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RENARD Pierre Jules : sa vie et son oeuvre

Publié le 01/12/2018

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RENARD Pierre Jules (1864-1910). On ne peut pas ne pas aimer Jules Renard : ses livres sont plaisants, et il s’en dégage l’image d’un auteur à la fois pince-sans-rire et profond. Très vite on comprend que Jules Renard est autre chose qu’un simple ironiste, que sa drôlerie est l’effet de son honnêteté parfaite. On a en face de soi non seulement un amuseur, mais un écrivain en quête de sincérité, un poète enfin qui observe le monde et en jouit avec autant de générosité que de sensualité.

 

Monsieur Renard

 

La vie de Jules Renard ne comporte pas d’éclat. Ce qui fait son intérêt, c’est au contraire la manière dont l’écrivain a tiré parti de ce matériau apparemment banal, dont il a analysé les incidents les plus infimes, dont il a fait une œuvre à partir de ces riens qui sont la trame des jours. Les débuts sont sans surprise : une enfance campagnarde entre Châlons-sur-Mayenne, où il est né, et la Nièvre, à Chitry-les-Mines; de bonnes études à Nevers; la « montée » à Paris, le baccalauréat, le projet vite abandonné de préparer l’École normale supérieure : c’est le parcours normal d’un provincial doué, qui se tourne bientôt vers la littérature. Les années 1883-1890 sont des années d’apprentissage au cours desquelles le jeune homme doit à la fois gagner sa vie et se faire connaître. On le voit solliciter des emplois, devenir précepteur, épouser enfin Marie Morneau en 1888 (la Mari-nette du Journal), qui lui apportera, avec une belle-mère «à gifler», la sécurité matérielle. D’un autre côté, il travaille à un roman, les Cloportes, qui ne sera publié qu’après sa mort (1919); il fréquente le milieu littéraire, place des poèmes et des articles, publie à compte d’auteur un recueil de vers, les Roses (1886), et un autre de nouvelles : Crime de village (1888). A la fin de 1889, il fonde (ou plutôt ressuscite) avec d’autres souscripteurs le Mercure de France et y fait paraître plusieurs textes qu’il recueillera dans Sourires pinces (1890). A ce moment-là, Jules Renard a trouvé son style; il est connu, et connaît lui-même presque tous les auteurs à succès : Daudet, Huysmans, Barrés, Lucien Descaves, le jeune Gide, Marcel Schwob, Tristan Bernard, puis, plus tard, Verlaine, Claudel, France et Rostand. Comme critique dramatique, il fréquente les théâtres, rencontre Antoine, découvre des artistes.

 

Les années 1890 sont pour lui le temps fort de sa carrière. D’abord parce qu’il collabore désormais à de grands journaux parisiens : on voit sa signature dans F Echo de Paris, dans le Gil Blas, dans le Journal, où paraissent les courtes scènes qu’on retrouvera bientôt dans Coquecigrues (1893) et dans la Lanterne sourde (1893). Ensuite parce que sortent à ccttc époque les grands livres de Renard : FÉcornifleur (1892), où il raconte l’histoire d’un littérateur parasite, Poil de Carotte (1894), où il se souvient de son enfance, la zoologie poétique des Histoires naturelles (1896) et les dialogues de la Maîtresse (1896).

 

Bientôt la vie de Jules Renard se partage entre la Nièvre et Paris. Paris, où il assiste aux premières, où il fait monter la Demande (en collaboration avec G. Doc-quois, 1895), puis le Plaisir de rompre (1897), le Pain de ménage (1898), Poil de Carotte, dont la version théâtrale obtient en 1900 un gros succès, Monsieur Vernet en 1903 et la Bigote en 1909. La Nièvre, où il s’installe en été, où il observe la nature, flâne, chasse, où il exerce aussi des fonctions de conseiller municipal puis de maire qui lui fourniront la matière de Mots d'écrit (1908).

Apparaît ici un Jules Renard plus engagé qu’on ne pourrait le penser dans la vie sociale de son époque : non pas tant parce qu’il appartient aux notabilités du Paris littéraire, parce qu’il est un académicien Goncourt (1907), mais parce qu’il prend parti, d’abord pour Dreyfus, puis pour le socialisme de Jaurès. Le monsieur pincé et défiant est donc aussi un homme généreux, attentif aux plus humbles, surtout dans les textes des Bucoliques (1898), de l’édition enrichie du Vigneron dans sa vigne (1901), et de Ragotte (1908). L’apôtre ne finira pourtant pas dans la peau d’un patriarche : il meurt, atteint d’artériosclérose, à quarante-six ans, laissant un Journal inédit (1925-1927) commencé plus de vingt ans plus tôt et qui est probablement le chef-d’œuvre de Jules Renard; on y trouvera, en plus d’une biographie, toutes les merveilles d’un style héritier à la fois de La Bruyère et de La Fontaine.

 

L'œil clair

 

Les deux passions littéraires de Jules Renard peuvent en effet nous aider à mieux comprendre ce qu’était son art. La Bruyère d’abord, par la volonté de scruter avec attention le comportement des êtres, d’en tirer une vérité, de démasquer les hypocrites et les méchants. Les cibles de Jules Renard sont aussi nombreuses que les catégories sociales qu’il examine : les femmes aussi bien que les hommes, le bourgeois, le paysan ou l’homme de lettres, jusqu’au pauvre et à l’enfant, qui savent, comme les autres, être bêtes, cruels ou menteurs. L’intelligence, ici, consiste à ne pas être dupe, à tâcher d’avoir ce que le titre d’un recueil posthume (1913) appelle « l’œil clair », à comprendre ce qui se cache derrière les attitudes et les grands mots. Voir les choses comme elles sont et non pas comme on veut nous les montrer, tel est, si l’on veut, le réalisme de Renard. Il commence avec la personne même de l’auteur, que le Journal n’épargne pas et chez qui apparaît même une sorte de volupté dans l’autocritique. Ne voyons pourtant pas là du dégoût ou un pessimisme systématique : la dérision de Jules Renard n’a, en effet, jamais pour but de détruire; elle réserve dans les personnages les plus sinistres ou les plus ridicules une part bonne et belle. Mais cette tendresse ne peut apparaître qu’après une définition rigoureuse de la créature qu’on a choisi de peindre, de ses travers, de ses faiblesses. Et nous retrouvons ici La Bruyère en ce sens que cet examen, ce décapage exige une langue débarrassée de ses attitudes, de ses procédés rhétoriques et de ses clichés. Constamment, en effet, la langue de Renard brise les expressions toutes faites, les pervertit, renouvelle l’expression, invente. De même, elle se refuse les facilités des faux élans, de l’enflure : elle recherche au contraire la sécheresse d’un style retenu, économe, elliptique souvent. D’où aussi le goût de Renard pour les formes courtes, pour les chapitres de deux pages, pour le verset du Journal, pour la note, la phrase ou le mot isolés et par là même chargés de valeurs — la « rêverie-minute », a dit Sartre. Il s’agit pour lui de resserrer dans un espace bref, dans une formule, la définition d’un objet, d’une écriture, d’un ami ou d’un animal. A petites touches, à coups de scènes brèves, d’instantanés, se constituent alors des œuvres riches parce que denses. Le mot drôle, l’aphorisme ou la rosserie deviennent dans ces conditions le comble de l’art parce qu’ils demandent justement rapidité et justesse, parce qu’ils doivent passer par une conclusion imaginative. « Un bon mot vaut mieux qu’un mauvais livre », note Renard, et il le prouve : « Rien d’assommant comme de s’entendre : on n’a plus rien à se dire »; « Oui, dit-il, je l’ai échappé laide »; « La sagesse des nations, cette imbécile »; « Dès qu’on nous embrasse, il est bon de prévoir, tout de suite, l’instant où nous serons giflés »; ou encore le célèbre :

« de Poil de Ca roue .

L'art, pour ce lecteur des Goncourt, c'est donc de travailler pour concentrer sa pensée, pour lui donner de 1' acuité, de la force, pour atteindre ce « style exact, pré­ cis, en relief, essentiel, qui réveillerait un mort», dont rêvait Renard.

Il faut travailler son texte, l'élaguer, cher­ cher à dire ce qui doit être dit- et s'arrêter là.

Comme il le remarque lui-même, Renard émiette donc sa pensée, et le lecteur savoure cette discontinuité qui lui permet de revenir en arrière, de faire des rapprochements, de laisser vibrer en lui l'écho d'une note poétique, émue ou drôle, souvent les trois à la fois.

Car la simplicité n'est ici qu'apparence en devenant ce comble de l'art qui se dissi­ mule lui-même : le naturel est le résultat d'une élabora­ tion patiente et complètement originale.

Celle-ci com­ mence par un souci extrême de ce qui est particulier, spécifique, comme si l'intelligence et le regard ne pou­ vaient se porter que sur un seul être à la fois pour en reproduire les traits singuliers, pour fixer un détail, un moment, une impression.

Mais l'on s'aperçoit bientôt qu'à travers un enfant Jules Renard décrit aussi l'enfant, que Guitry croqué nous permet de connaître l'acteur, que l'individu, pour qui sait le voir, devient exemplaire tout en restant lui-même.

Comme chez La Bruyère, il y a souvent des clés et des types : un > ne convient pas vraiment, par ce qu'on peut y voir de sermonneur ou d'ennuyeux.

Or Renard veut au contraire surprendre et amuser : dès lors, pas de conclusions moralisantes, mais une satire légère, humoristique, qui se dégage d'une anecdote ou d'une remarque sans que l'auteur ait même besoin de l'expri­ mer :>; «Il ne peut pas vous dire: "Votre conte d'aujourd'hui est très bien", sans avoir l'air d'insinuer: "ri est bougrement mieux que celui d'hier!">>;. »

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