Remarques sur les débuts et fins de journées dans L'Heptaméron de Marguerite de Navarre

« Remarques sur les débuts et fins de journées dans L'Heptaméron de Marguerite de Navarre Chaque journée de l'Heptaméron est encadrée de manière sensiblement identique.

C'est-àdire que nous avons toujours le lever des devisants qui vont rejoindre Oisille pour la lecture et les commentaires des saintes Écritures avant d'aller à la messe.

S'en suivent le dîner et un temps de repos, après quoi vient l'heure de se retrouver dans le pré pour raconter des histoires.

Au soir, es vêpres mettent fin aux récits et après l'office on soupe, on joue ou on discute avant d'aller se coucher.

Nous retrouvons se cadre sur les sept journées – et le début de la huitième. Malgré cette flagrante symétrie, il est important de noter une progression dans la manière qu'on les devisants de vivre ces activités.

Durant les deux premières journées, les récits des dix personnages ont plus d'importance que la religion, que la vie de piété.

A la fin de la première journée on note déjà ce déséquilibre exprimé par Oisille : « car la dévotion d'ouyr la fin de ce compte estoit plus grande que celle d'ouyr vespres ». La disproportion s'accentue à la deuxième journée.

Dès le début de la journée le narrateur insiste sur la hâte des personnages à raconter et durant la messe ils demandent à Dieu la grâce de la parole, l'inspiration pourrait-on dire, de bonnes histoires à raconter.

Et à la fin de la journée on apprend que les moines eux-mêmes ont oublié l'office de vêpres car ils ont écouté les « plus plaisantes choses qu'il estoit possible », à savoir les récits des devisants, derrière la haie.

Les religieux sont décrits par le narrateur comme « ceulx qui aimoient mieulx leurs plaisirs que leurs oraisons », ce qui va bien sur totalement à l'encontre de leur choix de vie. On notera le détail de la description de l'herbe qui revient dans ces deux premières journées. Il semble faire écho à l'Evangile selon Saint Jean, car l'apôtre donne excatement le même détail lorsqu'il raconte la multiplication des pains : « Il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu.

» (Jn 6, 10) Ce détail d'apparence pragmatique, réaliste ou encore futile, tant chez l'Evangéliste que chez Marguerite de Navarre fait en réalité référence aux « gras pâturages » de l'Evangile, où Dieu en Bon Pasteur doit rassembler son troupeau pour qu'il se repose. La troisième journée répond quant à elle au cadre pré-étabit sans y déroger, on y ainsi voit se ré-insérer un équilibre, une égalité d'intérêt porté aux récits et à la piété. La tendance commence à s'inverser à la quatrième journée, avec la leçon d'Oisille remarquablement plus conséquente.

Cette leçon est une exhortation aux paresseux.

Dans le cadre de la journée, cette leçon vise notamment Parlamente qui est arrivée en retard dans la chambre d'Oisille pour entendre les Écritures.

Cependant si l'on regarde 'ensemble du recueil cette exhortation d'Oisille semble directement liée à la journée précédente et à la paresses des personnages – devisants et religieux confondus – qui se sont montrés trop oisifs à préférer leurs plaisirs à la prière. On observe à nouveau une égalité dans le traitement des histoires et des dévotions lors de la cinquième journée.

La leçon d'Oisille est décrite comme une « nourriture spirituelle » et le soir le dîner est composé « tant de viandes que de paroles ».

Mais cette égalité n'est elle-même pas traitée de la même façon que dans la troisième journée, grâce à cette comparaison des deux types de prise de parole avec la nourriture, c'est-à-dire qu'il s'agit à la fois d'un plaisir et d'un réel besoin vital. La leçon d'Oisille l'emporte davantage à la sixième journée.

On donne même au lecteur le passage précis qu'elle lit : l'épître de Jean, qui parle de l'amour. A la septième journée, la vision même de la parole est transcendée, grâce à la leçon d'Oisille en début de journée.

Elle lit en effet les Actes des apôtres, qui sont comparés à des chevaliers, ce qui leur confère le rang de héros.

Ce jour-là les devisants parlent tant des péripéties de la vie apostoliques des disciples du Christ qu'ils en oublient presque leur entreprise, c'est-à-dire de se retrouver dans le pré pour échanger leurs récits.

On commence à entrevoir l'idée d'une parole humaine au service de la parole divine .

Cette idée semble se confirmer au début de la huitième journée lorsqu'il est dit qu'Oisille s'acquitta si bien de sa leçon sur la Canonicque de St Jean « qu'il sembloit que le Sainct Esprit plein d'amour et de douceur, parlast par sa bouche.

» Et c'est « tus enflammez de ce feu » que les devisants vont porsuivre leur journée.

Ces images ne sont bien. »