« Photographier, c'est conférer de l'importance » écrit Susan Sontag dans Sur la photographie (1983). C'était sans doute vrai autrefois lorsqu'une famille exposait avec fierté les deux ou trois portraits réalisés au cours d'une vie entière. On peut se demander si Susan Sontag a raison aujourd'hui alors que la photographie s'est banalisée et que nous vivons dans un monde rempli d'images. Qu'en pensez-vous ?

« décharnés des camps de concentration, des pitoyables cohortes de l'exode, des chefs d'État deYalta où Roosevelt paraît moribond.

La photo est témoignage : qu'on se rappelle les récentesaffiches célébrant le centenaire de la naissance de Charles de Gaulle à travers des photos politiquesen noir et blanc.

En tant que témoignage, elle peut également être soumise à la manipulation.

Leformidable pouvoir de la photo n'a pas échappé aux dictateurs contemporains qui l'ont utilisé pourleur propagande.

Une récente exposition a été consacrée à la photo politique truquée : portraitsretouchés pour plus de dignité, de prestige, d'emphase, de Staline, d'Hitler, de Mao ; photographiesde groupe où l'on élimine ou l'on rajoute les personnalités victimes de purges ou bien remises àl'honneur en URSS ou en Chine populaire. La photographie isole hors du réel, elle opère une coupe dans le flux d'images qui constituent notretraversée de la vie.

Tel visage, telle rue, telle maison se détache soudain dans notre mémoire etacquiert une existence autonome.

Telle est l'expérience du jeune soldat allemand narrateur de A l'Ouest, rien de nouveau d'Erich Maria Remarque.

Enfermé dans un trou d'obus avec un moribond français, il prend conscience que la guerre fait de lui un meurtrier quand, en fouillant les poches deson adversaire, il trouve les photos de la femme et de la petite fille du Français : toute une vie luiapparaît alors, un pan d'humanité et non plus la notion abstraite d'ennemi » inculquée par ses chefs militaires. Quand l'artiste, et non plus l'amateur, arrache au monde une image, la photo acquiert d'autant plus d'importancequ'elle devient une expression artistique.

Le xx' siècle doit compter avec de grands artistes photographes : Lartiguedont les photographies restituent la Belle Époque, ses enfants en costume marin, ses joueuses de tennis, sesfamilles le long des plages ; Doisneau qui privilégie au contraire les gamins de Paris jouant impunément dans les rues.On n'en finirait pas de citer les grands noms de la photographie : Helmut Newton, Cartier-Bresson, Man Ray,photographe de la faune de Montparnasse et de l'admirable modèle Kiki de Montparnasse, David Hamilton et sesflous artistiques et évocateurs...

Salons, revues, expositions témoignent que la photo n'est plus le pâle succédanéde la peinture réaliste, elle a conquis ses lettres de noblesse. La photographie occupe une place à part dans les arts plastiques car elle est obligatoirement liée au réel.

Elleprésente en effet ce qui « a été » au moins une fois, même pour les seuls besoins du cliché. Exceptionnelle, mémorable, elle s'est considérablement démocratisée aujourd'hui pour des raisons techniques etéconomiques.

Si elle a tendance à perdre de sa singularité dans un monde en proie à l'inflation iconographique, ellecontinue néanmoins à jouer un rôle de témoin familial, humain et historique.

Aux mains des professionnels, elleredevient une expérience artistique qui allie technique et sensibilité.

Elle continue à arracher des parcelles au réelqui nous entoure et à leur donner toute leur importance.. »