PENSER ET VIVRE AU TEMPS DES FLEURS BLEUES

« turbulentes s'expliquent aussi au nom d'un idéal remis en question.

Le duc d'Auge, qui refuse d'accompagner le roi Saint Louis en croisade au nom d'arguments très modernes (moins idéalistes que cyniques et écono­ miques), atteste dans le roman la transposition histo­ rique des inquiétudes des années soixante : pourquoi être allé se battre dans des terres lointaines, au péril de sa vie, contre des peuples qui ne veulent plus de vous ? « La guerre aux colonies, [on] sait ce que c'est » (p.

27).

Le moderne Cidrolin a abandonné toute ambi­ tion, même tout projet d'action : il reste sur sa péniche amarrée à un quai, à faire la sieste et à déguster son apé­ ritif -existence passive, qui peut exprimer les désillu­ sions de l'histoire.

Les grandes valeurs de l'après-guerre et de la reconstruction semblent avoir vécu.

L'idéal patriotique est mis à mal ; dans un jeu de mots initial, il est dit que les Français ne cherchent plus que de l'argent : « de Francs anciens » ; « les Francs cherchaient des sols » (p.

13).

Les grands élans amicaux ou amoureux sont tournés en dérision : « des couples pratiquaient le bouche­ à-bouche et la salive dégoulinait le long de leurs mentons amoureux » (p.

48).

Les solidarités communautaires ou familiales ne résistent plus à un nouvel individualisme : Cidrolin est abandonné par ses filles et ses gendres qui le laissent faire la sieste et ne l'invitent même pas à leurs noces.

Une langue et une culture bousculées L'interrogation sur les valeurs familiales, nationales et patriotiques passe par le questionnement sur la langue et la culture.

Les Fleurs bleues n'hésite pas à pro­ voquer les puristes, à taquiner toutes les traditions aca­ démiques et sclérosées.

Queneau joue avec la langue et avec l'orthographe en remontant à des pratiques médié­ vales pour montrer que le français n'est pas figé, qu'il a évolué au fil des époques, qu'il faut concevoir aujourd'hui une langue vivante et non fossilisée.

L'introduction dans son texte de dysorthographies délibérées, de mots anglo-saxons et d'incorrections. »