"Photographier, c'est conférer de l'importance" Susan Sontag.
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
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Exemple : dans les débuts de la photographie, sous le Second Empire ou la Troisième République, le Souverain, les grands leaders politiques se font photographier.
Il s'agit soit de portraits, soit de clichés pris dans l'exercicede leurs fonctions : en voyage, lors d'un discours à la Chambre, à la signature d'un traité, etc.
Ces portraitsreproduits en un nombre limité d'exemplaires sont archivés ou répandus par la presse.
Dans ce cas,l'importance politique du personnage (dans les faits et dans l'imaginaire) est non seulement enregistrée,attestée par le photographe, mais celui-ci contribue aussi à
accroître sa notoriété, sinon sa popularité, et augmente son poids dans le jeu des forces.
Les citoyens voients'étaler à la une des journaux l'image solennelle d'une poignée de mains qui devient «historique» et modèle l'opinion publique.
On peut voir une preuve éclatante de l'importance conférée par la photographie politique, par les trucagessubtils dont certaines ont fait l'objet.
Un album de nombreux clichés «retouchés» mis en parallèle avec les originaux, paru il y a quelques années, atteste l'importance extraordinaire conférée par la photographie.
En faisant«disparaître» tel ministre, on compte nier sa participation et jusqu'à son existence.
Autre exemple : l'album de mariage.
Réalisé «hier» par un professionnel, aujourd'hui souvent composé d'une sélection des meilleurs clichés pris par des invités amateurs — attendu avec impatience, conservé avec soin,feuilleté et commenté avec émotion...
Ce type de photographies fait partie intégrante depuis le début du siècledu cérémonia1.11confère de l'importance aux différents moments du rituel (religieux ou civil).
Il manifestel'unité de la famille, du clan et contribue à la rendre plus forte.
Il rend moins dérisoire les dépenses effectuéesen conservant l'image du résultat obtenu (costumes décors, repas, fleurs...).
Ces deux exemples appellent quelques réflexions :
– La photographie, à ses débuts, est un procédé coûteux : la prise de vue requiert des conditions techniquesdifficiles à réunir, un matériel rare.
Celui qui se fait photographier se voit donc crédité d'un certain rang social.
Enoutre, seules les circonstances exceptionnelles méritent d'être enregistrées.
En cela, la photographie naissantefonctionne comme la peinture (ou la gravure).
En revanche, le choix de se faire photographier est le signe d'unesprit moderne, qui croit au progrès technique et, dans ce sens aussi, elle lui confère de l'importance, en le classantparmi l'élite éclairée, tournée vers l'avenir.
– La rareté de la photographie lui donnait de la force.
Dans la suite,d'autres atouts ont renforcé ses pouvoirs : la facilité de multiplication des clichés, le format modulable à volonté (dela photo d'identité au poster ou même au placard mural).
Ainsi, à l'occasion de l'anniversaire de l'appel du 18 juin1940, les murs de Paris se couvraient de photos d'archives retraçant les grands moments de la carrière politique dugénéral de Gaulle.
Campagne d'affichage destinée à redonner de l'importance à ce grand homme...
et de la légitimitéaux mouvements qui se réclament de lui.
Outre l'aspect social de la question, on peut s'intéresser à certains ressorts psychologiques de la photographie.
Pour évoquer une personne, un fait, nous avons besoin d'une image mentale.
Celle-ci peut êtrele fruit de notre imagination.
Mais s'ils sont contemporains de la photographie, elle est fournie par tel ou telcliché qui a retenu notre attention.
Remarquons par exemple que c'est quand le visage d'un chanteur estreproduit et identifié sur les pochettes de disque, les affiches ou dans les revues, qu'il peut devenir une «idole»(le mot n'est-il pas significatif ?).
Certains clichés sont devenus par la vertu de la photographie des emblèmes.visage d'Einstein auréolé de cheveux fous, emblème du génie ; Che Guevara,
son béret et sa barbe foisonnante, en 1968, signe et catalyseur de la ferveur révolutionnaire chez beaucoupd'étudiants.
Une photographie peut devenir un objet fétiche, que l'on préférera parfois à son modèle : photo d'une personneaimée, photo de soi enfant.
Il s'agit là d'une représentation de la personne qui à la fois ravive le désir et nourrit lafrustration ou la nostalgie.
Le marché prospère de la photographie érotique repose sans doute en partie sur ceparadoxe.
Enfin, plus généralement, la photographie entretient la mémoire et permet la réminiscence.
Souvent, nous croyonsnous souvenir d'une personne et nous nous apercevons que nous nous rappelons certaines photographies.
Il devientimpossible de départager la réalité de sa reproduction.
Celle-ci produit un effet au moins égal à celle-là.
Troisième partie : remise en cause : l'opinion de S.
Sontag n'est-elle pas périmée ?
Même dans une époque assez lointaine, on peut observer que la définition de S.
Sontag ne s'applique pas bien àtoutes les photographies.
Celles-ci n'ont parfois comme objet que d'enregistrer, de témoigner.
De nombreusesphotos montrent à la fin du XIXe siècle les chantiers de construction de bâtiments qui ne sont pas encore desmonuments.
Ainsi, on peut acquérir au Musée d'Orsay des reproductions en format carte postale de clichés d'époquemontrant la construction de la gare d'Orsay, ou encore de sa transformation en musée dans les années 1980.
Il semble que, dans ce cas, l'intérêt tient du reportage et que l'objet n'est pas valorisé.
C'est notre curiosité qui est sollicitée, non notre jugement.
Jusqu'au milieu du XXe siècle, c'est par son caractère nouveau ou relativement exceptionnel que la photographie.
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- « Photographier, c'est conférer de l'importance » écrit Susan Sontag dans Sur la photographie (1983). C'était sans doute vrai autrefois lorsqu'une famille exposait avec fierté les deux ou trois portraits réalisés au cours d'une vie entière. On peut se demander si Susan Sontag a raison aujourd'hui alors que la photographie s'est banalisée et que nous vivons dans un monde rempli d'images. Qu'en pensez-vous ?
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