Quel est l'écrivain du XIXe siècle dont vous avez tiré le plus de profit pour votre formation morale ?
Publié le 15/02/2012
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Ce ne sont pas toujours les plus illustres des écrivains qui pénètrent le plus avant dans les âmes. Il en est, au XIXe siècle, de plus réputés que Joubert; et pourtant quand j'établis le bilan de ma vie morale, il me semble que je lui dois beaucoup plus qu'à d'autres. Dussé-je passer pour bizarre et paradoxal, je soutiendrai que parmi les « hommes de lettres « modernes il n'en est point dont la lecture et la méditation m'aient été plus profitables....

«
rien (1).
e Je suis propre a semer, mais non pas a batir et a fonder.
- Le
ver a soie file ses coques, et je file les miennes, mais on ne les devidera pas.
Comme it plaira a Dieu! » Il a, du travail du style, une haute et juste idee Ce n'est pas ma phrase que je polis, mais mon idee.
Je m'arrete jusqu'a
ce que la goutte de lumiere dont j'ai besoin soit formee et tombe de ma
plume.
» Cette perfection qu'il rove pour lui, il la rencontre rarement chez
les autres J'aime peu de tableaux, peu d'operas, peu de statues, peu de
poemes, et cependant j'aime beaucoup les arts.
» Joubert m'a rendu diffi-
cile, m'a appris a ne point crier au miracle devant tout ce qu'autour de
moi on proclame chef-d'oeuvre.
Devenu Parisien, it subit Pinfluence du milieu, se laisse entamer par
les doctrines en vogue, il mene une « vie philosophique ».
Les deborde-
ments revolutionnaires lui ouvrent les yeux et il pousse un courageux cri
d'alarme : « II faut de la religion aux hommes, ou tout est perdu! a Bientot
it avoue : « Mes decouvertes, et chacun a les siennes, m'ont ramene aux
prejuges.
» II rappelle dans une Pensee, a laquelle je trouve un accent pas-
calien, son incursion dans les champs de l'erreur.
« Le chemin de la verite!
j'y ai fait un long detour; aussi le pays oil vous vous egarez m'est bien
connu.
» Et ce rapprochement n'est pas l'effet du hasard.
Comme Pascal,
Joubert est un apologiste.
Inspirateur du Genie du Christianisme, it &passe,
et de beaucoup, celui qu'il appelait Enchanteur ».
Son argumentation
est autrement vigoureuse et emouvante.
Elle emane d'une experience per-
sonnelle et intime, it en a fait « l'essai sur son propre cur », il en a
eprouve la justesse et la force.
Certaines formules heureuses se gravent
d'elles-memes dans la memoire : « Le ciel est pour ceux qui y pensent.
- « Penser a Dieu est une action.
» - « Il faut craindre de se tromper en
poesie quand on ne pense pas comme les poetes, ou en religion quand on ne
pense pas comme les saints.
3.
- e Dieu se sert de tout, meme de nos illu- sions.
» - «On sent Dieu avec fame comme on sent l'air avec le corps.
»
Rien ne se fait de Hen », disent-ils; mais la souveraine puissance de
Dieu n'est pas rien...
» - « La meme croyance unit plus les hommes que
le meme savoir; c'est sans doute parce que les croyances viennent du cceur.
» - « Rien dans le monde moral n'est perdu, comme dans le monde
moral rien n'est aneanti.
» - « II faut etre homme avec les hommes, et
toujours enfant devant Dieu.
- «Dieu fait la vie pour etre pratiquee et non pas pour etre connue.
» - « Ce qu'il y a de plus beau, c'est Dieu; apres
Dieu, c'est fame, et apres fame, c'est la pensee.
» - « Il y a deux sortes
d'atheisme : celui qui tend a se passer de l'idee de Dieu et celui qui tend
a se passer de son intervention dans les affaires humaines.
» - « La reli-
gion est un feu que l'exemple entretient et qui s'eteint s'il n'est commu- niqué.
» - « La devotion embellit fame, surtout fame des jeunes gens.
Les anthologies n'ont pas coutume de multiplier les citations de ce genre,
c'est pourquoi je m'y suis quelque peu attarde.
Elles en valent, je crois, la
peine.
Plus prolixes sont les citateurs sur le chapitre de famitie.
La encore,
cet « egolste qui ne s'occupait que des autres » pane d'experience.
Il out
« le genie de l' amitie ».
II etait no ami, it connaissait toutes les provenances,
toutes les delicatesses, tous les raffinements les plus exquis de l' amitie.
Fontanes et Chateaubriand ont Mare cet ami incomparable.
J'ai repro- duit la plus connue de ses pensees, il en est d'autres qui la valent, celle-ci,
par exemple « Qui n'est jamais dupe n'est pas ami », ou cette autre :
faut non seulement cultiver ses amis, mais cultiver en soi ses amities, les conserver avec soin, les soigner, les arroser pour ainsi dire.
» Ami parfait,
it gardait neanmoins toute findependance de son jugement.
Il discute vive-
ment avec Fontanes, qui admire fantiquite a travers le xviie et le xviii° sle- eks et a qui Racine masque Sophocle.
II prefere puiser aux sources, il
Margit ses horizons, il a « l'esprit et le coeur hospitaliers » et les auteurs
strangers prennent place en ses admirations.
Platon est son homme : « Il
trouva la philosophic faite de brique, et la fit d'or...
Il ne fait rien voir,
mais it eclaire, il met de la lumiere dans nos yeux...
» Il apprecie librement
Bacon qui donne ses idees pour des faits, tandis que Platon les donne pour
des idees; Locke, « philosophe sournois » ; Leibniz, qui le passe « de toute
la tete »; Kant, a qui l'on est perpetuellement tents de dire : « Degagez
(1) Au moins sous son nom.
Un erudit, l'abbe Pailhes, lui attribue, avec beaucoup de
vraisemblance, toute une serie d'ouvrages.
rien (1).
«Je suis propre à semer, mais non pas à bâtir et à fonder.
- Le ver à soie file ses coques, et je file les miennes, mais on ne les dévidera pas.
Comme il plaira à Dieu!» Il a, du travail du style, une haute et juste idée :.
»
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