RAMUS, Pierre de La Ramée, dit Petrus
Publié le 29/11/2018
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RAMUS, Pierre de La Ramée, dit Petrus (1515-1572). La carrière de Ramus est marquée par sa constante opposition aux autorités, qu’elles aient été catholiques, aristotéliciennes ou calvinistes. Cet humaniste se montra aussi un novateur hardi en matière de pédagogie et de grammaire; en revanche l'originalité de sa philosophie, qui connut en son temps un grand rayonnement, est aujourd’hui discutée.
Petrus Ramus, un éternel opposant
Pierre de La Ramée naît d’une famille de laboureurs. Pour suivre ses études à Paris, il devra travailler comme domestique d'un riche étudiant au collège de Navarre. Autodidacte, il apprendra les langues et les littératures anciennes; en 1536, ses « paradoxes » soutenant que « tout ce qu’avait dit Aristote n’était que fausseté », destinés à la maîtrise ès arts, provoquent un scandale. Ramus fonde avec Orner Talon le collège Ave Maria, écrit les Animadversiones Aristotelicae (1543) et les Dialecticae..., qui par leur anti-aristotélisme provocant, entraînent la condamnation du parlement. François Ier désigne comme arbitres de la querelle les adversaires mêmes de Ramus : celui-ci se voit interdire de publier et d’enseigner contre Aristote, et connaît ainsi, du même coup, la disgrâce et la notoriété. Protégé par le cardinal Charles de Lorraine, il est nommé en 1545 principal du collège de Presles, où il donne des leçons de rhétorique (les Rhetoricae distinctiones in Quintilianum paraissent en 1549), et il prépare une édition des éléments d'Eu-clide. Malgré le succès public de ses cours, la Sorbonne veut l’expulser : c’est le parlement qui, cette fois, le maintient dans son poste.
En 1551, la faveur de Henri II lui procure une chaire d’éloquence et de philosophie au Collège royal. Sa leçon inaugurale, Pro philosophia disciplina, présente un programme d’études unissant ces deux disciplines, auxquelles il voudra ajouter plus tard les mathématiques. Cette ambition suscite des jalousies et des querelles avec d’autres professeurs plus respectueux des tendances pédagogiques du moment (P. Galland, Jacques Charpentier).
Après le colloque de Poissy (1561), il adhère au protestantisme. En 1562, il présente au roi un plan de « réformation » de l’Université. La même année, semble-t-il, il fait enlever les représentations des saints de la chapelle du collège de Presles. En raison des troubles religieux, il doit quitter Paris pour Fontainebleau; pendant son absence, sa bibliothèque sera pillée. Ramus, en effet, ne manque pas d’ennemis de tous ordres, et son caractère emporté n’incite pas à la conciliation. Suivant les aléas des guerres civiles, il quittera deux fois encore sa chaire du Collège royal : son enseignement reprendra en 1563 (après la paix d’Amboise), en 1567, puis en 1570 (après la paix de Saint-Germain). Ses démêlés avec J. Charpentier continuent, et il lutte avec acharnement contre l’influence des Jésuites à l’Université.
De 1568 à 1570, il voyage en Suisse et en Allemagne, où ses thèses sont bien accueillies; mais sa conception démocratique de l’organisation de l’Église et ses critiques d’Aristote l’opposent à Théodore de Bèze. La vie de Ramus se termine tragiquement, puisque, après la Saint-Barthélemy, il est massacré et jeté dans la Seine. Ses biographes contemporains ont supposé — sans preuves — que Charpentier, son rival de toujours, n’était pas étranger à ce meurtre.
«
siècle
a connus, auteurs d'un «nouvel essai» sur
l'orthographe.
Ramus ne sera pas plus heureux lorsqu'il s'attaquera
aux institutions.
Le Liber de moribus veterum Gallo
rum ...
(1559) montrait son désir de glorifier la monarchie
par un retour aux sources; ce n'est, en fait, qu'une vaste
compilation de commentaires antiques.
Mais Ramus est
surtout connu pour son plan de réforme de l'Université
(les Advertissements ...
, 1562; la Remonstrance ...
, 1567),
qui attire l'attention par ses revendications méthodiques.
La sophistique, les disputes, les questionnaires stériles
devront être éliminés.
Chaque discipline doit s'enseigner
selon un ordre : en mathématiques, commencer par les
éléments d'Euclide et non par 1' astrologie.
Les profes
seurs doivent garder un contact non livresque avec les
étudiants; les médecins emmèneront ceux-ci cueillir des
simples et leur feront pratiquer des dissections.,La théo
logie s'enseignera par une pratique directe des Ecritures,
en grec et en hébreu, et par 1 'exercice des sermons.
Ramus s'en prend très ouvertement au statut des profes
seurs : il leur reproche leur ignorance, leur malhonnêteté
(chiffres à l'appui) et leur pratique de la sous-traitance;
pour diminuer la toute-puissance injustifiée de ces mau
vais pédagogues, Ramus propose de leur faire passer un
concours et de sueprimer les collèges -en bref, de créer
une université d'Etat, et tout à fait sélective : elle serait
réservée aux étudiants « idoines et suffisants».
Ce plan
méritoire fut, on s'en doute, peu apprécié de ceux qu'il
concernait [voir HUMANISME).
Le ramisme existe-t-il?
Selon W.
Ong, la philosophie ramiste se défînit
comme «l'histoire des tensions non résolues entre les
traditions logique et rhétorique>>; mais la logique y pré
domine nettement sur la rhétorique : Ramus réduit celle
ci à l'éloquence.
Loin d'unir également ces deux matiè
res, il soumet l'art de bien parler à celui de bien
raisonner.
Les exigences de Ramus sont avant tout celles
de la méthode.
En fait, on constate qu'il a voulu une
sorte d'union encyclopédique des arts et des sciences
sans pouvoir lui-même pratiquer ce qu'il préconisait :
l'élément le plus positif de ses vues intellectuelles est
son enseignement mathématique, assez inexistant avant
lui.
Le succès du ramisme -ou, plutôt, de la méthode
ramiste -tient à la façon dont le philosophe a remis à
l'honneur Je procédé de raisonnement qui consiste à pas
ser des concepts généraux aux « spéciaux >> selon un
mouvement « naturel ».
Chez Quintilien, on trouve déjà
ce souci de la division et de la composition.
Ramus a
donc clarifié une méthode étouffée depuis longtemps par
les arguties et les questions scolastiques.
Plus intéressante est la subordination des images au
projet du raisonnement.
Loin de rapprocher poésie et
philosophie, Ramus asservit la première à la seconde.
Lieux communs et figures sont rejetés du domaine logi
que, comme tout ce qui peut venir d'une excitation d'or
dre émotionnel (F.
Yates).
Pourtant, les relations entre
la Pléiade et Ramus étaient réelles, la Dialecti que le
montre bien; mais l'utilisation de la poésie à titre
d'exemple pratique ne signifie pas, aux yeux de Ramus,
la valeur de celle-ci.
Réciproquement, on n'a guère de
traces d'une quelconque influence de la philosophie
ramiste, trop abstraite, sur Ronsard ou sur ses émules.
Autre caractéristique de la pensée ramiste : le Lecteur
royal se réclame souvent de Socrate, l'homme qui « met
la main à la pâte».
Peut-on conclure qu'il s'inscrit dans
le courant néoplatonicien de son époque? Quelques thè
mes sont présents, mais Ramus se trouve bien à 1 'opposé
de la tradition occultiste, et sa philosophie est plus adap
tée à certains aspects du protestantisme allemand et au
2010 puritanisme
anglican qui s'accommoderont fort bien
d'une logique rigoureuse, formelle et iconoclaste.
Ramus, impasse ou charnière?
Faut-il penser que Ramus annonce à la fois Je classi
cisme, le cartésianisme, le règne de la raison et des
Lumières? Que sa méthode est une avant-première du
Discours de la méthode? Qu'il prépare l'empirisme de
Bacon? Peut-être a-t-on surestimé son œuvre et son
influence.
Le rayonnement de ses ouvrages et de ses
idées est incontestable dans les pays rhénans et en Angle
terre, où l'on peut voir se développer une véritable que
relle ramiste ou anti-ramiste pendant plusieurs décennies
(Ch.
Waddington).
La France semble surtout avoir été
marquée par les méthodes d'enseignement de Ramus :
audacieux et novateur, il a certainement permis des pro
grès pédagogiques difficilement appréciables.
Que doit
il exactement à ses devanciers et dans quelle mesure
a-t-il inspiré ses successeurs? Les études ramistes ne
peuvent encore trancher le débat, d'autant plus qu'il se
double d'un problème de fond, à savoir si J'œuvre de
Ramus a une valeur intrinsèque.
Cette œuvre est souvent
accusée de «superficialité» (P.
Mesnard, F.
Yates),
alors que ses défenseurs (P.
Sharratt, W.
Ong) y voient
une méthode originale et féconde.
Selon P.
Mesnard,
Ramus est plus un phénomène qu'un représentant des
idées du temps : «La masse compacte de l'humanisme
pédagogique à J'époque de Ramus J'engageait délibéré
ment dans la voie opposée», c'est-à-dire dans celle du
baroque et de la rhétorique.
Nous manquons des éditions
et des études d'ensemble qui permettraient de juger, par
une lecture éclairée des textes, la triple ambition de
Ramus : être pédagogue, philosophe et grammairien.
BIBLIOGRAPHIE
Textes.
-Dialectique, éd.
crit.
par M.
Dassonville, Genève,
Droz, 1964.
É tu d es.
- Charles Waddington, Ramus, sa vie, ses écrits et ses
opinions, Paris , Meyrueis, 1855; Ferdinand Brunot, Histoire de
la langue française, t.
II, rééd.
Paris, A.
Colin, 1967; Walter
J.
Ong, Ramus' Merhod and the Decay of Dia lo g ue, Harvard
University Press, 1958, et Ramus and Talon lnventOI)', Harvard
U nive rs ity Press.
1970; Frances Yates, l'Art de la mémoire,
Paris, Gallimard, 1975; Michel Dassonville, «la Collaboration
de la Pléiade à la dialectique de Ramus>>, dans B.H.R., t.
XXV,
1963; P.
Sharratt, «the Present State of Studies on Ramus>>,
dans Stud i Francesi, XVI, 1972; Cesare Vasoli, >,dans TesTi Umanisrici su la Retorica,
Archivio di Filosofia, Rome, Fratelli Bocca, III, 1973.
M.-L.
LAU NA Y.
»
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