Pensée de Nisard sur la moralité du théâtre de Corneille.
Publié le 13/02/2012
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«Le jour où le grand Corneille cesserait d'être populaire en France, ce jour-là nous aurions cessé d'être une grande nation«. - Expliquer cette parole de Nisard et la justifier par la nature des sentiments qu'éveille et entretient en nous le théâtre de Corneille.

«
âmes s'y émeuvent au spectacle des hauts désintéressements; elles s'indi gnent des atteintes au droit et à l'honneur; elles vibrent de sympathie pour ce qui est pur, saint, beau d'une idéale beauté; ellès couvrent d'accla mations spontanées les grandes causes hérQïquement défendues et les
infortunes courageusement supportées; elles obéissent à des voix plus puis santes que celles des égoïsmes et des inlérêts.
Si donc le théâtre de Cor neille met à la scène de telles vertus et d,e tels dévouements, on pourra conclure que la nation française n'aura pas cessé d'être grande par ses aspirations, tant qu'elle fera fête au plus l{lOral de ses dramaturges .
.
..
Il est presque banal de le répéter, si les héros de Corneille ne prennent pas tous ni toujours le devoir désintéressé pour mobile de leurs actes; si même certains des plus vantés semblent jouir de se savoir forts contre les
difficultés au moins autant qu'ils ne sont soucieux d'atteindre un idéal élevé, il demeure que le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte et Nicomède pré sentent les situations les plus morales qui soient au théâtre.
Les nobles
âmes, qu'attirent les pénibles vertus, peuvent s'enthousiasmer sans remords pour un Auguste, clément aux misérables qui l'ont trahi; pour un Po lyeucte, épris des réalités célestes jusqu'à courir joyeux au double martyre du cœQ.r et des sens.
On parle des larmes de Condé .à la représentation de Cinna; combien d'autres a fait couler l'exclamation - trop emphatique -d'Auguste :
Je suis maître de moi, comme de tout l'univers.
Soyons ami, Cinna
...
Il se peut que le christianisme de Polyeucte ait déplu à la Chambre bleue; mais .le parterre applaudit toujours cette noble déclaration du martyr :
Je dois ma vie au peuple, au prince, à sa couronne,
Mais je la dois bien plus au Dieu qui me la donne : Si mourir pour son prince est un illustre sort,
Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort?
Depuis le moyen âge, la scène française n'avait pas connu de tels accents.
Don Diègue et Horace donnent aux chefs de famille des leçons de patrio tisme; Rodrigue et Nicomède les répètent aux jeunes gens.
Sans doute nous ne saurions plus goûter la violence du « Meurs ou tue » ni la cruelle affec tation d'indifférence de :
Albe vous a nommé, je ne vous connais plus;
mais que d'autres conseils donnés par Corneille sont toujours opportuns!
Mourir pour le pays est un si digne sort
Qu'on briguerait en foule une si belle mort (1).
J'aime trop l'honneur, Sire, et ne suis point de rang
A souffrir ni d'affront ni de crime en mon sang (2).
Le maître qui prit soin d'instruire ma jeunesse
Ne m'a jamais appris à faire une bassesse (3).
Enfin la notion du devoir est fortement affirmée par le poète.
Or le devoir, surtout sous une forme chevaleresque qui ne va pas sans une allègre témérité ou même un peu de panache, a .le don de susciter l'enthousiasme parmi nous.
A la vérité, ces démonstrations platoniques engagent peu; du moins nous élèvent-elles pour un instant au-dessus des préférences mesquines et des calculs...
bourgeois qui nous ressaisissent après la chute du rideau.
(1) Eforace, v.
441.
(2) Id., v.
1661.
(3) Nicomède, v.
663..
»
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