Réécriture : hommage ou satire -
Publié le 12/09/2018
Extrait du document
Texte 2 Jean Cocteau, La Machine infernale, acte 1,1934
La pièce est une variation sur le mythe d’Œdipe : celui-ci a, sans le savoir, tué son père Laïus et le fantôme de ce dernier apparaît chaque nuit aux soldats de garde. La scène se déroule lors du premier acte, sur « Un chemin de ronde sur les remparts de Thèbes ». Deux soldats racontent à leur chef ces apparitions nocturnes.
[... ]
Le soldat - Eh bien, chef... Vous savez, la garde, c’est pas très folichon. Le jeune soldat - Alors le fantôme, on l’attendait plutôt.
Le soldat - On pariait, on se disait :
Le jeune soldat - Viendra.
Le soldat - Viendra pas ...
Le jeune soldat - Viendra...
Le soldat - Viendra pas... et tenez, c'est drôle à dire, mais ça soulageait de le voir.
Le jeune soldat - C’était comme qui dirait une habitude.
Le soldat - On finissait par imaginer qu’on le voyait quand on ne le voyait pas. On se disait : ça bouge ! Le mur s’allume. Tu ne vois rien ? Non. Mais si. Là, là, je te dis... Le mur n’est pas pareil, voyons, regarde, regarde !
Le jeune soldat - Et on regardait, on se crevait les yeux, on n’osait plus bouger.
Le soldat - On guettait la moindre petite différence.
Le jeune soldat - Enfin, quand ça y était, on respirait et on n’avait plus peur du tout.
Le soldat - L’autre nuit, on guettait, on guettait, on se crevait les yeux, et on croyait qu’il ne se montrerait pas, lorsqu’il arrive, en douce... pas du tout vite comme les premières nuits, et une fois visible, il change ses phrases, et il nous raconte tant bien que mal qu’il est arrivé une chose atroce, une chose de la mort, une chose qu’il ne peut pas expliquer aux vivants. Il parlait d’endroits où il peut aller, et d’endroits où il ne peut pas aller, et qu’il s’est rendu où il ne devait pas se rendre, et qu’il savait un secret qu’il ne devait pas savoir, et qu'on allait le découvrir et le punir, et qu’ensuite, on lui défendrait d’apparaître, qu'il ne pourrait plus jamais apparaître (Voix solennelle.) « Je mourrai ma dernière mort », qu’il disait, « et ce sera fini, fini. Vous voyez, messieurs, il n’y a plus une minute à perdre. Courez ! Prévenez la reine ! Cherchez Tirésias ! Messieurs ! Messieurs ! ayez pitié ! ... » Et il suppliait, et le jour se levait. Et il restait là.
Le jeune soldat - Brusquement, on a cru qu’il allait devenir fou.
Le soldat - À travers des phrases sans suite, on comprend qu’il a quitté son poste, quoi ... qu’il ne sait plus disparaître, qu’il est perdu. On le voyait bien faire les mêmes cérémonies pour devenir invisible que pour rester visible, et il n’y arrivait pas. Alors, voilà qu’il nous demande de l’insulter, parce qu’il a dit comme ça que d’insulter les revenants c’était le moyen de les faire partir. Le plus bête, c'est qu’on n’osait pas. Plus il répétait : « Allez ! Allez ! jeunes gens, insultez-moi ! Criez, ne vous gênez pas... Allez donc ! » plus on prenait 1’ air gauche.
Le jeune soldat - Moins on trouvait quoi dire ! ...
Le soldat - Ça par exemple ! Et pourtant, c’est pas faute de gueuler après les chefs.
Le Chef - Trop aimables, messieurs ! Trop aimables. Merci pour les chefs...
Le jeune soldat - Oh ! chef ! Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire... J’ai voulu dire ... j’ai voulu parler des princes, des têtes couronnées, des ministres, du gouvernement quoi ... du pouvoir ! On avait même souvent causé de choses injustes ... Mais le roi était un si brave fantôme, le pauvre roi Laïus, que les gros mots ne nous sortaient pas de la gorge. Et il nous excitait, lui, et nous, on bafouillait : Va donc, eh ! Va donc, espèce de vieille vache ! Enfin, on lui jetait des fleurs.
Le jeune soldat - Parce qu’il faut vous expliquer, chef : Vieille vache est un petit nom d’amitié entre soldats.
Le Chef - Il vaut mieux être prévenu.
Le soldat - Va donc ! Va donc, eh ! ... Tête de... Espèce de ... Pauvre fantôme. Il restait suspendu entre la vie et la mort, et il crevait de peur à cause des coqs et du soleil. Quand tout à coup, on a vu le mur redevenir mur, la tache s’éteindre. On était crevés de fatigue. [ ...]
© Éditions Grasset & Fasquelle, 1934.
1. W. SHAKESPEARE, Hamlet, acte i, scène 1, 1603, traduction d’André Gide.
2. J. COCTEAU, La Machine infernale, acte i, 1934.
3. B.-M. KOLTÈS, Roberto Zucco, acte i, « L’Évasion », 1990.
• Question
Dans quelle mesure peut-on parler pour les textes 2 et 3 de réécritures du texte 1 ?
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants
• Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte 2 à partir de la ligne 19 (« L'autre nuit, on guettait [ ...] ») jusqu'à la fin du texte.
• Dissertation
Quel intérêt présente pour un écrivain et pour ses lecteurs ou ses spectateurs la réécriture d'une œuvre ?
Vous répondrez à cette question, dans un développement organisé, en vous appuyant sur les textes du corpus, les lectures faites en classe. mais aussi vos connaissances personnelles.
• Écrit d'invention
« Horatio - Reste ! Parle ! Je te somme de parler. » Imaginez qu'au lieu de disparaître, le spectre engage le dialogue avec les personnages présents.
Votre texte s'intègrera de manière cohérente dans le dialogue shakespearien.
Introduction
L'espace littéraire et artistique est envahi de réécritures : une œuvre ne peut avoir du succès sans être aussitôt traduite, adaptée au cinéma, au théâtre ou réécrite. On peut alors s'interroger sur ce paradoxe d'une société qui prône l'originalité tout en adorant le
déjà-vu, ou lu. Quel intérêt présente pour un écrivain, ses lecteurs ou ses spectateurs la réécriture d'une œuvre ? Pourquoi écrit-on, voit-on, lit-on des réécritures ? Dans un premier temps nous aborderons la question du point de vue de la création, puis dans un second temps du point de vuede la réception.
«
I5 du ciel où elle luit présentement, Marcellus et moi -l'horloge sonnait
alors une heure ...
MARCELLUS -Paix.
Silence ! Regarde.
Le voici qui revient.
Entr e le Sp ectre
BE RNARDO - Il a le même aspect que le défunt roi.
MARCELLUS -To i qui as de l'instruction, parle-lui, Horatio.
20 BER NARDO -N' est-ce pas qu'il est semblable au roi ? Observe-le bien,
Horati o.
HoRA TIO -Trè s semblable ; j' en frémis de surprise et de peur.
BE RNARDO - Il voudrait qu'on lui parle.
MARCELLus -Interroge -le, Horatio.
25 HoRATIO -Qui es-tu, toi qui usurpes ce temps de nuit et cette noble
forme guerrière que revêtait la Ma jesté de Danemark ensevelie ? Par le
ciel, je t'ad jure, parle.
MARCELLUS -Il est offensé.
BERNARDO -Vo is ! Il se retire fièrement.
3o HoRA TIO Reste ! Parle ! Je te somme de parler.
Le Spectr e dis paraît.
MARCELLus - Il est parti sans consentir à nous répondre.
BERNARDO -Qu'en dis-tu, Horatio ? Tu es pâle et tu tremb les.
Ne penses
tu pas qu'il y a là plus qu'une imagination ?
HoRA TIO -De par mon Dieu, je ne l'aurais point cru sans l'aveu de mes
35 yeux fidèles.
MARCELLUS -N' est-il pas tout semblable au roi ?
HoRATIO -Autant que tu l'es à toi-même : d' une pareille armure il
était revêtu tandis qu'il combattait l'ambitieux Norvège-il fro nçait le
sourcil pareillement tandis que, dans une coléreuse mêlée, il écrasait les
40 traî neaux polonais sur la glace.
C'est étrange.
MARCELLUS -Ainsi donc, par deux fois déjà, précisément à cette heure
fu nèbre, sa martiale prestance a surpris notre veillée.
HoRATIO -Dans quelle intention, je ne sais.
Mais, à mon avis tout net,
ceci présage pour l'État quelque catastrophe étrange.
[ ...
]
© Éditions Gallimard..
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