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Racine écrit dans la Préface de Phèdre : «Je n'ose encore assurer que cette pièce soit la meilleure de mes tragédies. Je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix.» Plus que des formules conventionnelles de modestie, ne faut-il pas voir dans cette remarque un article essentiel du goût classique ?

Publié le 08/02/2011

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 Et qu'on ne dise pas qu'il y a dans cette révision des valeurs une simple question de mode : il y a réellement un certain approfondissement, approfondissement dû à des lecteurs toujours nouveaux, qui par une sympathie sans cesse plus pénétrante vont plus loin dans ce qui est l'essentiel de l'apport d'un écrivain. Il est piquant et assez révélateur de constater que le point de vue du classicisme rejoint celui d'un critique aussi moderne et aussi impressionniste que le fut Anatole France : le chef-d'œuvre, c'est l'œuvre que chaque génération d'hommes peut enrichir d'interprétations et d'émotions nouvelles (cf. t. 3, sujet 48). Certes le point de vue d'Anatole France serait un peu trop celui d'un dilettante et sceptique au gré de Racine, mais, moyennant un brin de dogmatisme en plus, c'est bien la même idée qu'on pourrait exprimer à peu près ainsi : devant une œuvre on ne peut parler de chef-d'œuvre que lorsque de nombreuses générations de lecteurs ont reconnu comme leurs les sentiments que cette œuvre présente

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« II La notion de succès pour un classique Combien fait contraste avec ce narcissisme de l'auteur moderne la position de Racine et des classiques ! Ceux-cimettent l'accent sur tout ce qu'il y a de profondément objectif dans les qualités qu'on demande à une œuvre etdans la manière de reconnaître ces qualités : refus de la subjectivité et du devenir au profit de la stabilité et del'universalité. 1 La perfection technique.

L'œuvre ne se juge pas encore comme prolongement et comme témoignage d'un hommeet d'une époque, mais par un certain point de perfection technique qu'elle représente : «Il y a dans l'art un point deperfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature» (La Bruyère, Les Caractères, I, X).

Boileau dans saRéflexion VII sur Longin insiste beaucoup sur ce point de perfection que les grands écrivains comme Homère, Platon,Cicéron, Virgile semblent avoir apporté à la langue : «Ils avaient comme fixé la langue par leurs écrits, ayant atteintleur point de perfection.» Or il est bien évident que cette perfection formelle et technique, l'auteur ne peut pas enêtre juge (il faut le recul du temps pour distinguer un point de perfection); et, du reste, une perfection technique nepeut être jugée que par les «utilisateurs» (dans toute technique le dernier mot est à celui qui pratique : on ne peutsavoir qu'une voiture est excellente que lorsqu'elle a été beaucoup et longtemps utilisée par de nombreuxconducteurs). 2 La valeur universelle des sentiments.

On pourrait certes objecter qu'à la rigueur quelques connaisseurs, quelquesDoctes, quelques experts peuvent suffire à déterminer la valeur technique d'une production de l'esprit et qu'ainsi untrès grand recul n'est peut-être pas nécessaire.

Mais ce qui rend tout à fait indispensable ce recul, c'est quel'auteur classique entend soumettre le fond même de l'œuvre, sa valeur humaine, à la postérité.

Et alors (ce pointest capital) seuls de nombreux lecteurs échelonnés et dispersés dans des lieux et des temps très différents pourrontdire que tel sentiment exprimé par l'auteur n'est pas une fantaisie monstrueuse, mais a une valeur universelle.

Ainsi,que vaut au juste l'étrange caractère de cette princesse de Clèves, si froide et pourtant si prompte au coup defoudre devant le duc de Nemours, à la fois si confiante et si défiante devant son mari ? Est-ce fantaisieextravagante, est-ce peinture forte et humaine ? Seuls en ont décidé les lecteurs, non pas même les lecteurscontemporains qu'une mode ou une cabale pouvaient égarer («combien n'avons-nous point vu d'auteurs admirésdans notre siècle, dont la gloire est déchue en très peu d'années ! » Boileau, Réflexion VII), mais les lecteurs dessiècles suivants, jusqu'à ce qu'enfin Mme de La Fayette soit reconnue comme un écrivain dont la vérité humaine estdevenue universelle. 3 Vérité profonde de ces points de vue.

Certes ces perspectives, nous l'avons dit, nous semblent lointaines etpourtant ne sont-elles pas d'un bon sens encore valable ? Car la perspective moderne qui considère comme bon toutce qui est expressif interdit tout jugement de valeur : on le remet, nous l'avons vu, à l'auteur lui-même, à de«petites chapelles» coupées de tout contact large avec le public.

C'est ainsi que la critique contemporaine asouvent ce défaut (que les critiques d'ailleurs se reprochent souvent les uns aux autres) de crier pour un oui oupour un non au chef-d'œuvre devant une œuvre intéressante, à l'œuvre qui «fera date», comme si justement onpouvait se placer à ce point de vue historique avant que la postérité en ait décidé.

C'est là confondre œuvreexpressive et chef-d'œuvre, ou bien croire que des critiques (des Doctes, aurait-on dit au XVIIe siècle) suffisent àforcer le goût de la postérité.

Or, celle-ci se moque des jugements des Doctes : «Un ouvrage a beau être approuvéd'un petit nombre de connaisseurs : s'il n'est plein d'un certain agrément et d'un certain sel propre à piquer le goûtgénéral des hommes, il ne passera jamais pour un bon ouvrage, et il faudra à la fin que les connaisseurs eux-mêmesavouent qu'ils se sont trompés en lui donnant leur approbation» (Boileau, Préface pour l'édition de 1701).

A regarderl'histoire littéraire on s'aperçoit que seule en effet la postérité, et une longue postérité, donne aux œuvres et auxauteurs leur vrai visage, leur vraie hiérarchie (cf.

le fameux sonnet de Mallarmé sur Edgar Poe, et notamment lecélèbre début : «Tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change...»).

Ce n'est qu'au XXe siècle qu'on a réhabilité lesgrandes tragédies politiques de Corneille comme Rodogune, Sertorius ou Attila.

Ce sont des travaux relativementrécents qui nous ont fait comprendre que le Chateaubriand des Mémoires d'Outre-Tombe est infiniment plusnovateur que celui d'Atala ou de René.

Et qu'on ne dise pas qu'il y a dans cette révision des valeurs une simplequestion de mode : il y a réellement un certain approfondissement, approfondissement dû à des lecteurs toujoursnouveaux, qui par une sympathie sans cesse plus pénétrante vont plus loin dans ce qui est l'essentiel de l'apportd'un écrivain.

Il est piquant et assez révélateur de constater que le point de vue du classicisme rejoint celui d'uncritique aussi moderne et aussi impressionniste que le fut Anatole France : le chef-d'œuvre, c'est l'œuvre quechaque génération d'hommes peut enrichir d'interprétations et d'émotions nouvelles (cf.

t.

3, sujet 48).

Certes lepoint de vue d'Anatole France serait un peu trop celui d'un dilettante et sceptique au gré de Racine, mais,moyennant un brin de dogmatisme en plus, c'est bien la même idée qu'on pourrait exprimer à peu près ainsi : devantune œuvre on ne peut parler de chef-d'œuvre que lorsque de nombreuses générations de lecteurs ont reconnucomme leurs les sentiments que cette œuvre présente. III Difficultés et limites du point de vue classique Est-ce à dire qu'on peut se contenter du critère de Racine ? Un certain nombre de difficultés précises sautent auxyeux. 1 Ce critère ne vaut que pour les très grands chefs-d'œuvre.

Une première réserve en effet, c'est que necontinuent à être lues par des générations et des générations que très peu d'œuvres.

Certes les spécialistes d'uneépoque en lisent la production dans son ensemble, mais ce n'est pas à cette postérité que pense Racine : c'est auxlecteurs de culture moyenne.

Que lisent-ils encore par exemple du XVIIIe siècle ? : les Contes de Voltaire, les. »

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