Régnier et Malherbe
Publié le 25/03/2011
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L'attaque la plus sérieuse contre Malherbe est celle de Mathurin Régnier. La satire IX, éclatante et fougueuse, semée de traits vifs et ingénieurs est une véritable change à fond de train contre le « regratteur de syllabes «. Il voulait, on le sent, piquer très sérieusement son adversaire. Celui-ci ne répondit pas, Ce qui est tout à fait étonnant, étant donné son caractère. Peut-être, nous dit-on, le réformateur vit-il bien que Régnier était loin de la Pléiade dont il se proclamait le disciple ; peut-être se refusa-t-il à traiter Régnier en ennemi parce qu'il comprit que le satirique et lui combattaient le même combat. «D'autres, au contraire, affirment qu'il n'y avait rien de commun entre Régnier et Malherbe, que « sur la manière de comprendre la poésie et sur celle de bâtir un vers, sur les principes généraux et sur les petites règles de détail, ils sont en perpétuel désaccord;... qu'avant d'exprimer ses doctrines dans la satire à Rapin, Régnier les avait pratiquées, c'est-à-dire qu'on ne saurait les considérer comme des idées de circonstance, inventées de parti pris pour la polémique d'une heure «, et ils concluent que, même en retranchant la satire IX du recueil de Régnier, l'auteur n'en serait pas moins en dehors de l'école de Malherbe. (Brunot, la Doctrine de Malherbe.) Que pensez-vous de ces deux opinions? Laquelle vous paraît la plus exacte? celle qui rattache Régnier à l'école de Ronsard, celle qui le rapproche de l'école de Malherbe?
Plan proposé : Exorde : Position de la question : Régnier se rattache-t-il à Ronsard ou bien se rattache-t-il à Malherbe? I 1° — Rappeler l'occasion de la querelle avec Malherbe, et les circonstances précises dans lesquelles, pour venger Desportes, Régnier attaqua le Normand impoli. Or s'il n'avait pas eu d'autres motifs de ne pas aimer Malherbe, quatre ou cinq épigrammes auraient suffi; au contraire, il a composé contre le critique une longue satire qui est la meilleure avec la XIIIe (Macette). C'est une de celles qu'il a écrites avec le plus de soin et où sa conviction éclate le plus franchement.
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b) Il est facile d'observer que, loin de composer des satires à la mode antique, ce sont bien des types du temps queRégnier élargit en types humains, et Régnier n'est pas de la Pléiade, puisque son premier mérite est l'observationpittoresque; c'est un peintre naturaliste qui reproduit fidèlement les traits de la société qui l'entoure.
c) Une autre restriction à faire, c'est que, par ce respect de la tradition, Régnier n'entend pas le respect de lamythologie qui tient tant de place dans la Pléiade.
Il sacrifie sans regret ce culte du paganisme dont les disciples deRonsard avaient reçu l'héritage de leur maître.
d) Et quand on nous parle de respect de la tradition, on oublie que Régnier a eu d'autres modèles que ceux de laPléiade.
S'il a imité, très librement d'ailleurs, les Latins et les italiens, n'oublions pas qu'il rejoint Rabelais, Marot, leRoman de la Rose et même les vieux fabliaux : Régnier est le successeur de tous les écrivains contre lesquels laPléiade s'est le plus violemment élevée.
3° — Et sans doute il est vrai de dire que Régnier réclame au nom de la liberté du poète, mais si on laisse les satirespour s'adresser aux autres œuvres de Régnier, on y trouvera une correction aussi châtiée que dans les poésies deMalherbe.
Sonnets, odes, épigrammes, poésies amoureuses, tout cela est d'un homme qui fuit au contraire lanonchalance ; il eut été facile à Malherbe d'opposer à Régnier les œuvres de Régnier.
4° — Et, sans quitter les satires, n'était-il pas aussi facile de montrer comment ce style si simple et si éloigné detoute espèce de pédantisme est beaucoup plus près du style de Malherbe que du style savant de la Pléiade ? Plusd'expressions érudites, plus de locutions calquées sur le grec et le latin ; mais la langue populaire, parfois mêmetriviale ; les proverbes, les expressions courantes, les tours vifs sont nombreux dans la langue de Régnier, et celaencore l'éloigné de la poésie du XVIe siècle.
5° — Peut-être, au point de vue du tempérament, pourrait-on rapprocher Malherbe et Régnier.
Est-on bien sûr queRégnier est un paresseux et n'est-il pas bizarre qu'un homme aussi insouciant qu'on imagine Régnier ait pu produiredes chefs-d'œuvre? Il aurait pu faire davantage, dit-on; cela est possible, mais cela ne signifie pas qu'il ait eu lemépris du travail, celui qui a pu écrire que ses nonchalances étaient « ses plus grands artifices ».
S'il est poète detempérament, notons toutefois que son tempérament le rapproche de l'école de Malherbe, par ce fait que Régniers'éloigne du lyrisme exalté et hardi ; contrairement à la Pléiade, il est le poète du bon sens et de la raison, il entrepar là dans la grande tradition classique, celle qui par Malherbe allait se continuer et s'achever au XVIIe siècle.
Conclusion : En conséquence, s'il est possible de rapprocher Régnier de Ronsard par quelques tendances d'esprit, ilest plus juste de rapprocher Régnier de Malherbe.
Cela expliqua très bien que Régnier ait gardé au siècle classique,c'est-à-dire à l'époque où Ronsard était méconnu et même calomnié, un excellent renom, parmi nos meilleurs auteursLoué par Boileau, imité par Molière, imité par La Fontaine, lorsqu'au XIXe siècle Alfred de Musset l'appelait « del'immortel Molière immortel devancier», il exprimait une idée juste : c'est que Régnier fut par ses satires un desouvriers du classicisme..
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