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portrait de "Gnathon", La Bruyère, Les Caractères

Publié le 30/10/2014

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Lecture complémentaire n°1 : « Gnathon », La Bruyère, Les Caractères, XVIIe Siècle Introduction Les Caractères, grand oeuvre du moraliste La Bruyère, offre une riche galerie de portraits satiriques. Si les lecteurs du XVIIe siècle voulaient y voir des allusions à des personnages réels de l'époque et faisaient même circuler des « clés », ces portraits n'en restent pas moins des observations d'une grande acuité dans lesquelles La Bruyère épingle différents vices de la nature humaine en général. Ainsi, dans le chapitre « De l'homme », le moraliste dresse le portrait de Gnathon, un être profondément égoïste, se comportant en goujat et méprisant autrui. Le personnage prend une dimension quasiment allégorique et permet à l'auteur de dénoncer, par le biais d'une caricature très satirique, l'égocentrisme. Comment La Bruyère procède-t-il pour mener la critique de ce défaut ? Nous verrons dans un premier temps que Gnathon apparaît comme un être répugnant, avant d'étudier ensuite son égocentrisme. Enfin, nous observerons comment le portrait prend une dimension générale. I) Un être répugnant 1) Un goinfre La Bruyère présente son personnage dans différentes situations de la vie courante et accorde en particulier une grande attention au comportement de son personnage à table. En effet, sa manière de manger occupe plus de la moitié du texte et Gnathon apparaît d'emblée comme un être répugnant et goinfre. Il semble affamé et se remplit de nourriture sans arrêt et presque sans discernement, comme le soulignent les phrases relativement longues et souvent composées de propositions simplement juxtaposées : « il se rend maître du plat [...] : il ne s'attache à aucun des mets [...] ; il voudrait pouvoir les savourer tous ». De même, l'accumulation de verbes suivante suggère la rapidité de Gnathon à s'emparer de la nourriture : « il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire ». Il mange ainsi de manière mécanique, presque compulsive, et comme s'il n'allait jamais s'arrêter. Alors que le fait de se curer les dents signale en général...

« implicitement et très ironiquement l'incise suivante : « dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse ».

Ainsi, le personnage n'a aucun scrupule à s'octroyer ce qu'il y a de mieux et à mépriser tous ceux qui l'entourent, ne songeant qu'à son intérêt propre.

Il révèle par là même un repli essentiel sur lui-même. II) Un être égocentrique 1) L'égocentrisme Le comportement sans gêne et répugnant de Gnathon trouve son origine dans un égocentrisme profond.

Le portrait de La Bruyère met clairement en valeur ce trait en répétant comme un leitmotiv lancinant le pronom personnel sujet « il » par lequel s'ouvrent, de façon anaphorique, quasiment toutes les phrases du texte : « Il ne se sert à table que de ses mains », « Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés », « Il mange haut », et les déterminants possessifs qui sont également très nombreux : « son propre », « ses restes », « sa chambre ».

Dans bon nombre de phrases, il n'est question que de lui, il est le seul être humain évoqué.

En outre, le texte est construit sur un réseau d'oppositions qui soulignent le contraste entre Gnathon et les autres.

Le singulier du personnage s'oppose au pluriel, aux « conviés », aux « autres », à « tous les hommes ».

Le début du texte comporte ainsi deux antithèses successives mettant en évidence d'emblée l'égocentrisme du personnage : « tous les hommes sont à son égard comme s'ils n'étaient point », « il occupe lui seul celle [la place] de deux autres ».

Gnathon se distingue donc en permanence des autres, il ne songe qu'à lui, ne vit que pour lui et reste profondément indifférent au sort d'autrui. 2) L'indifférence à autrui L'égocentrisme de Gnathon le conduit à ignorer les intérêts des autres.

Le texte s'ouvre et se clôt sur des négations restrictives à cet égard très significatives et révélant bien le solipsisme du personnage : « Gnathon ne vit que pour soi », il « ne connaît de maux que les siens », « n'appréhende que la sienne [mort] ».

La présence des autres, leur importance et leur existence mêmes finissent par être niées par Gnathon.

La mention des autres s'accompagne souvent de l'usage de négations, en particulier dans la dernière phrase qui présente une énumération de verbes niés : il « ne se contraint pour personne, ne plaint personne, […] ne pleure point la mort des autres ».

D'ailleurs, cette dernière phrase est construite sur une gradation : La Bruyère commence par affirmer que Gnathon se moque de gêner les autres pour finir par remarquer que non seulement il ne se soucie pas de la mort des autres, mais même qu'il « n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain ».

L'hyperbole, particulièrement choquante, fait ici écho au tout début du texte qui déjà niait l'existence des autres, « comme s'ils n'étaient point ».

La boucle semble bouclée, le portrait est définitivement centré sur un unique personnage, à l'exclusion de tout autre, comme pour bien symboliser l'égocentrisme absolu d'un être qui ne se préoccupe que de lui.

Le moraliste livre ici une satire particulièrement vive de ce genre d'individu. III) Un portrait charge 1) Une caricature Le moraliste est absent de son texte, il ne prend jamais directement la parole en son nom et se contente d'utiliser parfois le pronom personnel indéfini « on », comme dans « on le suit à trace ».

Cependant, sa critique de Gnathon n'en reste pas moins une satire acerbe.

Souvent le portrait tombe dans la caricature.

Les accumulations de verbes mais aussi les nombreux pluriels et indéfinis à valeur généralisante, en particulier avec la répétition de tous ou tout : « tous les hommes », « essayer de tous », « il voudrait pouvoir les savoir tous », « tout à la fois » visent à accentuer la critique de Gnathon en exagérant les défauts de son caractère et en leur donnant une dimension. »

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