Chapitre 1 : vers et décompte des syllabes La notion de vers. La syllabe A quoi reconnaît-on que l’on a affaire à des vers ? La nature typographique : les lignes ne sont pas remplies entièrement, même lorsqu’une phrase n’est pas achevée ; elle continue au vers suivant. De même, l’alinéa, la majuscule et l’alignement vertical sont des marques typographiques. Chaque vers est traité typographiquement comme s’il constituait à lui seul un paragraphe. Le nombre des syllabes est déterminant. Rappel : une syllabe est un groupe de phonèmes pris ensemble organisés autour d’une seule voyelle. Il existe les syllabes ouvertes terminées par une voyelle, et les syllabes fermées, terminés par une consonne. Rappel historique : la versification était fondée sur une opposition entre les quantités vocaliques. La base de cette prosodie, le pied, est un groupement de syllabe : l’iambe (U —), le spondée (— —), le trochée (— U), le dactyle (— UU) et l’anapeste (UU —). 2. L’e caduc En finale absolue, il n’est jamais compté. C’est ce qu’on appelle l’apocope de l’e caduc. Rappel : la chanson a conservé à toute époque la présence de ce e et lui consacre une note pleine : J’ai du bon tabac / Dans ma tabatière. On appelle la syllabe en e caduc syllabe surnuméraire et c’est elle qui fournit les rimes dites féminines. S’il est placé devant voyelle, le e n’est pas compté S’il est placé devant consonne, il est compté. Cette caractéristique explique certaine licence poétique sur des mots comme encore que l’on écrira encor. La prosodie classique a ensuite évité le problème de la prononciation archaïque d’un e après voyelle. A l’intérieur d’un mot, l’e n’est jamais compté (Ex : avouera). En finale de mot, la suite voyelle + e + consonne est bannie, sauf à la rime. De même est fortement déconseillé l’emploi d’un e tonique devant voyelle, puisque la langue normale ne l’élide pas. Ex : Faites-le à votre tour. Les règles classiques concernant le décompte de l’e caduc ont été observées scrupuleusement jusqu'à la fin du XIXe siècle. Certains poètes moderne, par la suite, s’abstiendront de se conformer à certaines des règles susdites. En milieu de vers, par exemple, le e peut être apocopé devant consonne, sans qu’il soit compté au nombre des syllabes : c’est ce qu’on appelle la césure épique. Ex : Laisse dormir ton ancre tout au fond de mon sable. En revanche, lorsque ce phénomène se produit à n’importe quel autre endroit du vers, on parle de coupe épique. Ex : Me parvienne joyeuse et douce, touffue et sombre On perle enfin de syncope lorsque l’e à l’intérieur d’un mot n’est pas compté. Ex :[samdi] pour samedi. Diérèse et synérèse La diérèse relève du problème posé par la rencontre à l’intérieur du mot de deux voyelles phoniques dont la première est i, u ou ou. Ainsi, le mot quatrième se prononce en diérèse dans le langage courant. Par contre, troisième est prononcé en synérèse dans le langage courant. Alors que la diérèse fait entendre deux phonèmes vocaliques, la synérèse fait d’abord entendre une demi-consonne puis une voyelle. Ces opérations ne se font pas au hasard. Elles obéissent en général à l’étymologie. Doivent en principe être prononcés en diérèse les mots qui, à l’origine, comportaient deux voyelles, que ce soit dans la racine (nation qui vient de nationem, ou lier qui vient de ligare) ou par l’adjonction d’un suffixe (ex : alouette qui vient de aloue + ette). En revanche, lorsqu’il y a eu diphtongaison d’une voyelle d’abord unique (cas de pierre qui vient de petra), ou vocalisation d’une consonne (cas de fruit, qui vient de fructum). Mais ces considérations ont besoin d’être nuancées : les mots les lus fréquents ont tendance à conserver la synérèse jusque dans la prononciation de poésie, même s’ils relèvent étymologiquement de la diérèse (fuir : fugire). Ainsi, dans un texte, il faut savoir distinguer les mots qui sont déjà prononcés en synérèse dans le langage courant de ceux qui sont habituellement prononcés en synérèse, mais que le texte fait prononcer en diérèse. La diérèse est en général un mode de soulignement. Il peut servir à amplifier un terme isolé ou faire ressortir le sens classique par la prononciation archaïsante. La diérèse peut également équilibrer les mots les uns par rapport aux autres, quand il s’agit, par exemple, de créer une antithèse. Ainsi, un mot comme demain occupera le même volume que son pendant sémantique prononcé en diérèse : hier. La synérèse est moins remarquable. Il faut noter qu’elle était couramment pratiquée avant le XVIIe siècle pour les suites consonne + l, r. Ex : meurtrier, sanglier ne comptaient alors que deux syllabes. 4. L’hiatus On parle d’hiatus quand deux phonèmes vocaliques sont en contact immédiat sans qu’il y ait élision du premier. Le hiatus a été interdit pour des problèmes graphiques, dans le pur souci a priori esthétique de faire alterner phonèmes consonantiques et phonèmes vocaliques. Cependant, certains hiatus sont tolérés. Plusieurs cas sont à distinguer : Hiatus à l’intérieur d’un mot : Il s’agit là de la diérèse effectuée sur la deuxième syllabe d’un mot comme odieux. L’hiatus interne a toujours été accepté (pensons à un mot comme déesse). Hiatus entre deux mots : Présence d’un e caduc après la première voyelle : il est interdit, et cette restriction est de nature purement orthographique puisqu’à l’époque classique l’e n’était plus prononcé dans cette position. Ex : Il faut perdre Aricie. Il faut... Présence d’une consonne, même non prononcée, en finale du premier mot : Lorsque la liaison n’est pas possible, la présence orthographique de la consonne, et donc l’éventualité d’une liaison, est censé faire barrage à l’hiatus. Ex : Mon époux est vivant... Rappel : Le problème de l’hiatus ne s’est pas toujours posé en ces termes. Ce sont les poètes du XVIe siècle qui soulèvent la question, à une époque où l’on se soucie d’euphonie (instauration du -t- dit " euphonique " dans les inversions liaisons entre les mots). Les poètes du Moyen Age, jusqu’au début du XVIe admettent l’hiatus. C’est le cas de Villon. 5. L’identification des vers Il faut savoir identifier les poèmes de constitution hétérométrique (constitués de différents mètres) à ceux de forme isométrique. L’alexandrin : il tient son nom d’un poème sur Alexandre le Grand qui avait connu un certain succès à la fin du XIIe siècle. Tous les alexandrins classiques sont divisés en deux groupes de six syllabes appelés hémistiches séparés par la césure. le décasyllabe : il a connu un succès à peu près constant de son apparition (milieu du XIe siècle) à la première moitié du XIVe siècle. A la fin de la période médiévale, il est le vers lyrique par excellence. Sa coupe est constituée d’une césure après la quatrième syllabe ; il est donc par nature asymétrique. L’octosyllabe : le vers de huit syllabe est le plus ancien des vers français. Sa première apparition date du Xe siècle. Il est très employé au Moyen Age, en particulier dans les poèmes narratifs, les fabliaux et le théâtre. Il reste le deuxième mètre le plus employé après l’alexandrin. L’octosyllabe n’est pas obligatoirement césuré, et sa césure n’est pas fixe. Il peut être coupé en trois parties. Les statistiques montrent une nette préférence des poètes français pour les vers pairs. Il fa...