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Réponse de Balzac à Descartes (Lettre de Descartes, 15-5-1631) - Littérature

Publié le 09/02/2012

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balzac

Monsieur,

L'amitié dont vous m'honorez vous a inspiré le plus spirituel, le plus éloquent

des plaidoyers. Si, d'aventure, je montrais à mes gentilshommes campagnards

cette délicieuse missive, ils en pâmeraient d'admiration et déserteraient

en foule la province, ou bien ils en crèveraient de dépit, de quoi je

me repentirais toute ma vie~ Pour ne point encourir pareils inconvénients,

je l'ai enfermée dans mon coffret à bijoux, cette précieuse lettre, et je la

relirai souvent, comme l'avare contemple sans témoins ses chers écus. Ces

pages me prouvent une fois de plus ce que j'ai si souvent redit : seule la

philosophie la plus élevée, lorsqu'elle ne dédaigne point les agréments du

style, est capable de produire des oeuvres parfaites.

balzac

« vous aurai exposé sous l'empire de quels événements ou sentiments j'envi­ sageai cette fugue si peu conforme à mon caractère.

Je vous écrivis à la suite d'un hiver long et rigoureux, contre lequel j'étais mal défendu en mon castel rural, et au début d'un printemps capricieux et maussade, peu propice à la promenade, qui est ici mon passe-temps préféré.

Les désagréments des saisons sont beaucoup plus ressentis à la campagne qu'à la ville, et vous ne vous étonnerez pas que ces intempéries aient agi.

sur mes humeurs.

Dautre part, je traversais, à la suite d'un séjour à Paris, une crise de misan­ thropie et de pessimisme.

J'y avais retrouvé de solides amitiés et des admira­ teurs plus que j'en eusse désiré; mais il me fallut me montrer à la Cour où j'éprouvai un écœurement indicible.

Les mœurs de ce peuple caméléon me donnent la nausée.

Je sentis que jamais je ne pourrais m'assujettir à ces «viles contraintes » dont vous me parliez, à ces servitudes auxquelles se sou­ mettent tant de seigneurs.

Vous l'avouerai-je?- ce sera à ma honte -je venais aussi d'être froissé dans mon amour-propre d'écrivain.

Le livre dont vous avez daigné dire quelque bien et qui m'avait coûté tant de travaux et de veilles, « le Prince », n'avait trouvé, dans le monde où l'on s'intéresse aux choses de l'esprit, qu'un petit nombre de lecteurs et, parmi eux, fort peu d'enthousiastes.

Bien plus, il m'avait valu des remontrances de la part de M.

le Cardinal.

Cette froideur du public, cette censure tombée de si haut, et d'un homme dont j'apprécie plus qu'aucun le génie, m'avaient plongé dans un affreux marasme.

Enfin l'imagination - cette maîtresse d'erreur - m'avait, à distance, tracé de la vie hollandaise une image si flattée, si idéale que dans un transport, motivé plus encore par les dégoûts accumulés en moi que par les attraits de ce lointain mirage, je vous écrivis ce que j'ai regret maintenant d'avoir confié au papier.

Que dis-je? Non, je ne regrette rien, car de votre lettre même a jailli l'éclair qui m'a montré sous leur vrai jour la vie qui m'attendait là-bas et celle que j'allais imprudemment abandonner ici.

Et je vous saurai éternellement gré de m'avoir épargné un voyage au bout duquel m'atten­ draient les pires déceptions.

Ce mouvement, ce bruit dont vous vous accommodez si facilement me répugnent et m'effrayent.

Je me représente mal dans le tumulte de cette grande cité, moi qui ne rêve que paix et silence.

Bien vite, je le pressens, je serais assailli par la nostalgie de mon Midi ensoleillé; mes bronches me refu­ seraient leurs services dans les brouillards du Nord; le froid qui ne sévit ici que par exception, habite comme chez lui sous cette latitude et, pareil à l'hi­ rondelle, je serais bientôt chassé par les frimas.

J'éprouve une égale horreur à la pensée de vivre parmi les gens exclusivement préoccupés du luxe, en proie à une fièvre mercantile.

Je redoute cet isolement total qui fait vos délices, car, ami de la solitude, j'aime néanmoins de temps à autre les charmes d'une société polie et spirituelle.

La vue de cette soldatesque, qui, dites-vous, veille à votre sécurité diurne et nocturne, loin de me réjouir m'affiigerait plus profondément qu'elle me rassurerait : je n'ai point l'âme militaire.

Cette vie trépidante enfin, ce mouvement, cette agitation ·me paraissent artificiels et trop éloignés d'une nature à laquelle, je le sens plus que jamais, Dieu m'a si bien accordé.

Voici, en effet, après le triste hiver que j'ai maudit, le triomphe de mai, le renouveau magnifique qui m'enchante.

Pour revenir de mon erreur momen­ tanée, il me suffit de contempler ce qui s'offre à ma vue, d'écouter ma raison, de consulter mon cœur.

Non, je ne peux, je ne veux quitter tout cela.

Que vois-je donc de si admirable? Oh! des spectacles bien simples, bien modestes, auprès des paysages marins immortalisés par le pinceau de vos peintres hollandais.

• Mon parc n'est point une merveille, pas plus que mes jardins; mais ils sont miens, je m'y promène en toute liberté, j'en jouis sans trouble et pour moi. »

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