avantage qu'il doit tenir lieu de tout le reste; et quand on le possède, je ne vois pas qu'il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup. - J'aimerais mieux, dit la princesse, être aussi laide que vous et avoir de l'esprit, que d'avoir de la beauté comme j'en ai, et être bête autant que je le suis. - Il n'y a rien, Madame, qui marque davantage qu'on a de l'esprit, que de croire n'en pas avoir, et il est de la nature de ce bien-là, que plus on en a, plus on croit en manquer. - Je ne sais pas cela, dit la princesse, mais je sais bien que je suis fort bête, et c'est de là que vient le chagrin qui me tue. - Si ce n'est que cela, Madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à votre douleur. - Et comment ferez-vous ? dit la princesse. - J'ai le pouvoir, Madame, dit Riquet à la houppe, de donner de l'esprit autant qu'on en saurait avoir à celle que je dois aimer le plus; et comme vous êtes, Madame,. »
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