Or, dans cet univers racinien, Phèdre occupe une place royale. Non seulement elle passe pour la plus achevée des tragédies classiques (son auteur aurait renoncé à la scène, sûr de ne pouvoir jamais se surpasser), mais la légende qui l'inspira, fondée sur d'étranges histoires, présente un exemple humain, poignant, inquiétant : une femme mûre et mariée, encore belle, de haut rang, s'éprend d'un tout jeune homme qui, circonstance aggravante, est le fils de son vieux mari. Passion d'une violence incontrôlable : elle s'exhale en propos, en avances impudiques. L'héroïne, refoulée, jalouse, perd sa santé, son équilibre, le sens de ses devoirs, de sa dignité. Loque secouée de crises hystériques, elle meurt après avoir ruiné le bonheur des siens. Ce pourrait être un fait divers à la une, exploité par des hebdomadaires friands de scandales. Mais Racine pare cette aventure scabreuse d'une noblesse, d'un charme tels que l'indécence de Phèdre se métamorphose en noblesse, en sublimité.
La fille de Minos et de Pasiphaé 1 aujourd'hui comme hier a ses « fans «. Tous ceux qui parlent du théâtre racinien lui consacrent le meilleur de leur talent. Phèdre (J.-L. Barrault), Phèdre (Ch. Dedeyan), Phèdre (Ch. Mauron), Lecture de Phèdre (Thierry Maulnier), Phèdre toujours... L'écran, petit et grand, interprète son mythe, transpose son drame dans le monde contemporain. On la voit dans un film, la Phaedra de Jules Dassin, gravir avec la frénésie d'une bacchante les degrés du théâtre de Dionysos.