Petite vengeance d'amour-propre - Confessions de ROUSSEAU
Publié le 13/07/2010
Extrait du document
« Tout le monde me regardait et se regardait sans rien dire. On ne vit de la vie un pareil étonnement. Mais ce qui me flatta davantage fut de voir clairement sur le visage de Mlle de Breil un air de satisfaction. Cette personne si dédaigneuse daigna me jeter un second regard qui valait tout au moins le premier ; puis, tournant les yeux vers son grand-papa, elle semblait attendre avec une sorte d'impatience la louange qu'il me devait, et qu'il me donna en effet si pleine et entière et d'un air si content, que toute la table s'empressa de faire chorus. Ce moment fut court, mais délicieux à tous égards. Ce fut un de ces moments trop rares qui replacent les choses dans leur ordre naturel, et vengent le mérite avili des outrages de la fortune. Quelques minutes après, Mlle de Breil, levant derechef les yeux sur moi, me pria, d'un ton de voix aussi timide qu'affable, de lui donner à boire. On juge que je ne la fis pas attendre ; mais en approchant je fus saisi d'un tel tremblement, qu'ayant trop rempli le verre, je répandis une partie de l'eau sur l'assiette et même sur elle. Son frère me demanda étourdiment pourquoi je tremblais si fort. Cette question ne servit pas à me rassurer, et Mlle de Breil rougit jusqu'au blanc des yeux.«
Enjeu : Comment s'entremêlent le parti pris du romanesque, la mise en scène et la revendication sociale ?
Situation : Engagé comme laquais, mais avec promesse d'avancement, par le comte de Gouvon, à Turin, le jeune garçon s'éprend de la hautaine fille du comte, Mlle de Breil, dont il réussit un jour à attirer l'attention par une réponse «fine« et «bien tournée«. Le lendemain, servant à table, il saisit l'occasion de montrer sa supériorité en traduisant la devise de la famille, dont le sens échappait à tous.
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