Pierre Reverdy : « La cloche coeur », extrait de Plupart du temps

La cloche qui sonne on ne l'entend pas L'air est trouble Un bruit de pas glisse sur le palier Personne n'entre Non personne ne veut entrer Il y a là une ombre qui tremble Le soir est à la vitre et baigne la maison Je suis seul Et le temps d'attendre A noué l'heure à la saison Plus rien ne me sépare à présent de la vie Je ne veux plus dormir Le rêve est sans valeur Je ne veux plus savoir ce qui se passe Ni savoir si je pense Ni savoir qui je suis Dans la nuit les murs blancs fondent autour du poêle Quand le chat regardait les signes du plafond II n'y aura rien ce soir Arrête ta mémoire Personne ne viendra te voir Le coeur mieux étouffé bat sous la couverture Et se démène à corps perdu Qui viendra lui donner Sa dernière blessure Et qu'il ne se réveille plus. Pierre Reverdy a publié en 1915 un recueil de Poèmes en prose et fondé en 1917 avec Apollinaire et Max Jacob, la revue d'avant-garde Nord-Sud. Lorsque parurent Les Épaves du ciel (1924), les surréalistes l'ont salué comme un des leurs; mais il se tint à l'écart de leur mouvement et se retira, dès 1926, à Solesmes, où il est mort. Dans Le Gant de crin (1927), Le Livre de mon bord (1948), il a fixé ses réflexions sur la vie et sur l'art. Ce poète solitaire et secret garde la nostalgie d'une enfance heureuse; le souvenir de séjours prolongés à la campagne et au bord de la mer lui rend d'autant plus pénible et étouffante l'atmosphère parisienne. Inadapté à la vie sociale, au monde en général, il cherche dans la poésie une évasion. Des images denses et surprenantes s'imposent à lui pour exprimer sa souffrance, ou l'inconfort de la condition humaine : ainsi celle du saltimbanque dont les bras tatoués de bleu, en soulevant des haltères, « prennent le ciel à témoin de leur force inutile ». Son art, d'une rigueur subtile, reconstruit ses impressions fugitives avec une netteté de trait et de contour qui fait songer au cubisme.