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Retour à Tipasa: Albert CAMUS, l'Été

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

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Quelques années après la guerre, lors d'un voyage en Algérie (dont il était originaire), Albert Camus retourne visiter les ruines romaines du village littoral de Tipasa, qu'il avait aimé et célébré quinze ans plus tôt, comme un lieu « habité par les dieux ». ll évoque ici l'impression renouvelée que fait sur lui la solennité du site. Sous la lumière glorieuse de décembre, comme il arrive une ou deux fois seulement dans des vies qui, après cela, peuvent s'estimer comblées, je retrouvai exactement ce que j'étais venu chercher et qui, malgré le temps et le monde, m'était offert, à moi seul vraiment, dans cette nature déserte. Du forum jonché d'olives, on découvrait le village en contre-bas. Aucun bruit n'en venait : des fumées légères montaient dans l'air limpide. La mer aussi se taisait, comme suffoquée sous la douche ininterrompue d'une lumière étincelante et froide. Venu du Chenoua, un lointain chant de coq célébrait seul la gloire fragile du jour. Du côté des ruines, aussi loin que la vue pouvait porter, on ne voyait que des pierres grêlées et des absinthes, des arbres et des colonnes parfaites dans la transparence de l'air cristallin. Il semblait que la matinée se fût fixée, le soleil arrêté pour un instant incalculable. Dans cette lumière et ce silence, des années de fureur et de nuit fondaient lentement. J'écoutais en moi un bruit presque oublié, comme si mon coeur, arrêté depuis longtemps, se remettait doucement à battre. Et maintenant éveillé, je reconnaissais un à un les bruits imperceptibles dont était fait le silence : la basse continue des oiseaux, les soupirs légers et brefs de la mer au pied des rochers, la vibration des arbres, le chant aveugle des colonnes, les froissements des absinthes, les lézards furtifs. J'entendais cela, j'écoutais aussi les flots heureux qui montaient en moi. Il me semblait que j'étais enfin revenu au port, pour un instant au moins, et que cet instant désormais n'en finirait plus. Albert CAMUS, l'Été, (« Retour à Tipasa »), 1952. Pour Camus, homme méditerranéen, l'Afrique du Nord a toujours été l'endroit privilégié où s'opèrent entre l'homme et le monde des échanges bénéfiques. Ainsi, quelque temps après la guerre, il revient chercher, dans son Algérie natale — et plus précisément dans les ruines romaines du village littoral de Tipasa qu'il avait célébrées quinze ans plus tôt comme un lieu « habité par les dieux », l'oubli des années de combats. Il évoque, dans une méditation lyrique extraite de L'Été, l'impression de paix et de bonheur qu'exerce sur lui la solennité du site. Comment la lumière et le silence se conjuguent-ils pour faire de Tipasa et de cet instant quelque chose d'unique ? Quelle dimension intérieure le visiteur atteint-il en ces lieux ? Telles sont les questions auxquelles nous nous proposons de répondre.
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« Devant tant de douceur, d'équilibre, de beauté, Camus est reconverti.

II renaît.

Il semble se réveiller et, denouveau, sentir, voir, des êtres et des choses jadis connues de lui (« remettre », « re-connaître », « re-venir »).

Ilredevient celui que les dieux ont investi du don de percevoir les correspondances, celui qui peut utiliser tous sessens pour déchiffrer le message de la vie.Il redécouvre les bruits : « la basse continue des oiseaux », « les soupirs légers et brefs de la mer au pied desrochers ».

Ces chants qui n'avaient jamais cessé d'exister sont à nouveau entendus et compris, et Camus reste toutébloui du soleil qui luit trop, comme de ces sonorités subtiles qui, d'un coup, en même temps que son cœur s'estremis à battre, s'engouffrent en lui.

Il ferme les yeux, peut-être, pour mieux saisir et apprécier les musiques infimes,délicates auxquelles il a désormais accès : « la vibration des arbres », « le froissement des absinthes » et « leslézards furtifs ».

Mais ce qui montre le mieux que la sensualité se trouve multipliée, c'est que l'auteur entend « lechant aveugle des colonnes ».

Le monde minéral, doué de vie et d'expression, livre son histoire, par delà les siècles,au-delà des regards, par l'exercice d'une synesthésie particulièrement aiguisée.Le bonheur est retrouvé.

Camus revit, et pour longtemps.

Il le veut croire : la dernière phrase, solide comme l'espoir,développe cette certitude.

La vigueur entre en lui par vagues, comme une sève ; « des flots heureux » lesubmergent, comme venus de la mer, en bas.Toutefois, Camus joue sur l'ambiguïté instant/durée.

Dans ce lieu magnifique, il a senti que « des années de fureuret de nuit fondaient lentement », comme neige au soleil.

La douceur des sonorités employées (Z, F, L) rend biencompte d'une détente, de l'évanouissement de toutes les tensions.

Jadis, il y a longtemps maintenant, il a vécu lemal, le mauvais de la vie.

Désormais il a atteint son but, son point d'attache, son « port ».

Il relâche, il fait escale.

Ilse laisse récompenser, consoler, par une exaltation rayonnante, mais la gloire de ce jour est « fragile ».

Et si cebonheur retrouvé ne durait qu'un instant ? *** Camus s'est transformé en poète de la nature sous l'effet de la magie de Tipasa.

Il a réussi à fixer le bonheur sur lapage.

Inaccessible, intangible, indicible, ce bonheur est pourtant concrétisé.Dans ces mêmes essais, réunis dans L'Été, Camus écrivait : « Quand une fois on a eu la chance d'aimer fortement,la vie se passe à chercher de nouveau cette ardeur et cette lumière ».

Quel privilège que de pouvoir, au moins, fixerle souvenir par l'écriture, comme par une sorte d'instantané de l'âme.... »

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