Primo Levi - Commentaire Du Poème Liminaire De Si C'Est Un Homme
Publié le 16/01/2013
Extrait du document
c) Une déshumanisation en masse
Quelques prisonniers sont cependant traités plus durement que les autres, suivant leur origine sociale,
leur crime ou leur religion. « Le bon-prime donne droit (aux prisonniers de droit commun et aux
politiques, pas aux juifs qui d’ailleurs ne souffrent guère de cette restriction) à une entrée au
Frauenblock « p 86. Des distinctions sont ainsi faites entre prisonniers suivant l’origine de leur
incarcération. Des rivalités entre les détenus naissent donc de ces différences de traitement. Les
hommes sont réduits à un état de lutte permanent dans leur quête de survie : « La loi du Lager disait :
« mange ton pain, et si tu peux celui de ton voisin « : elle ignorait la gratitude. « p 171-172. Ce pugilat
incessant enfonce les déportés dans leur déshumanisation.
Les prisonniers ont tous le même destin. La sélection anéanti en effet régulièrement la population du
Lager : « On sent l’approche des sélections
« Selekcja « : le mot hybride, mi-latin mi-polonais, revient de temps en temps puis de plus en plus
souvent dans les conversations en différentes langues.
«
musique éclate, nous savons que nos camarades, dehors dans le brouillard, se mettent en marche
comme des automates ; leurs âmes sont mortes et c’est la musique qui les pousse en avant comme le
vent les feuilles sèches, et leur tient lieu de volonté.
Car ils n’ont plus de volonté : chaque pulsation est un
pas, une contraction automatique de leurs muscles inertes.
Voilà ce qu’on fait les Allemands.
Ils sont dix
mille hommes, et ils ne forment plus qu’une même machine grise ; ils sont exactement déterminés ; ils ne
pensent pas, ils ne veulent pas, ils marchent.
»
Ainsi, les prisonniers du Lager sont quotidiennement exposés à des souffrances, des humiliations, des
supplices inhumains.
Chacun tente de survivre dans ce monde où tout est fait pour détruire l’être humain
en tant que tel.
Comment rester Humain dans un monde – celui du Lager – où tout est organisé pour la
déshumanisation ?
I- La déshumanisation
a) Une déshumanisation avant tout mentale
Les prisonniers du Lager souffrent mentalement ; cette souffrance est avant tout due aux souvenirs de
leur vie antérieure qui les hantent.
« Les camarades du Kommando m’envient, et ils ont raison ; ne
devrais-je pas m’estimer heureux ? Pourtant, tous les matins, je n’ai pas plus tôt […] franchi le seuil du
laboratoire que surgit à mes côtés la compagne de tous les moments […] : la douleur de se souvenir,
la souffrance déchirante de se sentir homme, qui me mord comme un chien à l’instant où ma conscience
émerge de l’obscurité.
» p 151.
La torture mentale se poursuit dans les rêves.
Dans l’extrait suivant,
Primo Levi rêve qu’il retrouve sa famille et veut leur raconter son histoire, cependant ils restent totalement
indifférents à son récit, le rêve se transforme en cauchemar : « Alors une désolation totale m’envahit
comme certains désespoirs enfouis dans les souvenirs de la petite enfance : une douleur à l’état pur qui
ne tempère ni le sentiment de la réalité ni l’intrusion de circonstances extérieures, la douleur des enfants
qui pleurent.
Mon rêve est là devant moi […] et je suis encore tout plein d’angoisse.
[…] Je me souviens
également de l’avoir raconté à Alberto, et qu’il m’a confié, à ma grande surprise, que lui aussi fait ce rêve,
et beaucoup d’autres camarades aussi, peut -être tous.
Pourquoi cela ? Pourquoi la douleur de chaque
jour se traduit-elle dans nos rêves de manière aussi constante par la scène toujours répétée du récit fait
et jamais écouté ? » p 65 D’autres rêves traduisent, eux, un certain nombre de souffrances quotidiennes
telles que la faim : « Certains gémissent et parlent, beaucoup font claquer leurs lèvres et remuent leurs
mâchoires.
Ils rêvent qu’ils mangent : cela aussi est un rêve collectif.
» p 65.
La souffrance mentale se manifeste
également par un mépris de soit.
Les prisonniers ont une image très pessimiste d’eux-mêmes ; les
Allemands les ont réduits à l’extrême.
« Il nous dit « Monsieur », ce qui est ridicule et déconcertant.
» p
149 Leur aspect physique les affecte beaucoup.
« Nous savons à quoi nous ressemblons […] Nous
sommes ridicules et répugnants.
» p 151-152 De plus, la déshumanisation devient totale lorsque l’homme
se compare à l’animal, comparaison issue de sa propre initiative … Cette comparaison revient à plusieurs
reprises : « Nous sommes entrés dans le laboratoire, timides, désorientés, et sur la défensive comme
trois bêtes sauvages qui s’aventuraient dans la grande ville.
» p 149 ; « Nous croisons d’autres spectres
affamés […] deux de ces créatures se disputaient quelques dizaines de pommes de terre pourries encore
disponibles.
» p 173-174 ; « Nous appartenions aux monde des larves […] ils avaient bel et bien fait de
nous des bêtes » p 184 ; « Au camp, matin et soir, rien ne me distingue du troupeau » p 151.
Ils sont
traités comme des animaux : « […] nous nous retrouvons tous debout, nus et tondus » p 23, les
prisonniers sont notamment marqués avec un numéro comme on marque des bêtes : « Mon nom est
174517 ; nous avons été baptisés et aussi longtemps que nous vivrons nous porterons cette marque.
»
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