Quel est, à votre avis, le rôle du rire dans l'ensemble des œuvres littéraires ? Vous aurez toute liberté pour préciser les nuances que peut prendre ce rire, pour en justifier les fonctions et l'intérêt et pour exprimer vos préférences, à condition de toujours vous appuyer sur des exemples précis et analysés.
Publié le 30/03/2011
Extrait du document
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«
mérite d'éclairer la définition de l'humour noir : rire de ce qui « normalement et raconté différemment » devraitprovoquer l'effroi.
Dans la nouvelle de Mérimée, Colomba, quand Orso a tué les deux frères du clan ennemi, un banditconstate les morts et les commente avec humour : « C'est là le cas de dire : sommeil de plomb.
Pauvre diable.
»
L'homme rit également des grandes étapes de sa vie, de toutes les étapes initiatiques parce qu'elles comportent desembûches.
Il suffit de relire les premières scènes d'Agnès ou l'Ecole des femmes pour s'apercevoir combien la peurdu cocuage oscille entre deux registres, le comique gaulois et la peur d'être ridicule à ses yeux devant la société.Les études, les examens, le métier fournissent des sujets de dérision.
Le comique est parfois grinçant comme dansles romans autobiographiques de Jules Vallès, mais il sert précisément à exorciser le tragique.
Enfin, l'homme sevenge de la peur qu'il éprouve devant les êtres qui lui sont supérieurs.
C'est le rôle du caricaturiste, de l'imitateur oudu chansonnier.
Mais les exemples sont également nombreux en littérature.
Le XVIIe siècle ne sait guère se soigneret les médecins apparaissent comme des puissances redoutables capables de dispenser et la vie et la mort, ce queMolière souligne à tout instant que ce soit dans Le Médecin malgré lui, Monsieur de Pourceaugnac ou Le MaladeImaginaire.
Nous rions de la bêtise d'Argan, mais celui-ci est terrifié quand Diafoirus l'excommunie littéralement etl'abandonne à son sort...
Le rire nous libère de nos peurs ou de nos fantasmes.
Après avoir pris conscience des forces qui le dépassent,l'homme peut choisir entre deux attitudes : affronter ces puissances, ou les ridiculiser par le rire.
La premièreattitude est tragique, la seconde comique.
Comme l'analyse André Maurois, « l'objet du comique est de "dégonfler"certaines formes du sérieux qui nous oppriment, et, en leur enlevant de leur importance de nous rassurer ».
Le rireest alors une parade, une arme défensive ; il peut également être offensif : c'est le rire de dénonciation.
Cette dernière fonction est dans une certaine mesure liée à la précédente, car toutes deux ont pour but deridiculiser ce qui habituellement effraie l'homme et engendre chez lui un respect craintif.
Seuls les sujets changentainsi que le but final.
Les sujets sont d'ordre social, politique et moral et le but est moins de rassurer l'homme que del'engager à combattre des tabous inutiles.
Les auteurs utilisant le rire comme forme de dénonciation stigmatisent par la satire les abus de notre société.Rabelais critique par le biais du comique la scolastique du Moyen-Age, l'autorité de la Sorbonne et du pape.
Ce rirede dénonciation est la forme la plus répandue d'attaque chez les philosophes du siècle des Lumières.
Voltaire en estle maître dans ses pamphlets et dans ses contes philosophiques.
Montesquieu l'utilise également à travers lesconstatations et les allusions faussement naïves de ses Persans.
« Le roi de France est vieux [...] Souvent il préfèreun homme qui le déshabille, ou qui lui donne la serviette quand il se met à table, à un autre qui lui prend des villesou lui gagne des batailles » (Les Lettres Persanes, lettre XXXVII).
Le rire, ou plus exactement son versantintellectuel, « l'esprit », si répandu et cultivé au XVIIIe siècle dans les salons, balaie toutes les conventions, fait lasatire de toutes les institutions.
Candide ridiculise la philosophie de l'optimisme, les spéculations métaphysiques,l'Inquisition, l'esclavage au fil des différentes mésaventures du héros.
L'Ingénu, que l'on peut lire comme l'enverssatirique du Siècle de Louis XIV, stigmatise les jésuites, les jansénistes et les lettres de cachet.
L'ironie est l'armeprincipale du philosophe.
Elle oblige le lecteur à être vif intellectuellement, à prendre parti.
Deux exemples suffiront,tirés de Candide à propos du tremblement de terre de Lisbonne qui émut si fortement Voltaire qu'il y consacra unpoème :
« Il s'en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni...
» et « Candide fut fessé en cadence [...]le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable » (Candide, chapitre VI).
Le rire qui bafoue les institutions peut devenir le redoutable sourire ironique et grimaçant d'un Voltaire ou éclaterdans la farce énorme d'Ubu Roi, d'Alfred Jarry ou dans le pamphlet de Swift donnant les diverses recettes pouraccommoder les bébés irlandais que les Anglais réduisent à la mort par leur iniquité.
Le titre est « Modesteproposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d'être à la charge de leur pays et pour les rendreutiles au public ».
Si les formes différent, le but est identique : dénoncer, faire prendre conscience des injustices.
La puissance de cerire est immense car comment y répondre ? La censure oppose au comique la force alors que la seule arme seraitégalement le comique.
Conclusion
Le rire semble une fonction naturelle de l'homme, naïve et spontanée.
Mais le rire sans fin du bébé n'est qu'unexemple limité de l'immense variété du rire.
En littérature, le rire exerce trois fonctions principales, la fantaisie, lalibération et la dénonciation.
Le premier est le plus gratuit, il offre un temps de fête et de fantaisie rompant avec lesconventions.
Le second protège l'homme contre les puissances qu'il ne peut affronter en face et le troisième enfincritique, dénonce en ridiculisant.
Hormis le fou-rire de l'adolescent, le rire n'est jamais dépourvu de sens.
Il secomprend en fonction de la société, qu'il propose de s'en évader ou de la critiquer.
Il joue le rôle d'un régulateurdans la collectivité sociale, comme l'analyse le philosophe Bergson..
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