Poètes EN GUERRE de 1940 à 1949 : Histoire

L'épisode de la guerre — occupation, captivité, résistance — voit resurgir une véritable impulsion poétique. Deux générations de poètes, les anciens — Louis Aragon, Paul Éluard, Robert Desnos — et les modernes - Pierre-Jean Jouve, René Char, Francis Ponge -sont enclins alors à dépasser le jeu de l’imaginaire pour enfermer dans le poème le cri de la révolte et la passion de la justice. Pour toute la littérature, ces années d’épouvante représentent l'apogée d'un mythe humaniste qui a mûri durant la décennie précédente et s'est écroulé dès la Libération. Poésie instrumentale où les mots ne sont plus des signes mais des choses, où la parole est action... Poésie engagée qui est aussi position médiane entre la polémique et la gratuité, la relativité du fait historique et l'absolu métaphysique...

Poètes de l’exil

A partir de 1941, André Breton s’installe aux États-Unis. Le père du surréalisme, devenu speaker aux émissions françaises de la Voix de l’Amérique, veut plus que jamais repassionner la vie: «L'Amour, la Poésie, c’est par ce seul ressort que la pensée humaine parviendra à reprendre le large.» Le langage poétique sera alors un langage de rupture, qui répudie la «mode intellectuelle du temps» et «toute forme d'engagement qui se tient en deçà de cet objectif triple et indivisible: transformer le monde, changer la vie, refaire de toutes pièces l’entendement humain...» Pour Breton, en effet, la guerre résulte d'une soif collective d’exaltation; l’amour peut démystifier ce désir primaire car il offre à l’homme la seule aventure qui soit à la fois spirituelle, charnelle et cosmique. Le défenseur du hasard objectif ressent ces cinq années d'exil comme une mesure contraignante à sa liberté. Dans les Prolégomènes (1946) que Breton rédige à cette époque, il se défait du ton quelque peu péremptoire qu'on lui connaissait avant guerre pour laisser place au scepticisme et au désenchantement: «Face aux événements, l'homme est impuissant à être autre chose que la victime ou le témoin...» Le surréalisme, il est vrai, vit les derniers sursauts de son rayonnement international. A New York, en 1942, une grande exposition lui est consacrée alors qu’est lancée la revue VVV par Breton, Max Ernst et le peintre Marcel Duchamp. En France, Jean-François Chabrun, Marc Patin, Noël Arnaud et Léo Malet entretiennent l'esprit et la production surréalistes dans la Main à plume qui diffuse, jusqu’en 1944, ses plaquettes. De leur côté, Tristan Tzara, Michel Leiris et Philippe Soupault envoient périodiquement des tracts à des revues clandestines.

Alexis Leger — l’ancien diplomate déchu par le gouvernement de Vichy de sa nationalité française —, Janus bifrons dont l’une des faces est celle du poète Saint-John Perse —, arrive aux États-Unis le 14 juillet 1940; il prolongera son exil jusqu’en 1957. Avec la guerre débute la période la plus féconde de son œuvre poétique. Il écrit Exil (1942), Poème à l'Étrangère (1943), Pluies (1943), Neiges (1944) qui paraissent clandestinement en France. Le verbe, chez Saint-John

Trois destins tragiques

Il semble qu'une obscure fatalité se soit acharnée sur Saint-Pol Roux jusqu’au coup mortel porté par l’occupation... Alors que le poète symboliste ne s’était jamais tout à fait remis de la mort de son fils puis de sa femme, son manoir de Camaret est en 1940 le théâtre d’un cauchemar insoutenable: un soldat allemand tue Rose, la servante, blesse et violente Divine, sa fille; le manoir est pillé puis incendié, emportant dans ses flammes de précieux manuscrits. Dès lors, l’onirisme étrange si familier du poète est impuissant à le protéger d'une telle cruauté. Victime de la «hideuse réalité», Saint-Pol Roux se laisse mourir en octobre 1940, à l’hôpital de Brest. Les surréalistes avaient célébré son œuvre résolument moderne ; en tant que résistant, Vercors fut plus sensible encore au martyre de l’homme à qui il dédia son roman le Silence de la mer (1942).

Max Jacob, issu d’une famille juive de Bretagne, était depuis de longues années converti au catholicisme. Sa poésie, très spirituelle, exalte tout autant les superstitions ancestrales, le fantastique celte que l'humilité et l’extase chrétiennes. Le 24 février 1944, il est arrêté par la Gestapo et incarcéré au camp de Drancy. Est-ce vraiment une broncho-pneumonie qui le terrasse le 5 mars de la même année? La disparition de ce poète martyr laisse un grand vide, notamment dans le cœur de son ami Jean Cocteau qui chercha en vain à le faire libérer.