Pensez-vous de cette opinion d'Oscar Wilde : «Un artiste doit créer de belles choses, mais sans rien y mettre de sa propre vie»? Etayez votre discussion d'exemples puisés dans la littérature française.
Publié le 21/12/2010
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1 Le culte de la pudeur.
Chez les uns cette position est une simple question de pudeur.
Le cas le plus typique est celui d'écrivains comme Stendhal, Mérimée, Leconte de Lisle, Flaubert qui auraient peut-être livré aux lecteurs leurpropre vie, mais qui sont vite découragés par l'ironie ou les railleries qui accablent leurs essais de confidences ; ilsse font donc de la défiance une véritable loi et ils cherchent d'une façon presque maniaque à se masquer : Stendhalmultiplie les pseudonymes ; Mérimée publie son théâtre sous le nom de Clara Gazul ; Baudelaire met sur son vraivisage une série de déguisements destinés à leurrer «le bourgeois».
2 Le culte de la Beauté.
Sur un plan plus esthétique le refus d'utiliser sa propre vie est généralement lié au culte de la Beauté pure : on peut poser en principe que toutes les Ecoles qui visent une beauté éternelle, formelle et pourainsi dire plastique, recommandent ce refus.
Poètes alexandrins de l'Antiquité, parnassiens, symbolistes, tous cesamants d'une esthétique très élaborée, vouent à la Beauté un culte qu'aucune aventure personnelle ne doit souiller: en effet cette Beauté qui «jamais ne pleure et jamais ne rit» (Baudelaire, La Beauté, cf.
XIXe Siècle, p.
458) s'accommode mal d'un «reflet des désordres humains» (Valéry, Fragments du Narcisse, cf.
XXe Siècle, p.
168).
Elle hait «le mouvement qui déplace les lignes», elle demande au poète «d'austères études» et non la facile exhibition desa vie privée.
3 Le culte du «métier».
Ainsi l'art apparaît-il non plus comme un exutoire pour une vie trop riche, mais comme le fruit d'un travail, d'un métier.
Cette conception est surtout chère aux classiques qui, en général, ne nousapprennent pas° le détail de leur existence : pour Racine faire une tragédie, ce n'est pas raconter de près ou de loinses amours avec la Champmeslé, c'est connaître les traditions d'un genre, méditer les lois des Doctes, tenir comptedes goûts du public, essayer de composer une oeuvre harmonieuse et cohérente, bref c'est procéder comme unspécialiste sans se soucier d'autobiographie.
Giraudoux (article sur Racine dans le Tableau de la littérature française, publié à la N.R.F.) insiste sur ce point : dans Pyrrhus et Hermione il ne retrou ve pas Racine et la Champmeslé, mais la peinture dramatique d'un sentiment qui ne doit rien aux aventures personnelles de l'auteur.
Bref, il semble que le grand art, théâtre, épopée, roman de moeurs, soit toujours de l'art pur, indépendamment de lavie de son auteur.
Par exemple, ce sont les romanciers du «second rayon» ou du moins les romanciers un peustériles qui transposent leurs aventures dans un roman (Chateaubriand dans René, Sainte-Beuve dans Volupté, Benjamin Constant dans Adolphe, etc.) ; pour les «grands» l'idéal est de tirer d'eux-mêmes des êtres qui ne doivent rien directement à la vie de leur créateur : un Balzac crée des héros qui ne sont pas des doubles affadis de lui-même.
III L'art et la vie
Et pourtant peut-on couper le Beau, si pur, si techniquement parfait soit-il, de toute racine vitale? Devons-noussuivre Oscar Wilde dans une séparation peut-être un peu simpliste?
1 La solution symboliste.
Un exemple particulièrement intéressant est celui de l'évolution du «moi» dans la poésie lyrique au XIXe siècle.
Les romantiques, on le sait, étalent à l'occasion leur vie privée, les parnassiens évitent d'enparler ; entre ces deux attitudes extrêmes, les symbolistes proposent une solution «humaine» : approfondir le «moi»poétique, éviter le «moi» de surface, celui des petites aventures individuelles et atteindre le «moi» essentiel, celuiqui relève presque de la métaphysique.
2 La solution baudelairienne.
Telle est à peu près la position de Baudelaire ; il dénonce (Art romantique, article sur Th.
Gautier) ce qu'il appelle les principales hérésies poétiques et parmi celles-ci l'hérésie de la passion, celle quiconsiste pour un poète à raconter dans son oeuvre des aventures sentimentales.
Le «moi» brut et non élaboré nelui semble pas matière poétique, mais bien plutôt «les purs Désirs, les gracieuses Mélancolies et les noblesDésespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la Poésie».
En somme, ce que veut Baudelaire, c'est une«alchimie du moi», comme celle qu'il s'efforce de réaliser dans Les Fleurs du Mal, où sans cesse transparaît la vie du poète sans que pourtant il la raconte jamais.
«Tu m' as donné ta boue et j'en ai fait de l'or», dit Baudelaire : telleest la formule de l'alchimie poétique quand elle utilise la vie privée.
3 La solution des grands créateurs.
Au fond, Wilde a peut-être une conception simpliste de la façon dont un auteur met sa propre vie dans son oeuvre.
Les grands auteurs sont, en général, ceux qui donnent une impression devécu sans pourtant faire de place à l'anecdote individuelle ; ainsi Rabelais : il règne beaucoup d'incertitudes sur lesdétails de sa biographie, mais nous sentons derrière le Gargantua une présence vécue de la Touraine qui assure un très grand relief à cette image d'un Rabelais tourangeau, même s'il n'est pas totalement sûr que la source vécue dela guerre picrocholine soit le conflit qui
opposa le père de Rabelais à son voisin Gaucher de Sainte-Marthe.
Dans un autre ordre d'idées, un Corneille semble,par ce que nous savons de sa vie, très différent de ses personnages, et pourtant maints rapports ne tardent pas àapparaître entre l'héroïsme de ses tragédies et un certain héroïsme de sa vie intérieure et religieuse qui devait êtreen liaison avec le climat de l'époque.
De ce point de vue la véritable critique serait peut-être la psychanalyseappliquée à la littérature, et notamment la psychocritique, qui, en repérant des réseaux d'associations et desgroupements d'images, cherche à établir, à mi-chemin de la vie et de l'oeuvre, ce que Charles Mauron appelle le«mythe personnel» (cf.
XXe Siècle, p.
615).
Conclusion
Wilde a raison de dénoncer un abus agaçant et d'attirer l' attention sur la nécessité de la technique et du culte de.
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