Pensée de Montaigne sur l'État militaire
Publié le 15/02/2012
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Sous la plume de Montaigne, pareil jugement surprend quelque peu. Comment lui, si égoïste, si ami du repos, de la solitude, capable tout au plus de supporter les fatigues d'un voyage d'agrément, a-t-il pu célébrer en termes si enthousiastes le métier des armes ?
Il n'est occupation plaisante comme la militaire : occupation et noble en exécution, car la plus forte, la plus généreuse et superbe de toutes les vertus est la vaillance; et noble en sa cause: il n'est point d'édilité ny plus juste, ny plus universelle que la protection du repos et de la grandeur de son pays. Expliquer et apprécier cette pensée....

«
devoir sont tentes de chanter, comme le personnage d'opera :
« Ah! quel
plaisir d'être soldat! » « Devoir sacre, pensent la plupart, mais devoir
deplaisant et desagreable! » Les promiscuites de la caserne repugnent, non
sans raison, aux jeunes gens bien eleves.
Dans cette ecole, ou doit passer
la nation tout en-here, on perd souvent plus qu'on ne gagne.
Toutefois l'on comprend encore qu'aujourd'hui comme autrefois des
« hommes nobles, jeunes, actifs » eprouvent un reel plaisir a vivre en-
semble, group& autour du drapeau qui symbolise la Patrie, « cette vie
male et sans ceremonie » dont parle Montaigne et qui, a quelque chose
pres, est encore celle de nos officiers et de certains sous-officiers...
Mieux
vaut ne pas parler du simple soldat! Quoique les « spectacles tragiques »,
inseparables de la guerre, deviennent plus rares que jadis, on concoit qu'un jeune homme se laisse prendre au charme de l'uniforme, de la mu-
Koine militaire, des revues, des prises d'armes et des manoeuvres.
La vie
coloniale surtout exerce sur des Ames genereuses, capables de supporter
la fatigue et de se plies aux exigences de la discipline, un attrait parfai-
tement explicable.
La lecture de certains livres, d'une sincerite aussi
absolue que les Essais, - comme Le Voyage du Centurion ou On se bat
dans le Desert, - suffirait a etablir que, meme de nos jours, « occupa-
tion militaire » peut 'etre « plaisante »et que les plaisirs qu'elle procure
sont parfois les plus hauts qu'il soit donne a l'homme de gaiter.
Si l'on pent discuter la premiere partie de la pense'e de Montaigne, la
seconde n'appelle que des restrictions de detail.
La carriere militaire
est ennoblie, en effet, par in pratique (execution) d'une vertu magnifique :
la vaillance, et par la cause meme qui l'a enfantee : la protection du pays.
Cela, nut ne saurait le vier, moins d'etre aveugle par la passion antimili-
tariste, ou totalement depourvu de bon sens.
Certes, la vaillance, forme particuliere du courage, est une vertu magni-
fique, digne de notre admiration.
Elle est le plus eclatant triomphe de
I'esprit sur la matiere, de tame sur le corps.
La nature fremit a l'approche
du danger - quel brave n'a pas eu peur au moins une fois en sa vie? -
mais la volonte souveraine redit a la chair angoissee, le mot de Turenne : « Tu trembles, carcasse; tu tremblerais bien davantage si to savais ou je
to con duirai demain! »
Cependant l'eloge de Montaigne semble passer la mesure.
Le superlatif
qui precede les epithetes .« fort, genereuse et superbe » est de trop.
Sou-
vent la vaillance, emportement sublime, élan spontane et ephemere, n'est qu'un don naturel.
Nous connaissons des heros guerriers ayant affronte les
pires dangers sans sourciller, qui, an lendemain de la guerre, se sont mon-
tres Ifiches et veules en face du devoir quotidien, ou de l'epreuve, ou de
la maladie.
Et puis la vaillance n'est pas tout, dans l'etat militaire.
Elle serait inutile
sans la science, les longues meditations, les labeurs obscurs des chefs; elle
est moins meritoire que in froide abnegation, le renoncement reflechi chez
les subalternes.
Enfin it est permis de se demander s'il n'est pas plus
« noble » de remplir de petits devoirs avec une continuite sans defaillance,
dans la vie ordinaire, que de se jeter tete baissee sur l'ennemi, dans l'ardeur
du combat, sous le coup d'une griserie artificielle.
On pent opposer sans crainte, a la pratique de la vaillance, celle de la justice et de la charite.
Le devouement de certaines meres, de certains medecins, de certaines infir-
mieres volontaires, de ces hommes et de ces femmes qui consacrent toute
leur vie aux lepreux, en des Iles lointaines, moins « superbe » que la vail-
lance militaire, est plus cz grand », a coup stir.
Cette « edilite »
si« juste » assure la paix, l'honneur, la gloire d'une
nation.
Fraternite universelle, embrassement general des ,peuples! chimere
et utopie, tant que les hommes auront des Weeks opposes et des passions
rivales, c'est-k-dire jusqu'au dernier jour du monde.
Homo homim lupus :
le mot du vieil auteur sera toujours vrai, du moins aux heures troubles.
Le tribunal d'arbitrage de La Haye, la Societe des Nations, institutions
louables, qui ont pu, en diverses circonstances, contribuer au maintien de
la paix, s'averent impuissantes en face de la passion et de la mauvaise foi.
La cupidite de certains peuples, l'ambition de plusieurs autres, la necessite
de se garantir contre les violences ou les duplicites, donneront toujours.
devoir sont tentés de chanter, comme le personnage d'opéra : «Ah! quel plaisir d'être soldat!» «Devoir sacré, :pensent la plupart, mais devoir déplaisant et désagréable! » Les promiscmtés de la caserne répugnent, non sans raison, aux jeunes gens bien élevés.
Dans cette école, ou doit passer la nation tout entière, on perd souvent plus qu'on ne gagne.
Toutefois l'on comprend encore qu'aujourd'hui comme autrefois des « hommes nobles, jeunes, actifs :.
éprouvent un réel plaisir à vivre en semble, groupés autour du drapeau qui symbolise la Patrie, « cette vie mâle et sans cérémonie :.
dont parle ·Montaigne et qui, à quelque chose près, est encore celle de nos officiers et de certains sous-officiers...
Mieux vaut ne pas parler du simple soldat! Quoique les « spectacles tragiques ~, inséparables de la guerre, deviennent plus rares que jadis, on conçoit q_u'un je~!le .homme se laisse pren~re au charme de l'umforme, de la m~ sique militaire, des revues, des prises d'armes et des manœuvres.
La VIe coloniale surtout exerce sur des âmes généreuses, capables de supporter la fatigue et de se plier aux exigences de la discipline, un attrait parfai tement explicable.
La lecture de certains livres, d'une sincérité aussi
absolue que les Essais, - comme Le Voyage du Centurion ou On se bat
dans le Désert, - suffirait à.
établir que, même de nos jours, l' ·c occupa tion militaire » peut être « plaisante » et que les plaisirs qu'elle procure sont parfois les plus hauts qu'il soit donne -à l'homme de goûter.
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Si
l'on peut discuter la première partie de la f.ensée de Montai~ne, la seconde n'appelle que des restrictions de détai .
La carrière militaire est ennoblie, en effet, par la pratique (exécution) d'une vertu magnifique : la vaillance, et par la cause même qui l'a enfantée : la protection du pays.
Cela, nul ne saurait le nier, à moins d'être aveuglé par la passion !lnbmili tariste, ou totalement dépourvu de bon sens.
Certes,
la vaillance, forme particulière du courage, est ùne vertu magni
fique, digne de notre admiration.
Elle est le plus éclatant triomphe de l'esprit sur la matière, de l'âme sur le corps.
La nature frémit à l'approche du danger- quel brave n'a pas eu peur au moins une fois en sa vie? - mais la volonte souveraine redit à la chair angoissée, le mot de Turenne : «Tu trembles, carcasse; tu tremblerais bien davantage si tu savais où je te conduirai demain 1 » Cependant l'éloge de Montaigne semble passer la mesure.
Le superlatif qui précède les épithètes « fort, généreuse ·et superbe :.
est de trop.
Sou vent la vaillance, emportement sublime, élan spontané et éphémère, n'est qu'un don naturel.
Nous connaissons des héros guerriers ayant affronté les pires dangers sans sourciller, qui, au lendemain de la guerre, se sont mon trés lâches et veules en face du devoir quotidien, ou de l'épreuve, ou de la maladie.
• Et puis la vaillance n'est pas tout, dans l'état militaire.
Elle serait inutile sans la science, les longues méditations, les labeurs obscurs des chefs; elle est moins méritoire que la froide abnégation, le renoncement réfléchi chez les subalternes.
Enfin il est permis de se demander s'il n'est pas plus « noble :.
de remplir de petits devoirs avec une continuité sans défaillance, dans la vie ordinaire, que de se jeter tête baissée sur l'ennemi, dans l'ardeur du combat, sous le coup d'une griserie artificielle.
On peut opposer sans crainte, à la pratique de la vaillance, celle de la justice et de la charité.
Le dévouement de ·certaines mères, de certains médecins, de certaines infir mières volontaires, de ces hommes et de ces femmes qui consacrent toute leur vie aux lépreux, en des îles lointaines, moins « superbe » que la vail lance militaire, est plus « grand », à coup sûr.
Cette « édilité :.
si « juste » assure la paix, l'honneur, la gloire d'une nation.
Fraternité universelle, embrassement général des .peuples! chimère et utopie, tant que les hommes auront des interêts opposés et des passions rivales, c'est-à-dire jusqu'au dernier jour du monde.
Homo hominz lfl:pus: le mot du vieil auteur sera toujours vrai, du moins aux heures troubles.
Le tribunal d'arbitrage de La Haye, la Société des Nations, institutions louables, qui ont :(>U, en diverses circonstances, contribuer au maintien de la paix, s'avèrent Impuissantes en face de la passion et de la mauvaise foi.
La cupidité de certams peuples, l'ambition de plusieurs autres, la nécessi~é de se garantir contre les violences ou les duplicités, donneront toujours.
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