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Quatrième partie, chapitre VII / 7 - Germinal de ZOLA

Publié le 09/09/2006

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germinal

Il fut terrible, jamais il n'avait parlé si violemment. D'un bras, il maintenait le vieux Bonnemort, il l'étalait comme un drapeau de misère et de deuil, criant vengeance. En phrases rapides, il remontait au premier Maheu, il montrait toute cette famille usée à la mine, mangée par la Compagnie, plus affamée après cent ans de travail ; et, devant elle, il mettait ensuite les ventres de la Régie, qui suaient l'argent, toute la bande des actionnaires entretenus comme des filles depuis un siècle, à ne rien faire, à jouir de leur corps. N'était-ce pas effroyable ? un peuple d'hommes crevant au fond de père en fils, pour qu'on paie des pots-de-vin à des ministres, pour que des générations de grands seigneurs et de bourgeois donnent des fêtes ou s'engraissent au coin de leur feu ! Il avait étudié les maladies des mineurs, il les faisait défiler toutes, avec des détails effrayants : l'anémie, les scrofules, la bronchite noire, l'asthme qui étouffe, les rhumatismes qui paralysent. Ces misérables, on les jetait en pâture aux machines, on les parquait ainsi que du bétail dans les corons, les grandes Compagnies les absorbaient peu à peu, réglementant l'esclavage, menaçant d'enrégimenter tous les travailleurs d'une nation, des millions de bras, pour la fortune d'un millier de paresseux. Mais le mineur n'était plus l'ignorant, la brute écrasée dans les entrailles du sol. Une armée poussait des profondeurs des fosses, une moisson de citoyens dont la semence germait et ferait éclater la terre, un jour de grand soleil. Et l'on saurait alors si, après quarante années de service, on oserait offrir cent cinquante francs de pension à un vieillard de soixante ans, crachant de la houille, les jambes enflées par l'eau des tailles. Oui I le travail demanderait des comptes au capital, à ce dieu impersonnel, inconnu de l'ouvrier, accroupi quelque part, dans le mystère de son tabernacle, d'où il suçait la vie des meurt-de-faim qui le nourrissaient ! On irait là-bas, on finirait bien par lui voir sa face aux clartés des incendies, on le noierait sous le sang, ce pourceau immonde, cette idole monstrueuse, gorgée de chair humaine ! Il se tut, mais son bras, toujours tendu dans le vide, désignait l'ennemi, là-bas, il ne savait où, d'un bout à l'autre de la terre. Cette fois, la clameur de la foule fut si haute, que les bourgeois de Montsou l'entendirent et regardèrent du côté de Vandame, pris d'inquiétude à l'idée de quelque éboulement formidable. Des oiseaux de nuit s'élevaient au-dessus des bois, dans le grand ciel clair.

Après plus d'un mois de grève, la Compagnie n'a pas cédé aux demandes des mineurs, elle menace même de licencier les ouvriers compromis et le bruit court que quelques-unes des fosses vont reprendre le travail. Maheu décide alors, avec l'approbation du vieux Bonnemort, son père, d'organiser une réunion clandestine des mineurs dans la forêt de Vandame. C'est que la grève a atteint un point critique : la misère est extrême. Tout fait défaut : nourriture, houille pour se chauffer, pétrole des lampes (chapitre V).  Comme prévu, trois mille mineurs, hommes et femmes, se rassemblent, ce jeudi soir de la fin janvier 1867. Au début de janvier, la réunion chez la veuve Désir avait été interdite ; pourtant, l'arrivée des gendarmes n'avait pas empêché l'adhésion — expéditive — des délégués à l'Internationale. Ce qui a changé, c'est que, pour la première fois, le pacifisme des grévistes n'est plus de mise. Etienne en appelle à la violence. En principe, la réunion a pour finalité de savoir s'il convient de poursuivre la grève. Cependant, Etienne se rend compte de la détermination des mineurs à triompher de la Compagnie.

germinal

« simule le narrateur.

Le caractère connotatif du discours d'Etienne met en lumière l'expression d'une violence portée àl'extrême.

La foule partagera cette subjectivité du personnage avec d'autant plus d'enthousiasme que lesconditionnels (futurs par rapport aux imparfaits) rendent manifeste l'urgence de venger l'oppression subie : « Mais le mineur n'était plus l'ignorant, la brute écrasée dans les entrailles du sol.

Une armée poussait des profondeurs des fosses, une moisson de citoyens dont la semence germait et ferait éclater la terre, un jour de grand soleil.

» Ces deux phrases en discours indirect libre présentent comme inévitable le passage d'une réalité vécue à laréalisation d'un désir : l'imparfait se convertit en conditionnel.

Il est permis de penser que l'emploi systématique desimparfaits par le narrateur traduit son intention de mettre à nu l'émotion de son personnage, pour mieux la fairepartager par le lecteur et rendre le récit plus captivant.

Le paroxysme émotionnel est atteint à la fin du premierparagraphe.

Que l'on veuille bien relire les deux dernières phrases, à partir de « Oui ! le travail...

» et l'on percevra combien le découpage des groupes grammaticaux se révèle fragmenté.

Si la première de ces phrases souligne laprésence redoutable du dieu, la seconde, en guise de réplique à l'agression, énonce, avec une insistance presquehaletante, les mesures de rétorsion qui s'imposent : l'anaphore (la répétition en tête de plusieurs membres dephrase) de l'indéfini on en est un indice. Le parallélisme : la réciprocité dans la violence Pour la première fois, Etienne préconise la violence comme moyen d'action : ce thème mobilisateur sera suivi d'effetle lendemain, par les dévastations des fosses, la première cible étant Jean-Bart, appartenant à Deneulin. Mais toute l'argumentation développée par Etienne n'a pas d'autre objectif que de justifier le recours à la violence,qu'il s'agit de mettre au service de la « vengeance » : la violence verbale est une réponse à une violence subie de longue date, elle rend la réciproque à une oppression séculaire. Etienne confronte, en effet, deux violences, celle du capital, qui s'est déployée sur un siècle d'oppression, et cellequi doit lui être opposée, en guise de riposte, dans l'immédiat et dans l'avenir. Deux champs lexicaux se font donc face, tous deux se rapportant à la violence, l'un répertoriant les malheurs subis par les mineurs, l'autre dressant l'inventaire des avantages recueillis par les actionnaires et les régisseurs des compagnies minières. Le parallélisme concerne, d'une part, le travail séculaire de tout un peuple, qui a pour rançon la faim, l'usure, lamaladie, la misère, la souffrance et la mort ; et, d'autre part, le bonheur réservé à un petit nombre de privilégiésvivant dans le bien-être, l'oisiveté, la satiété et la santé.

Le travail est, en d'autres termes, la victime du capital.

Letableau ci-dessous regroupe les termes qui se font vis-à-vis : au champ lexic .al du malheur s'oppose celui du bonheur. Le sujet du roman (l'antagonisme du travail et du capital) est illustré par le conflit qui oppose les mineurs et lesreprésentants de la Compagnie (« le travail demanderait des comptes au capital »).

Le Voreux une fois détruit, la fosse de Jean-Bart sera remise en état et fonctionnera, tout comme les autres fosses, ce qui atteste la résistancedu capital et la faiblesse du travail. Mais quand Etienne tient son discours dans la forêt, tout paraît possible : la vengeance s'impose avec d'autant plusde force qu'elle paraît justifiée.

En particulier, l'entretien des mineurs avec Hennebeau a révélé que les vraisresponsables de la mine se retranchent dans l'anonymat et demeurent inaccessibles : le « dieu impersonnel, inconnu de l'ouvrier » incarne le pouvoir des sociétés par actions, à la fois anthropophage (l'idole se nourrit de « chair humaine ») et vampirique (« il suçait la vie des meurt-de-faim »). Pour que le grand nombre des ouvriers démunis vienne à bout du petit nombre puissant, dissimulé « dans le mystère de son tabernacle », il devra s'organiser, s'affirmer au grand jour.

La violence germinative et prolifique de l'« armée » des mineurs se manifestera comme une force virtuellement irrésistible.

Au monstre « accroupi », qui maintient « la brute écrasée dans les entrailles du sol », répliquera une poussée verticale, du bas vers le haut, des profondeurs de la terre vers la lumière du jour (« une armée poussait des profondeurs »). Puisque l'idole se retranche dans le mystère de son sanctuaire, les « incendies » la démasqueront (« on finirait bien par lui voir la face aux clartés des incendies »); de même, on noiera dans son sang le monstre vampirique.

Réduisant le mineur à la condition de la « brute », à « du bétail », il devra subir le même sort : l'idole, une fois métamorphosée en un « pourceau », « on le noierait sous le sang ». Il est également significatif que l'« éboulement », catastrophe familière au mineur de fond, soit perçu par les bourgeois de Montsou comme lé signe avant-coureur d'un ébranlement de la société : la « clameur » éveille « l'idée de quelque ébranlement formidable » («formidable », c'est-à-dire effrayant). La vengeance opère donc par les mêmes voies que la violence initiale : les mesures de rétorsion mettentstrictement en application la loi du talion.

A cet égard, on ne manquera pas d'être sensible à l'usagerépétitif que fait le narrateur du pronom on pour désigner, tantôt le Capital (« Ces misérables, on les. »

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