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Que pensez-vous de cette remarque de Taine : « On relit le XVIIIe siècle : sous les moqueries légères, on trouve des idées profondes; sous l'ironie perpétuelle, on trouve la générosité habituelle; sous les ruines visibles, on trouve des bâtisses inaperçues. » Vous appuierez votre argumentation sur des exemples précis, empruntés aux textes et aux œuvres du XVIIIe siècle que vous avez lus ou étudiés.

Publié le 28/03/2011

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PLAN

Introduction ■ Les apparences du XVIIIe siècle (esprit-légèreté, libertinage, ironie). ■ Autre présentation : attaques, luttes, travail de sape. ■ N'y a-t-il donc que « moqueries légères «, cc ironie perpétuelle «, a ruines visibles « ? ■ N'est-ce pas aussi le siècle des « idées profondes «, de la « générosité «, des « bâtisses inaperçues « ? 1er Partie. ■ Moquerie, ironie : Voltaire. Ex. multiples. ■ Mais aussi tout son siècle : Lebrun-Montesquieu, Mme du Deffand; Beaumarchais... ■ Satire des dogmes religieux, des institutions politiques, des lois morales, de notre civilisation. ■ Refus des transcendances. ■ Les philosophes du XVIIIe siècle « n'ont pas connu l'homme « (au niveau psychologique). Maine de Biran.

« et conventions, demandant de repenser les principales valeurs humaines sans jamais les rattacher à rien qui lesdépasse, refus des transcendances, bref : position négative et destructrice...

Telle en est une autre présentation.Comme toutes les généralisations, toutes deux comportent leur part d'exactitude, mais aussi une certaine stylisationde « légende » qui les réduit et les fausse.

[Mettons à part, bien sûr, toutes les prises de position de mauvaise foi,fréquentes à propos de ce siècle « engagé ».] Le XVIIIe siècle n'est-il donc que « moqueries légères » et « ironieperpétuelle » ? N'a-t-il su que faire table rase du passé, ne laissant que des « ruines visibles » ? Ou — commel'affirme Taine — n'est-il pas aussi le siècle « des idées profondes » et de la « générosité », dont l'élan rationnel futconstructeur de « bâtisses », moins « inaperçues » qu'on ne le prétend ? * * * « Moqueries légères »; « ironie perpétuelle »...

On pense tout de suite à Voltaire.

Formé dans la société libre etraffinée de Ninon de Lenclos, puis de la Duchesse du Maine, il y a apprécié le brillant de la conversation, l'espritcaustique et satirique, les plaisirs de l'intelligence, du goût de l'esprit aussi bien que des sens.

Ce « mondain » qui «...

aime le luxe et même la mollesse Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, La propreté l'élégance), le goût, les ornements...

» (Le Mondain), goûte l'animation des salons, le théâtre, la galanterie, la correspondance...

Que de « moquerieslégères » ou cruelles sous sa plume allègre et aiguisée.

C'est contre un écrivain qu'il n'aime pas, Fréron, le quatrainsuivant : « L'autre jour au fond d'un vallon Un serpent piqua Jean Fréron.

Que pensez-vous qu'il arriva Ce fut leserpent qui creva.

» Ailleurs il s'acharne avec impertinence contre Rousseau : « On n'a jamais employé tant d'esprità vouloir nous rendre bêtes; il prend envie de marcher à 4 pattes, quand on lit votre ouvrage.

» (Lettre à Rousseau,1755); citons n'importe quelle autre de ces 10 000 (et plus) lettres familières et plaisantes, à la démarcheprimesautière, de ce « correspondant de l'univers » (Lamartine) : « Ces Délices sont à présent mon tourment.

Noussommes occupés, Mme Denis et moi, à faire bâtir des loges pour nos amis et pour nos poules.

Nous faisons faire descarrosses et des brouettes; nous plantons des orangers et des oignons, des tulipes et des carottes...

)) (1755).Mais ce badinage spirituel, ou cette satire vive, ce ton de persiflage ou ces pirouettes désinvoltes qui feignent des'amuser de tout, c'est le ton du siècle.

Nous les retrouvons chez le poète Lebrun, aux épigrammes prestementenlevées et aux distiques mordants à souhait : « On vient de me voler...

— Que je plains ton malheur! — Tous mes vers manuscrits.

— Que je plains le voleur! »aussi bien que dans les Lettres persanes de Montesquieu.

Là, voici des portraits, par ex.

: le financier parvenu, qui «excelle [seulement] par son cuisinier », le confesseur mondain ou le jeune homme à bonne fortune croqués avec uneironie sans indulgence, tandis que le poète, singe cherchant à plaire et faisant des grimaces pour se donner l'airinspiré, « n'a pas d'esprit pour parler, mais [...] parle pour avoir de l'esprit ».

C'est à partir de cette spirituelle ironieque Mme du Deffand s'est permis ce mot — facile et inexact! — à propos de L'Esprit des lois : « C'est de l'esprit surles lois.

» C'est que tout ce siècle la manie constamment, cette ironie aux mille nuances, ses clins d'œil, sesallusions glissées légèrement pour nous inviter à lire entre les lignes et qui nous rendent complices de son jeu.

Quelmeilleur exemple que les Contes de Voltaire, « une fête pour l'intelligence »! Quant au théâtre — et ce siècle estproprement le siècle du théâtre; Voltaire, d'ailleurs, qui est l'esprit typique du XVIIIe siècle, en fut un fervent —, ilpétille de gaieté, de verve, d'ironie ou d'humour (voir la piquante Suzanne du Mariage de Figaro), d'esprit satiriqueaussi : de Regnard à Lesage et Marivaux; pour trouver son apogée dans les méandres, surprises, rebondissements,plaisanteries — alliés à une satire sociale et politique qui est une vive attaque des institutions et des privilèges — duthéâtre de Beaumarchais et surtout dans cette Folle Journée qu'est Le mariage de Figaro.

Que de mots quidéchaînent le rire, tout en allant fort loin : « Aux vertus qu'on exige d'un domestique, Votre Excellence connaît-ellebeaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets?...

» (1-2), ou « ...

un Grand fait assez de bien quand il nenous fait pas de mal », ou « La Comtesse : — Quoi, Suzon, il voulait te séduire ? Suzanne : — Oh! que non!Monseigneur n'y met pas tant de façon avec sa servante; il voulait m'acheter » (II-l).

On voit ici se manifester undes autres aspects du XVIIIe siècle, le plus fréquemment relevé, cette lutte inlassable menée contre legouvernement de l'époque et contre la société du siècle, ses castes, ses abus, ses injustices.

Les Persans deMontesquieu, l'Ingénu de Voltaire, le Neveu de Rameau chez Diderot — comme en Angleterre, De Foe ou Swift —examinent avec la candeur du simple bon sens, ou avec le détachement du « marginal », dogmes religieux,institutions politiques, lois morales de notre civilisation.

Rousseau, quant à lui, s'engage avec l'ardeur d'un apôtrecontre l'inégalité sociale, contre les mœurs, contre toute une civilisation qui étouffe ou raille les aspirations du cœur(Contrat social).

Mais là ne se bornent pas les attaques du XVIIIe siècle.

Il s'insurge contre tout l'édifice de pensée,de conceptions, contre tous les postulats du siècle précédent.

A travers la querelle des Anciens et des Modernesest posé le problème d'un mode nouveau de pensée, qui commence par balayer en grande partie l'explication donnéepar le XVIIe siècle et reposant sur la Foi, la Tradition, l'Autorité.

Le XVIIIe siècle fait fi également de l'étudepsychologique et morale de l'Homme, qui avait permis au Classicisme de rejoindre l'humain dans ses aspectsuniversels.

Bien des héros du « siècle des Lumières » sont schématisés, froids : Candide, Zadig, l'Ingénu, les PersansRica et Usbek sont seulement des regards posés sur le monde; Saint-Preux, Émile, le Neveu de Rameau, Jacques leFataliste ou Figaro représentent les idées de l'auteur, ou incarnent sa nature, son mode de vie.

Ne peut-on pasparler alors de « ruines visibles » dans le domaine psychologique ? Mais il y a pire : au niveau gouvernemental,moral, religieux.

On ne veut plus, par ex., entendre parler de « roi de droit divin ».

(Dans le Sermon sur les Devoirsdes Rois, Bossuet avait affirmé que le roi est certes terriblement responsable devant Dieu, puisqu'il tient son pouvoirde Lui, mais que de ce fait, toute révolte contre le roi est impie, « car elle est révolte contre le principe. »

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