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Pénélope de BRASSENS (commentaire)

Publié le 29/03/2011

Extrait du document

Toi l'épouse modèle le grillon du foyer Toi qui n'as point d'accroc dans ta robe de mariée Toi l'intraitable Pénélope En suivant ton petit bonhomme de bonheur Ne berces-tu jamais en tout bien tout honneur De jolies pensées interlopes Derrière tes rideaux dans ton juste milieu En attendant l'retour d'un Ulyss' de banlieue Penchée sur tes travaux de toile Les soirs de vague à l'âme et de mélancolie N'as-tu jamais en rêve au ciel d'un autre lit Compté de nouvelles étoiles N'as-tu jamais encore appelé de tes vœux L'amourette qui passe qui vous prend aux cheveux Qui vous conte des bagatelles Qui met la marguerite au jardin potager La pomme défendue aux branches du verger Et le désordre à vos dentelles

N'as-tu jamais souhaité de revoir en chemin Cet ange ce démon qui son arc à la main Décoche des flèches malignes Qui rend leur chair de femme aux plus froides statues Les bascuV de leur socle bouscule leur vertu Arrache leur feuille de vigne N'aie crainte que le ciel ne t'en tienne rigueur Il n'y a vraiment pas là de quoi fouetter un cœur Qui bat la campagne et galope C'est la faute commune et le péché véniel C'est la face cachée de la lune de miel Et la rançon de Pénélope G. Brassens

Travail préliminaire S'il est un sujet où s'impose un premier travail de décryptage (traduction littérale), puis de décodage culturel et stylistique, c'est, paradoxalement pourrait-on penser, celui-ci : le fil de la chanson en effet est simple, coulant; c'est une apostrophe à une dame, ici nommée Pénélope; cette apostrophe décrit la dame dans sa réalité matérielle et morale; puis elle révèle ses pensées sur le mode de l'interrogation négative (n'as-tu jamais?), c'est-à-dire conformément à une habitude bien établie d'expression : tu as sûrement. Enfin l'apostrophe rassure la dame et lui explique ce qu'elle doit penser, puisque celui qui parle, lui, le sait.

« Tout est évidemment commandé par le titre : l'épouse d'Ulysse, sa tapisserie, sa fidélité; on est tenté de dire : quine comprendrait? Et pourtant...

On a peut-être ici une indication sur l'aspect culturel, intellectuel même, de lachanson de Brassens. Intraitable Pénélope renvoie à la résistance de la reine d'Ithaque aux prétendants qui voulaient la contraindre àdonner un successeur à Ulysse.

Mais, aussitôt, une autre allée s'ouvre : à quelles demandes, ou pressions du mêmegenre, la moderne Pénélope a-t-elle dû faire face? Pénélope, entraîne évidemment Ulysse, un Ulyss' syncopé ici pour que le nombre de l'alexandrin soit respecté (auprix de deux élisions insolentes) et appelé Ulysse de banlieue : un mari que sa femme attend, qui travaille à Paris.Mais « Ulysse de banlieue » c'est aussi « petit Ulysse », « minable Ulysse », comme on dit «caïd de banlieue » ou,autrefois, «don Juan de sous-préfecture ». Enfin Ulysse et Pénélope, les Grecs, entraînent à leur tour l'image de l'Amour (Eros) avec son arc, les statues etleurs feuilles de vigne (nymphes, héros, divinités).

D'autres connotations joueront. b) La tradition chrétienne et moderne La pomme défendue, c'est Adam et Ève, le Paradis Terrestre et la faute de la première femme.

On sait ce quesignifie l'expression populaire « croquer la pomme » (voir une chanson célèbre il y a quelques années : « J'ai croquéla pomme, là-bas dans un champ »). On passe aisément à la tradition familiale : grillon du foyer, titre célèbre de Dickens, type du roman de famille, donnéen livre de prix, qui risque de se trouver au foyer de Pénélope.

Évidemment le jeu est ici double : dans grillon dufoyer, il y a femme au foyer et dans grillon il y a aussi l'écho de Cendrillon. « Travaux de toile », enfin, ne renvoie plus seulement à Pénélope, mais à la chanson de toile du Moyen Age, celleque chante la dame en attendant le seigneur tout en travaillant à son ouvrage.

Soumission, discrétion, mais aussitentation (quelle dame de la chanson de toile n'a rêvé au petit page de son mari? Il y a aussi beaucoup de chansonslà-dessus...). Un second groupe : les jeux du langage, ou sur le langage Brassens utilise des clichés, des formules toutes faites, mais il les transforme.

On peut les relever : — Petit bonhomme de bonheur : petit bonhomme de chemin; mais aussi petit bonheur.

Pour Brassens, le bonheur estl'idéal de stabilité, idéal petit-bourgeois, ignoré des bohèmes et des filles du peuple : dans les autres chansons «d'amour », ce qui l'emporte, c'est le plaisir de l'instant qui passe, la fantaisie, la brève rencontre3. — En tout bien tout honneur : cliché moralisant de la bonne conscience un peu puritaine (sans penser à mal et «pour le bon motif »).

Là encore il s'agit d'une expression populaire, plus exactement petite-bourgeoise.

Sensimmédiat : sans que cela tire à conséquence. — Pensées interlopes : on parle de « milieux interlopes », c'est-à-dire louches (la pègre).

Le mot jolies oblige à lire letexte d'une façon un peu ironique. — Ciel de lit / étoiles nouvelles : le ciel de lit, c'est le baldaquin qui sert de toit à un lit de style pu d'apparat.Pénélope ne dort peut-être pas dans un lit « de style », mais cela peut renvoyer au luxe de son ameublement ou àcelui de sa chambre à coucher meublée avec soin.

A moins que, justement, elle ne rêve d'un autre lit que le sien, celit conjugal, acheté à crédit chez Lévitan avec Ulysse! Mais aussi le ciel de lit, qu'on regarde évidemment en levantla tête, en rêvant, c'est le ciel tout court vers lequel on lève les yeux dans la rêverie.

Laquelle? Dans son litPénélope rêve? Mais surtout Brassens renvoie ici à l'une de ces « récitations » que tout le monde avait apprises àl'école (et Pénélope la première; elle a de la «culture», ce qui la différencie des Mimi, Ninon, Louison, à qui on nedemande pas d'avoir inventé la poudre).

Il s'agit du dernier tercet des Conquérants de José-Maria de Hérédia («Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal...

») : Ou penchés à l'avant des blanches caravelles Ils regardaient monter en un ciel ignoré Du fond de l'océan des étoilesnouvelles Il est évident que compter des étoiles nouvelles (expression populaire : compter les mouches, c'est-à-dire s'ennuyeren faisant l'amour) en regardant le ciel d'un autre lit, c'est ici pour Pénélope rêver d'amours physiques plusexaltantes que celles qu'elle connaît avec cet Ulysse, à qui elle demeure pourtant fidèle. — Fouetter un cœur/qui bat la campagne et galope : ici l'astuce est multiple.

Ce n'est pas un cœur, d'habitude,mais un esprit qui bat la campagne, c'est-à-dire rêve au hasard.

Ici ce n'est pas l'esprit, c'est le cœur.

Or il n'y apas de quoi fouetter un cœur pour fouetter un chat, impose une nouvelle équivalence et communication entre cœuret chat.

On sait que, selon toute une tradition gauloise, le chat c'est le sexe féminin.. »

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