Que pensez-vous de cette réflexion de d’Alembert (Réflexions sur la poésie) : « Quand on prend la peine de lire des vers, on cherche et on espère un plaisir de plus que si on lisait de la prose » ?
Publié le 02/11/2016
Extrait du document
INTRODUCTION
Les recueils de poèmes ne rencontrent pas de nos jours, en librairie, le même succès que les romans ou même les ouvrages historiques. Toute une partie du public demeure fermée au charme des vers, et cette méconnaissance n’est pas le propre de notre temps : au xvnie siècle, les milieux cultivés n'étaient favorables qu’à la prose ; pourtant d’Alembert écrivait dans ses Réflexions sur ta poésie : « Quand on prend la peine de lire des vers, on cherche et on espère un plaisir de plus que si on lisait de la prose ». Le début de cette phrase évoque les difficultés qui éloignent les lecteurs de la poésie ; mais, tout mathématicien qu il fût, d’Alembert sut discerner les impressions irremplaçables qu’elle procure.
I. LES DIFFICULTÉS DE LA POÉSIE
Un domaine peu accessible Au xvme siècle, on se soucia
beaucoup de définir la place de la poésie dans la littérature. Les conclusions des écrivains furent en général sévères, car, à une époque où triomphait la philosophie, la forme littéraire pouvait paraître secondaire ; aussi la versification fut-elle considérée seulement comme une contrainte inutile, voire dangereuse, dans la mesure où elle détourne l’écrivain et son lecteur de la pensée rationnelle. Des poètes même en vinrent à condamner leur art, et Houdart de la Motte s’appliqua à démontrer la supériorité de la prose ; tous pensaient avec l’abbé de Pons que la poésie était un « art frivole ». Et bien que Voltaire écrivît certaines œuvres philosophiques ou polémiques en vers — Le Mondain par exemple — il ne put empêcher le genre de tomber dans le discrédit. La poésie didactique ne saurait en effet remplacer la prose pour l’énoncé des idées ou des théories et sa valeur esthétique est très discutable. L'épopée, le drame en vers ne donnèrent lieu qu’à des œuvres médiocres au xviiie siècle. Quant à la poésie lyrique, celle que
«
nous considérons comme la meilleu re exp ressio n du genre,
ell e fut en généra l artificielle et futile.
De nos jours, ses
adve rsai res
la considèrent com me ennuye use : les confi dences
a m ou re uses, les évocatio ns de la nature, les méd itatio ns s ur
la m ort peuv en t p araître vaines dans l'agitation de hotre
monde .
L'inspiration même de l'œuvre , toute subjective , la
rend parfois impénétrable au lecte u r non préparé.
Aussi
faut -
il réagir contre une certaine paresse pour se tourner vers
ces textes qui ne
sévissent dans les vers; et bien que Victor Hugo ait mis «un
bonnet rouge au vieux dictionnaire», la périp hrase élégante,
héritée des Précieux , reste en usage durant tout Je xtx e sièc le ;
elle disparaît avec Verlaine, mais la langue poétique n'en fut
pas dépou illée pour autant de
ses difficultés : La Chanson du
Ma l A imé d'A poll inai re supp ose de la part du lecteur une
véri table érudit ion .
Et chez Ma
llarmé, com me chez Valéry,
la langue poétique s'oriente délibérément vers des arcanes
bien éloignés de la prose.
Au-delà même de la syntaxe et du
vocabulai re, la poésie repose sur des images,
sur des métaphores,
sur des symboles qui la rendent parfois peu accessible : bien des
l ecteurs trouve nt vaines ces comparaisons qui chez Du Bellay
c
onsti tu ent tou t un sonnet des Ami q uirés, ces mé taphores qui
f orment des dév elop pemen ts enti ers de la Légende des Siècles,
ces images rapides qui se succèdent dans les poèmes d 'Apolli
naire ou des surréa.listes.
C'est ainsi que, « langage dans le langage » selon Je mot de
Valéry, la poésie se défend contre une approc he facile - et
peut- être est- ce une des cond iti ons de son charm e..
»
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