POLYEUCTE, TRAGÉDIE PSYCHOLOGIQUE ?
Publié le 15/03/2011
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Gustave Lanson, dans son livre sur Corneille, se plaint des partis pris de la critique actuelle qui se fait de la vérité humaine une conception trop étroite. Que le roman et le théâtre mettent sous nos yeux des êtres sans volonté, qui ont abandonné tout contrôle sur leurs passions et sur eux-mêmes, qui assistent impuissants et à peine émus à la désagrégation de leur personnalité intellectuelle et morale, nous nous récrions sur le réalisme de leurs peintures et nous estimons que cette veulerie qu'ils nous présentent est l'humanité même dans sa vérité courante. Il se peut, ajoute Gustave Lanson, que ce soit la vérité d'aujourd'hui, mais ce n'est pas la vérité du temps de Corneille. Il y avait à son époque autant de bassesse qu'aujourd'hui ; peut-être y avait-il, chez certains hommes, même dans le crime, plus d'énergie et plus de grandeur. Les caractères avaient plus d'allure. Est-ce cette vigueur qui correspond à ce que peut l'humanité véritable ou est-ce notre lâcheté qui est normale ?
«
de ce temps ne subissait le contre-coup de l'agitation religieuse.
Polyeucte est déjà chrétien dans l'âme, tandis quePauline partage sur le compte des chrétiens les préjugés de sa confidente Stratonice.
Pauline est troublée ; elle aeu un songe ; elle le raconte ; elle raconte sa jeunesse.
Allées et venues, Polyeucte sort.
— Reste, j'ai peur.
—Non.
Il s'en va.
Premier nuage, premier dépit.
Tout ce décor que Corneille, adroitement, dresse dans le fond de sondrame, aux premières scènes, est la vérité même.
Nous assisterons à un miracle ; mais nous ne verrons pas le ciels'ouvrir et descendre sur les planches ; le miracle sera dans les âmes humaines, dans une maison terrestre, sur laterre.
Ces âmes, regardons-les vivre et créer leur univers avec cette richesse psychologique dont Corneille leur a fait don.Passives ? Immobiles ? Butées une fois pour toutes ? Si on l'a dit, c'est qu'on ne les a pas comprises.
Tendues, oui,autoritaires, maîtresses de leur destin, grâce à une volonté vigoureuse qui a l'habitude de commander.
Mais cettevolonté a constamment besoin de faire appel à la raison, à l'intelligence claire pour dissiper les fantômes quirenaissent, pour vaincre les passions toujours ardentes, les vaincre ou les utiliser ; elle fait appel même à despuissances plus obscures, ou du moins elle en accepte le concours, lorsqu'il va dans le sens de son mouvement, etcette fusion harmonieuse de la raison et de l'inspiration, qui est la loi même de 1a.
vie, met certaines créations deCorneille, telle Pauline, tout à fait hors de pair.
Polyeucte...
je considère ici l'homme, non le martyr de la Grâce...
est un oriental aux réactions brusques, qui seporte vite d'un extrême à l'autre et qui manque de mesure.
La Grâce le prendra et le laissera tel qu'il est, ce sera unsaint sans mesure ; il y en a d'autres.
Marié depuis quinze jours, il est très amoureux de sa femme.
Il craint de lafâcher ; il n'ose pas sortir parce qu'elle a fait de mauvais rêves.
Il avoue cette faiblesse avec une nuance deconfusion.
Mais l'heure est venue pour lui, catéchumène depuis longtemps, d'aller recevoir le baptême et il y va,avec un plein consentement, sans un véritable enthousiasme.
La Grâce tombe sur cette âme ardente et hésitante ;elle fixe ses hésitations et déchaîne ses ardeurs.
Et nous verrons les bouillonnements de la Grâce dans une âme quimanque de mesure.
Elle ne lui fait pas oublier Pauline.
Evidemment Pauline, qui pousse la franchise jusqu'au scrupule,lui a raconté son roman avec Sévère.
Il en a souri ; il n'est point jaloux de Sévère puisque Sévère est mort.
Maisnon, Sévère est vivant, il est revenu « il fait visite » à sa femme.
Polyeucte ne s'avouera pas qu'il est jaloux, parcequ'il a le culte de Pauline, mais il l'est au fond du subconscient ; il l'est puisqu'il dit qu'il ne l'est pas et qu'on a tortde soupçonner qu'il pourrait l'être.
Quoi vous me soupçonnez déjà de quelque ombrage !
Déjà est révélateur.
A peine Sévère est de retour, à peine ai-je prononcé son nom que vous m'accusez de jalousie !Plus tard, Sévère pourrait prendre une attitude telle que la jalousie deviendrait naturelle.
Pour le moment elle seraitdéraisonnable.
Aussi n'est-ce qu'un nuage.
Voici une plus grave affaire.
On appelle Polyeucte au temple pour le sacrifice.
Il pourraitrefuser de s'y rendre.
Mais son caractère extrême se porte aux extrêmes.
Il ira au temple, faire du scandale.
Briserles statues des dieux.
Pourquoi ? parce qu'une force intérieure le pousse, parce qu'il faut faire éclater au dehors lagrâce qui le possède.
Il n'a qu'un but proclamer Dieu, faire triompher Dieu ; qu'importe le reste ? C'est une aventure,c'est une violence ; justement Polyeucte a un caractère emporté et aventureux, la Grâce le pousse à agir et il agitdans le sens de son caractère.
Chez un homme doux, ami de la pauvreté et de la chasteté, la grâce aurait prisd'autres formes ; saint Alexis, le pauvre sous l'escalier, habité par la grâce de Polyeucte, ne ressemble pas àPolyeucte.
Fils de rois, élevé par l'intelligence au-dessus des superstitions populaires, il met dans sa manifestationquelque orgueil aristocratique et il écarte tout ménagement comme une faiblesse roturière.
Le voilà seul dans sa prison.
L'effervescence est tombée.
Que va-t-il arriver ? Les lois sont formelles, c'est la mort.Il faudra quitter la fortune et les grandeurs ; pauvres choses.
Il faudra quitter Pauline et ce sera une déchirantedouleur.
Elle se consolera, elle épousera Sévère qui est arrivé au bon moment.
Cette fois la jalousie entre presquedans la lumière de la conscience.
Mais, par ces sacrifices, il va d'un coup gagner le ciel, mériter de vivre avec Dieu.Il n'y a pas à hésiter.
L'aventure de la vie évitée, l'issue assurée, avec le peu qu'est la vie, le bonheur éternelacheté ; qui hésiterait ?
C'est l'instinct de la vie qui hésite et résiste.
Il y aura de durs combats à livrer.
La grâce l'aidera.
La grâce dubaptême, la grâce du martyre de Néarque.
Il est mort avec courage, le sourire aux lèvres.
Un Polyeucte doit êtrecapable d'en faire autant.
Oui pourvu que Dieu aide.
Pour obtenir qu'il aide, il faut tout donner, se donner, aimer,aimer uniquement ce Dieu.
Se détacher de Pauline et vaincre la jalousie.
Car la jalousie renaît.
Pour tuer ce monstredont la vue le couvre de honte, il imagine un sacrifice radical : lui-même, il donnera Pauline à Sévère.
Est-ce assez,ô Dieu qui voulez tout pour donner tout ?
La résolution est prise; qu'on aille quérir Sévère ! Car Pauline va venir.
Il le sait, il s'y est préparé ; il s'est répété lespropos qu'il lui tiendra, propos durs, violents — on sait qu'il manque de mesure ! — qui la décourageront et latourneront vers Sévère.
Et cet homme bien élevé, cet homme qui aime Pauline plus que lui-même, cet homme quis'oublie devant elle à pleurer et à lui dire
C'est peu d'aller au ciel, je veux vous y conduire.
(Sans Pauline le ciel est peu ?) cet homme manifestement amoureux, qui tressaille dans sa chair quand Pauline lui ditface à face,.
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