Recueillement de Baudelaire. Commentaire
Publié le 15/02/2012
Extrait du document

Recueillement
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;
Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal CLIX
La majeure partie des poèmes de Baudelaire, les Fleurs du mal (1857) sont réunis sous la rubrique générale de Spleen et Idéal. Ce titre suggestif indique clairement, le conflit de l'Ennui, l'ennui baudelairien, le plus laid, le plus méchant, le plus immonde de tous les vices avec l'Idéal, c'est-à-dire, pour l'auteur, les aspirations vagues vers l'infini, le goût d'une religion où le mal revêt les attraits du péché, le charme des visions extatiques et voluptueuses, l'amour aux sensations âcres et brutales qui consument et qui tuent, le golit aussi de la mort et l'attrait des paradis artificiels, une espèce de satanisme enfin qui aime la souffrance et recherche le vice de l'homme assoiffé de bonheur mais trompé de route, cueillant, pour se guérir du Spleen, les Fleurs empoisonnées du Mal....

«
plutot que le remords, le « regret souriant
Ce nevrose qui se plonge avec
degoat et &lice dans sa maladie et qui se fasciae a l'explorer et a Yana-
lyser, est, de tous les pokes de son temps, le plus lucide, le plus psycho- logue, celui qui est le moins dupe des apparences.
En lui, meme la
sensualite semble se faire cerebrale.
Aussi, n'est-il pas un lyrique qui
s'abandonne a l'impulsion et jouit de sa facilite, mais un esprit meditatif,
un travailleur obstine.
Le theme de notre sonnet est simple.
Au coucher du soleil, le poke, triste
et reveur, conduit sa muse, la Douleur, dans la solitude.
Fiction poetique,
trame sans originalite mais sur laquelle l'artiste, peintre et musicien, execute
ses plus brillantes variations, developpe le rythme savant et irregulier de
son inspiration.
Car la substance de la poem baudelairienne n'est jamais
abstraction morte ou subjectivisme pur; c'est presque toujours une sensa-
tion transfiguree et comme baignee de reve dont le signe exterieur est un
jaillissement d'images, capricieux, imprevu.
Pour lui
La nature est un temple ou de vivants pilfers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe a travers des for'ets de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Artiste, l'auteur des « Correspondances ami de Delacroix et admirateur
de Wagner, a le culte des images; sa puissance visuelle depasse celle de
V.
Hugo par Pintensite dans la simplicite; it voit, compose, execute en
peintre.
L'image se developpe ensuite jusqu'a la vision, se hausse jusqu'au symbole; mais ces comparaisons ne sont pas seulement des images plas-
tiques, immobiles dans leur beaute; lumineuses, an contraire, indecises et
flottantes, elles ouvrent la porte du reve, creent une espece de magie
suggestive ro, donnant un moment l'illusion de la realite familiere et douce.
C'est precisement sur une de ces images familieres mais imprevues que
s'ouvre le sonnet célèbre du Recueillement.
Le poke personnifie la douleur,
sa Douleur m, femme silencieuse et oppressee, la calme, la prend par
la main, lui montre le coucher du soleil sur la ville qu'il enveloppe de
paix et de mystere.
Sa voix se fait doucement autoritaire, comme coupee
de sanglots.
N'est-ce pas que la douleur est l'amie du poke qui souffre du
contrasts entre son reve et la realite, son inspiratrice aussi comme elle est
devenue celle de Musset, la creature Wale dont l'amour grave lui fait
oublier la et Muse noire x.
a l'heure on
Dans la brute assoupie, un Ange se reveille?
Et de suite, le tableau devient une scene ou le mouvement, l'eclairage et
la musique conjuguent leurs effets en vue d'une symphonic d'une rare force
suggestive : jeux de mouvements et de lumieres que traduit heureusement le
rythme coupe du vers 2 :
Tu reclamais le soir; Iit descend,
le voici.
Puis, pour completer ce decor changeant, dont les lignes deviennent de
plus en plus imprecises, le poke ajoute une nuance de peinture :
Une atmosphere obscure enveloppe la vine,
clair-obscur bien romantique ou deux reties encore vont suggerer a l'auteur
deux comparaisons inattendues; une derniere lueur enfin, qui, elle aussi,
se resout en image, celle du soleil moribond ramenant son linceul blanc
avant de disparaitre sous l'arche.
C'est le commencement de Pobscurite et
la fin du reve.
Nous avons la, dans ses nuances fugitives, un decor appro-
prie compose avec art en vue d'une impression determinee.
Ce visuel sait &firth l'attitude mysterieuse que les objets de la creation
tiennent devant le regard de Moraine.
Mais comme les classiques, it subor-
donne la nature a l'homme; pour lui comme pour Delacroix, elle est un
dictionnaire et non une composition toute faite.
Son grand art est dans le
paysage suggere, evoque discretement.
Mieux encore; pour Baudelaire, tout kat d'ame devient un paysage.
Or ce soir, le poste est triste, amoureux de
solitude; aussi, son paysage est-il a peine esquisse et comme voile : c'est une
masse confuse avec un detail vague, Parche; Peclairage en est Pelement principal, particulierement etudie.
plutôt que le remords, le « regret souriant ~.
Ce névrosé qui se plonge avec
dégoût et délice dans sa maladie et qui se fascine à l'explorer et à l'ana lyser, est, de tous les poètes de son temps, le plus lucide, le plus J?Sycho logue, celui qui est le moins dupe des apparences.
En lui, meme la sensualité semble se faire cérébrale.
Aussi, n'est-il pas un lyri.
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