Poésie: Rimbaud et de Verlaine

« Paul Verlaine et Arthur Rimbaud Art hur Rimbaud et Paul Verlaine: le premier, l 'homme aux semelles de ven t, révolutionne la poésie , l e s econd, l'ivrogne céleste, lui apporte une mu s icalité audacieuse.

Deux poètes à la fois unis et maudits par leur impo ssible amour et chacun en proi e à de s déchirements intéri eurs dont leur œuvre es t l ' impi t o y able refle t.

S eptembre 1871.

Voilà plus d 'un an que Paul Verlaine est marié.

Pourtant , c'est un homme frustré , sans pouvoir préci ser de quoi.

Un jeune garçon inconnu de dix-sept ans, Arthur Rimbaud, lui a envoyé des poèmes , d'«une beauté effrayante ", et des lettres qui le supplient de l'arracher à Charleville , sa ville ' Portrait de Rimbaud exécuté de mémoire par Paul Verlaine.

Certains épisodes de la liaison , passionnée et tumultueuse , des deux poètes transparaissent dans Une saison en enfer (1873) , texte étrange et violent où Rimbaud ironise sur lui-même .

Coinde .....

table , par Fantin-Latour.

On reconnaît , parmi cette assemblée de poètes et d 'hommes de lettres , Paul Verlaine , assis à l'extrême gauche du tableau , et Arthur Rimbaud , assis à la gauche de son ainé.

L 'amitié entre les deux poètes sera de courte durée.

natale .

«Venez , chère grande âme ...

, on vous attend ", répond Verlaine.

Sur le principe d' une hospitalité provisoire, Rimbaud s'installe à Paris au sein du ménage Verlaine , et bientôt le brise .

En janvier 1872 , Verlaine a quitté sa femme Mathilde .

Il entame avec le «Satan adolescent >>, comme il l'appelle alors, deux années d'une vie vagabonde , entre la Belgique et L9ndres , semée de brouilles et de réconciliations.

A Bruxelles , le 10 juillet 1873 , Verlaine, ivre , tire deux coups de feu sur Rimbaud, qui s'apprête à le quitter, et le blesse légèrement à la main.

Il est condaf!Jné à deux ans de réclusion qu'il purge à Mons.

A sa sortie de prison , Verlaine tentera de faire partager sa conversion religieuse à Rimbaud , alors précep­ teur à Stuttgart, lors d'une dernière rencontre.

Mais le fossé s'est définitivement creusé entre l'aîné expérimenté et le mauvais Ange.

Du point de vue littéraire, tout les oppose, et l'influence que chacun aura sur l'autre demeure marginale.

L'enfant-poète Arthur Rimbaud est né en 1854 à Charleville.

Il a laissé une œuvre et aussi une légende .

À l'école, c ' est un bon élève qui rafle tous les prix de poé­ sie.

Il commence par des pastiches et des rémi ­ niscences de poètes connus.

La révolte viendra plus tard.

À seize ans , il fait une rencontre déci­ sive, celle d'un jeune professeur de lettres de vingt-deux ans , Georges lzambard , qui l'initie au modèle parnassien (mouvement néoclassique en quête de formes érudites et parfaites , au nom de l'art pur), celui des poètes Théodore de Banville et Leconte de Lisle.

La guerre de 1870 marque son esprit et lui inspire le poème le Dormeur du val.

Début 1871 , il c ompose un long poème , le Bateau ivre , puis le Cœur volé, récit inspiré de la Commune de Paris (mai 1871) , dont la répres­ sion l'indigne.

Vigoureuse et sensible , cette pre­ mière période de Rimbaud ne dépasse pourtant pas la poésie consciencieuse et scolaire .

«Je est un autre, , L'interrogation sur la poésie intervient en mai 1871, non dans un poème mais dans deux lettres à Georges lzambard et à Paul Demeny, un autre poète.

Dans un véritable manifeste poétique, Rimbaud délivre quelques formules parmi les plus célèbres de toute la littérature française .

>, «Il s'agit d ' arriver à l'inconnu par le dérè­ glement de tous les sens>>, «Il est faux de dire: Je pense.

On devrait dire: on me pense >>.

Il dénonce ceux qui sacrifient à la poésie subjec­ tive , sen timentale et lyrique à la Alfred de Musset, qui enferme l'homme dans la domination d'une classe, d'un dieu, d'un sujet.

Or, le poète n'est pas le produc t eur mais le produit de sa poésie.

Il est dépossédé de sa liberté, de son identité: >, déclare Arthur Rimbaud.

Les poèmes des 11/uminations marqueront l'avènement de cet «autre>> et de la poésie moderne.

L'homme aux semelles de vent Tout ce qui imite le réalisme doit faire place à l'ivresse du verbe.

En quête d 'un langage poé­ tique nouveau , Rimbaud choisit les sens contre le sens: ce sont nos sensations qui nous ouvrent au monde et nous permettent de le déchiffrer.. »