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Racine, dans la Préface de Phèdre (1677), écrit que le caractère de son héroïne est peut-être ce qu'il a «mis de plus raisonnable sur le théâtre». Commentez d'après ce que vous savez de Phèdre, de Racine et de l'idéal classique.

Publié le 17/01/2022

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2 Les lois de l\'art. Cette tradition doit se comprendre non seulement comme une imitation de modèles, mais comme une méditation sur les théories qui ont constitué progressivement au cours des temps les lois de l\'art : ici par exemple, en disant que Phèdre est «raisonnable», Racine pense surtout à la règle aristotélicienne du héros «ni tout à fait coupable ni tout à fait innocent», et il commente, avec quelle docilité modeste : «Elle est engagée par sa destinée et par la colère des Dieux, dans une passion illégitime, dont elle a horreur toute la première. Elle fait tous ses efforts pour la surmonter.» D\'autres règles sont liées à la précédente, dans l\'idée de Racine ; ainsi Phèdre, ni tout à fait coupable ni tout à fait innocente, provoque mieux «la compassion et la terreur»; de plus, elle répond à la règle posée par les classiques du XVIIe siècle du «vice puni, ou pour le moins toujours en horreur» (D\'Aubignac, Pratique du théâtre).

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« les qualités qu'Aristote demande.» Ainsi la raison se concilie avec le plaisir, ce qui est l'essence de l'art classique.Mais ce plaisir, à la différence du plaisir «baroque», ne peut être pris que par la raison et on se rappellera que «Laraison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie» (Boileau, XVIIe Siècle, p.

358, v.48).

La raison classique, c'est laconscience de la voie unique en art. III Dangers et déviations Racine, sous prétexte de valeur universelle, de vraisemblance, etc., ne fait malgré tout pas, ou ne fait que peu, deconcessions à son public, n'affadit pas sa peinture, reste le dramaturge hardi des situations osées.

Mais l'accentqu'il met sur le «raisonnable» sera dangereux pour ses successeurs au génie moins évident. 1 La raison devient l'académisme.

Chez ces successeurs notamment la raison devient un «académisme» qui recueillepieusement les lois de l'art classique, mais sans en garder la force et l'énergie.

Art «raisonnable» que les tragédiesde Voltaire ou de Ducis, mais application souvent formelle des lois du genre, lois vides, lois dont l'ensemble devientle «goût». 2 La raison devient le goût.

Poussant en effet un peu trop loin le respect du public qu'impliquait déjà l'idéal de la«vraisemblance», la «raison» devient volontiers refus de choquer, sens des convenances, en un mot «goût» ou «bongoût».

Déjà dans la Préface de Phèdre, il y a des traces de ce «bon goût», aux exigences un peu étroites.

C'estainsi qu'une nourrice peut calomnier : «Cette bassesse m'a paru plus convenable à une nourrice, qui pouvait avoirdes intentions plus serviles.» Sans doute Racine n'applique-t-il pas dans sa tragédie cette naïve hiérarchie oùmoralité et rang social se confondent : dans Phèdre Œnone représente moins la servilité que la tentation, mais queldanger dans le principe ! Quand, sous prétexte de raison, on éliminera tout ce qui choque, quand une princesse nepourra plus avoir que des sentiments nobles et vertueux, quand on refusera, comme s'en vantait déjà Racine dans laPréface d'Iphigénie, de souiller «la scène par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'ilfallait représenter Iphigénie», et quand, par-dessus le marché, on ne disposera pas de la puissance de Racine, onaura définitivement vidé la tragédie classique de ses forces. 3 La raison devient l'abstraction.

Pour éviter de heurter le goût, pour rester «raisonnable», un caractère tragiquen'aura plus guère comme ressource que d'être un pâle schéma de forces psychologiques tout abstraites : Zaïre,dans la tragédie de Voltaire qui porte ce nom, c'est la jeune fille née chrétienne, élevée dans l'Islam et que, pourson malheur, sa foi reprend au moment de se marier ; Orosmane, c'est le «despote éclairé», mais qui malgré ses«lumières» garde l'empreinte de sa «sauvagerie» orientale native (.XVIIIe Siècle, p.

107).

Ainsi «raisonnablement»peut-on définir ces héros dans des formules qui les contiennent tout entiers ou à peu près.

C'est le triomphe de laraison, mais c'est la négation de la vie.

Toute la réaction romantique se définira contre cet art qui, pour vouloirimposer un ordre esthétique au réel, avait totalement perdu de vue ce réel. Conclusion Leçon de Racine, la même que celle de Boileau : «Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux/Qui, par l'art imité,ne puisse plaire aux yeux» (XVIIe Siècle, p.

362).

En d'autres termes, on peut peindre les caractères les plustroubles et les plus obscurs suivant un ordre artistique dont l'écrivain reste le maître : Phèdre est peut-être ce queRacine a mis de plus «raisonnable» sur le théâtre.

Mais toute la difficulté ce sera de garder la «raison» sans perdrela vie, de ne pas oublier que tout le problème d'un art classique est justement de conserver toute la vie, lesserpents et les monstres, dans le réseau serré et intelligent d'un art ordonné.

La faiblesse de la tragédie pseudo-classique sera de croire que cet ordre nécessite l'élimination des serpents et des monstres.

Ceux-ci se vengeront envoulant, avec le romantisme, non seulement redevenir la matière de la littérature, mais aussi lui faire la loi.. »

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