RACINE: Andromaque, le monologue d'Hermione
Publié le 09/05/2011
Extrait du document
Jean Racine, après de fortes études latines et grecques à Port-Royal, débuta au théâtre en 1664 avec la Thébaïde. Entre 1664 et 1677, il donna neuf tragédies et une comédie, les Plaideurs. Retiré du théâtre, et devenu historiographe du Roi, il composa, à la prière de Mme de Maintenon, Esther et Athalie, pour les jeunes filles du couvent de Saint-Cyr. Il a laissé, en outre, quelques poésies lyriques, inspirées, soit par les paysages -de Port-Royal-des-Champs, soit par les Livres Saints. Son Abrégé de l'Histoire de Port-Royal et ses Lettres le placent également au premier-rang des prosateurs de son siècle.
TEXTE COMMENTÉ
HERMIONE, seule.
Où suis-je? qu'ai-je fait ? que dois-je faire encore? Quel transport me saisit ! quel chagrin me dévore ! Errante et sans dessein, je cours dans ce palais : Ah ! ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais? Le cruel! de quel oeil il m'a congédiée ! 5 Sans pitié, sans douleur au moins étudiée ! L'ai-je vu se troubler, et me plaindre un moment? En ai-je pu tirer un seul gémissement ? Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes, Semblait-il seulement qu'il eût part à mes larmes? 10 Et je le plains encore ! et, pour comble d'ennui, Mon coeur, mon lâche coeur, s'intéresse pour lui ! Je tremble au seul penser du coup qui le menace, Et, prête à me venger, je lui fais déjà grâce ! Non, ne révoquons point l'arrêt de mon courroux ; 15 Qu'il périsse! aussi bien il ne vit plus pour nous. Le perfide triomphe et se rit de ma rage, Il pense voir en pleurs dissiper cet orage ; Il croit que, toujours faible, et d'un coeur incertain, Je parerai d'un bras les coups de l'autre main. Il juge encor de moi par mes bontés passées. Mais plutôt le perfide a bien d'autres pensées: -Triomphant dans le temple, il ne s'informe pas Si l'on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas. Il me laisse, l'ingrat, cet embarras funeste. 25 Non, non, encore un coup laissons agir Oreste : Qu'il meure, puisqu'enfin il a dû le prévoir, Et puisqu'il m'a forcée enfin, à le vouloir... A le vouloir? Hé quoi ! c'est donc moi qui l'ordonne Sa mort sera l'effet de l'amour d'Hermione! 30 Ce prince, dont mon coeur se faisait autrefois Avec tant de plaisir redire les exploits; A qui même en secret je m'étais destinée Avant qu'on eût conclu ce fatal hyménée ! Je n'ai donc traversé tant de mers, tant d'États, 35 Que pour venir si loin préparer son trépas, L'assassiner, le perdre! Ah ! devant qu'il expire...
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Les sentiments.
— Cependant au début du Ve acte, nous la retrouvons flottante encore entre son amour et sahaine.
Ou plutôt deux sentiments également nés de son amour se partagent son coeur : épargner celui qu'elle aime ;le punir de son mépris.
Elle veut à tout prix se venger, et pourtant elle frémit d'horreur en songeant aux effets decette vengeance.
Jamais Racine, peintre des incertitudes et des contradictions du coeur, n'a mieux rendu lesnuances de cette lutte intérieure entre deux sentiments également tyranniques, et qui, tour à tour, l'emportent.
—On volt dans la suite que Hermione, craignant, d'après le récit de sa confidente, qu'Oreste n'ose pas tuer Pyrrhus,se précipite vers le temple pour le, sacrifier elle-même; puis que, se heurtant à Oreste qui vient lui raconter la mortde Pyrrhus, elle invective le malheureux qu'elle accuse de l'avoir mal comprise ; enfin, elle va se frapper sur le corpsde Pyrrhus, incapable qu'elle est de survivre à son amour et à sa haine.
D'après ce que nous avons dit plus haut dela nature du monologue dramatique, celui-ci est très logiquement placé, Hermione étant vraiment déchirée entredeux sentiments d'une violence égale.Il y a dans tout ce couplet un rythme passionnel d'une singulière vérité.
Les efforts que fait Hermione pour seconvaincre que sa vengeance est légitime, amènent, par une naturelle réaction, des retours de tendresse et desremords.
Abandonnée par sa volonté, elle est le jouet de sa sensibilité.
Son langage est haletant ; c'est celui de lafièvre et de la folie.
Hermione n'est pas sympathique; mais on ne saurait se défendre d'une profonde pitié pour elle ;et l'état d'énervement douloureux où elle se débat laisse prévoir de prochains effets de terreur.Plan du monologue.— Vers 1 à 4 : Hermione expose la situation, et donne le thème du développement...
Ne puis-jesavoir si j'aime ou si je hais ?V.
5 à 10.
— Attitude de Pyrrhus dans son dernier entretien avec Hermione.
Comment il a tout fait pour justifier lacolère et la vengeance de celle qu'il trahit.V.
11.
— Transition : je le plains encoreV.
12 à 14.
- Sentiments involontaires d'Hermione en faveur de Pyrrhus.V.
15 à 28.
— Réquisitoire contre Pyrrhus.
Raisons de le haïr.
Réfutation des raisons précédentes.
Résolution dont onessaye de le rendre responsable : Qu'il meure...
puisqu'il m'a forcée enfin à le vouloir...V.
29.
- Sur ce mot vouloir, retour des souvenirs et des raisons d'aimer.V.
36.
— La nouvelle résolution d'Hermione n'est formulée qu'à demi.
Cléone se présente.Commentaire grammatical et littéraire.
— V.
2.
— Remarquer la propriété des mots saisit et dévore par rapport auxmots transport et chagrin.V.
3.
— Errante et sans dessein je cours...
La coupe même du vers a quelque chose de brisé, d'énervé.V.
4.
— Ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais ? Réflexion qui est saisissante par sa simplicité ; c'est la nature mêmequi parle, et qui avoue son impuissance.
Comparez et opposez la 'volonté des héroïnes de Corneille.V.
5.
— De quel oeil, avec quelle expression.
Dans son demie entretien avec Hermione, Pyrrhus semblait distrait, aumoment celle-ci lui adressait des paroles suppliantes.
Hermione a éclaté en reproches :Vous ne répond« pas ?...Perfide, je le vois, Tu comptes les moments que tu perds avec moi...
etc.
Dans les vers suivants (6 à 10) Hermionecommente cette attitude de Pyrrhus.
— Congédier, expression très juste en raison même de sa trivialité.V.
9.
— Remarquer les ellipses très hardies de: muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes.V.
11.
Ennui est très fort dans la langue tragique du dixseptième siècle (latin in odium, en haine).V.
12.
— Mon coeur, mon lâche coeur.,.
Faire sentir, quand on explique du Racine, combien ces répétitions ou cesreprises sont naturelles, propres à la passion, jamais littéraires au sens fâcheux du mot.
— S'intéresse pour, entredans ses intérêts; l'ex pression, aujourd'hui peu usitée, ne se confondait pas avec s'intéresser à, qui est moins fort.V.
13.
— Au seul penser.
Penser est un infinitif pris substantivement, usité en poésie pour pensée, quand la finaleféminine ne Serait pas en position de s'élider.V.
15.
— Non, ne révoquons point...
Ce ton impératif, traditionnel dans les monologues, est ici plus vrai que jamais.Hermione se fait violence pour résister à la faiblesse de son lâche coeur.V.
18.
-- Il pense voir en pleurs dissiper cet orage.
Le tour est difficile à analyser grammaticalement (il pense voirdissiper, pour se dissiper), mais l'image est tellement claire qu'on ne saurait la reprocher à Racine, comme le fait LaHarpe.V.
20.
- Je parerai d'un bras les coups de l'autre main.
Encore une de ces hardiesses simples, qui abondent dans lestyle de Racine.
Évidemment un bras et l'autre main ne semblent pas logiques, en bonne analyse scolaire.
Maisn'est-il pas vrai que Hermione a jusqu'ici, au figuré, paré d'un bras les coups que portait sa main, et que cette mainappartient à l'autre bras ? Il est donc puéril de dire, comme Aimé-Martin, que c'est à peu près inintelligible.V.
23.
— Triomphant dans le temple.
En ce moment même, Pyrrhus est au temple où il épouse Andromaque.V.
26.
— Non, non...
Encore un coup de fouet à la passion.
Hermione se défie d'elle-même.
Elle se sent faiblir ets'excite.V.
29.
— C'est donc moi...
Marquer fortement ce moi.V.
31.
— Ce prince...
Voir à l'acte Ill, scène ni, l'éloge des exploits de Pyrrhus, par Hermione.V.
37.
— Devant que...
Pour avant que...
Il est aisé de compléter cette phrase, coupée par l'arrivée de Cléone.Devant qu'il expire, tentons un dernier effort pour le ramener à mous..
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