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Pierre CORNEILLE (1606-1684), Rodogune , princesse des Parthes (1644) : Acte V, scène 1 : monologue de Cléopâtre

Publié le 22/02/2012

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Pierre CORNEILLE (1606-1684), Rodogune , princesse des Parthes (1644) : Acte V, scène 1 : monologue de Cléopâtre Acte V, scène 1 : Cléopâtre CLEOPATRE Enfin, grâces aux dieux, j'ai moins d'un ennemi : La mort de Séleucus m'a vengée à demi ; Son ombre, en attendant Rodogune et son frère, Peut déjà de ma part les promettre à son père ; Ils le suivront de près, et j'ai tout préparé Pour réunir bientôt ce que j'ai séparé. O toi, qui n'attends plus que la cérémonie Pour jeter à mes pieds ma rivale punie, Et par qui deux amants vont d'un seul coup du sort Recevoir l'hyménée, et le trône, et la mort, Poison, me sauras-tu rendre mon diadème ? Le fer m'a bien servie, en feras-tu de même ? Me seras-tu fidèle ? Et toi, que me veux-tu, Ridicule retour d'une sotte vertu, Tendresse dangereuse autant comme importune ? Je ne veux point pour fils l'époux de Rodogune, Et ne vois plus en lui les restes de mon sang S'il m'arrache du trône et la met en mon rang. Reste du sang ingrat d'un époux infidèle, Héritier d'une flamme envers moi criminelle, Aime mon ennemie et péris comme lui ! Pour la faire tomber j'abattrai son appui : Aussi bien, sous mes pas c'est creuser un abîme Que retenir ma main sur la moitié du crime, Et, te faisant mon roi, c'est trop me négliger Que te laisser sur moi père et frère à venger. Qui se venge à demi court lui-même à sa peine : Il faut ou condamner ou couronner sa haine. Dût le peuple, en fureur pour ses maîtres nouveaux, De mon sang odieux arroser leurs tombeaux, Dût le Parthe vengeur me trouver sans défense, Dût le ciel égaler le supplice à l'offense, Trône, à t'abandonner je ne puis consentir ! Par un coup de tonnerre il vaut mieux en sortir, Il vaut mieux mériter le sort le plus étrange : Tombe sur moi le ciel, pourvu que je me venge ! J'en recevrai le coup d'un visage remis : Il est doux de périr après ses ennemis, Et, de quelque rigueur que le destin me traite, Je perds moins à mourir qu'à vivre leur sujette. L'étude de quelques tragédies consacrées par une longue admiration a longtemps caché la variété et le non-conformisme du théâtre de CORNEILLE. Ce n'était pourtant pas le Cid ni Cinna que celui-ci préférait dans son oeuvre : c'était Rodogune, dont le dernier acte lui paraissait ce qu'il avait écrit de plus beau. Au seuil de ce cinquième acte reparaît le protagoniste de la tragédie, la farouche reine Cléopâtre. Après avoir tué son mari, Démétrius Nicanor, parce qu'il se proposait de la répudier et d'épouser Rodogune, la soeur du roi des Parthes, elle s'est aperçue que ses deux fils, Antiochus et Séleucus, sont amoureux de cette princesse. La reine a quitté la scène, à la fin de l'acte IV, en méditant le meurtre des deux jeunes gens. C'est pour donner le signal d'une extraordinaire course vers la mort que cette déconcertante héroïne cornélienne se dresse ainsi, sombre, auréolée d'une sorte d'éclat noir.
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« BEAUMARCHAIS) ou préparés à une issue fatale (comme dans presque toutes les tragédies raciniennes), nousnous attendons à tout.

Rodogune se déroule dans une atmosphère de mélodrame : un criminel hors série invente des crimes inouïs.

De là les coups de théâtre, les effets de surprise (chers à CORNEILLE) dont la pièceest si riche.

On pressent tout de suite, ici — et le jeu de l'actrice peut à lui seul l'annoncer — la catastropheexceptionnelle. Révélations.

Après un vers sibyllin, la reine annonce, avec une concision brutale, le meurtre de Séleucus.

Enquelques vers, elle exprime sa joie (v.

1497), établit un premier bilan (y.

1498), se délecte à imaginer un court« Dialogue des morts » (v.

1499-1500), apostrophe celui qu'elle vient de frapper (v.

1501-02). 2. Le meurtre imminent d'Antiochus et de Rodogune, annoncé déjà avec celui de Séleucus (à demi ; en attendant Rodogune et son frère, etc.), est mis bientôt en pleine lumière (v.

1503-1509, 1517-18).

Même esthétique de l'incertitude : les premiers vers (1504-1505 surtout) ne deviennent clairs que grâce à l'invocation, elle-mêmeinattendue : Poison.

L'annonce de ces apprêts, les interrogations de la reine (v.

1507-1509), la perspective d'une révolte populaire ou (et) d'une invasion étrangère (y.

1525-1536), tout cela introduit un extraordinaire « suspens ». Mort et apocalypse.

La mort règne en maîtresse dans ce monologue.

Par les faits eux-mêmes (assassinats commis,projetés ou entrevus comme en rêve).

Par le vocabulaire : la mort de Séleucus...

Son ombre (v.

14981499), mots en relief en début de vers, et le second isolé par la coupe —Mort à la rime (v.

1506).

Retour de termes : tomber (v. 1518, 1532), périr (v.

1517, 1534).

Corneille a varié son vocabulaire funèbre avec jeter à mes pieds (y.

1504), j'abattrai (y.

1518), le coup (y.

1533); et la violence de son héroïne lui a inspiré cette image horrible : Dût le peuple en fureur pour ses maîtres nouveauxDe mon sang odieux arroser leurs tombeaux (v.

1525-26). Ce règne de la mort tourne bientôt à l'apocalypse : abîme (v.

1519), tombes arrosées de sang humain (v.

1525- 26), multitudes en folie (v.

1525), déferlement d'envahisseurs légendaires (v.

1527), supplices inouïs (v.

1528).

Lareine elle-même appelle une telle fin le sort le plus étrange (v.

1531), c'est-à-dire hors du commun, jamais vu; et aussi un coup de tonnerre (v.

1530), une mort en apothéose, mais dans une apothéose couleur de sang.

Ces visions n'ébranlent pas son courage, et elle défie la mort elle-même en deux célèbres vers-médailles : Tombe sur moi le ciel, pourvu que je me venge...

Il est doux de périr après ses ennemis. Vers étonnants par leur contraste de ton, et qui, précisément, expriment à merveille l'un la cruauté etl'acharnement, l'autre la douceur amère de la vengeance, dont le désir obsède ce coeur indomptable. Transition : Les héros cornéliens des années 1636-1642 nous avaient habitués à des horizons moins déconcertants. 11.

Une héroïne déconcertante 1.

Vengeance et ambition.

Les deux grandes passions de ce coeur sont d'une telle violence qu'on pense, ici, à bien des drames romantiques.

La reine ne se contente pas de les subir, elle les chérit.

De là ces cris d'amour aupoison ou au trône, ces apostrophes brûlantes : Trône, à t'abandonner je ne puis consentir (v.

1529).

Passions d'autant plus fortes qu'elles s'appuient l'unel'autre : Poison, me sauras-tu rendre mon diadème? (v.

1507). Ce sont deux passions redoutables, moins chargées de faiblesse que l'amour.Rodogune ne fait ici que s'appuyer sur des sentiments qui avaient déjà inspiré maintes pièces de théâtre depuis lafin du XVIe siècle (de SHAKESPEARE à CORNEILLE lui-même).

Mais il est douteux qu'on les rencontre ailleurs aussi unies et portées à une telle incandescence. C'est à les épanouir et à les réaliser pleinement que la reine a mis son point d'honneur, sa « gloire ».

Elle n'est doncni un être marqué par une hérédité criminelle (Néron), ni une conscience déchue à la recherche d'on ne sait quellepureté dans le crime.

C'est une femme lucide, une volonté qui a choisi ses propres valeurs et les réalise sansdemi-mesure.

Sa « gloire » est étrangère à la morale reçue comme à la morale chrétienne, tandis que celle deRodrigue, d'Auguste ou de Polyeucte en est proche : mais cette proximité ou cet éloignement sont accessoires.Sont cornéliens ceux qui servent avec une constance inébranlable les valeurs qu'ils se sont données. « Retour de faiblesse ».

Si cette constance se révèle inébranlable, c'est que toujours CORNEILLE tente de l'ébranler.

Rodogune a conservé quelques traces de tendresse maternelle.

Elles réapparaissent au seuil de ladécision (v.

1509-1514), mais sont bientôt balayées par la puissance du complexe passionnel vengeance-ambition.

L'héroïne devait en triompher pour s'élever à sa ténébreuse, grandeur, car, dans la sphèrecornélienne, où règne la « gloire », ce retour de tendresse est aussi maléfique que les attraits de Pauline surle coeur de Polyeucte. 2. Force d'âme et « force des vers ».

Cette domination de la volonté est en quelque sorte transcrite dans 3.. »

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