PELETIER DU MANS Jacques : sa vie et son oeuvre
Publié le 27/11/2018
Extrait du document
«
à
Notre-Dame (1547).
Il fit paraître la même année un
recueil de ses Œuvres poétiques.
Mais il quitta bientôt
Paris, et sa vie ne fut dès lors plus que voyages.
A Poitiers, il enseigna les mathématiques, étudia la
médecine et publia Je Dialogue de l'ortografe et pronon
ciacion françoese (1550), qui, prenant parti dans la que
relle de J'orthographe, voulait «rapporter J'écriture à la
prolation » et proposait un système phonétique, mis au
point dès 1547, dans lequel toute l'œuvre de Peletier
sera désormais publiée.
Cependant avait lieu à Paris la
révolution poétique,-sans Peletier, qui n'appartiendra
pas à la «chère bande» emmenée par Ronsard aux Isles
fortunées (1 543 ).
Peletier passa par Bordeaux, Béziers et
Lyon, il suivit le maréchal de Cossé-Brissac en expédi
tion dans le Piémont et fut le précepteur de son fils
(1553-1554).
De retour à Lyon, il se lia à Maurice Scève
et à Pontus de Tyard, ainsi qu'à l'imprimeur Jean de
Tournes, chez qui il fit paraître deux ouvrages impor
tants, l'Art poétique et les poèmes de l'Amour des
amours (1555).
En 1557, Peletier est à Patis, puis il tente
une vaine expédition à Rome, avant de revenir pour dix
ans à Paris.
Fin 1569, il part pour la Savoie, où il restera
deux ans et d'où il rapportera un poème descriptif en
trois chants, la Savoye (1572).
De 1572 à 1579, Peletier
est à Bordeaux, il dirige Je collège d'Aquitaine.
Il ensei
gne les mathématiques à Poitiers en 1579, avant de reve
nir achever une existence accidentée à Paris, où il sera
principal du collège du Mans de 1580 à sa mort.
Un an
avant de mourir, il fera paraître les Louanges (1581),
des poèmes savants fort prosaïques, suivis d'un touchant
testament, «Remontrance à soememe >>.
Peletier a laissé une œuvre scientifique copieuse -
rédigée en latin et en français -, traitant de mathémati
ques et de médecine, mais qui ne paraît pas avoir eu une
grande influence sur le progrès de ces disciplines.
Mis à
part sa contribution philologique -malheureuse pour le
destin de son œuvre - à la réforme de 1' orthographe, la
production littéraire de Peletier comprend : la traduction
en vers de l'Art poétique d'Horace, précédée d'une
importante dédicace qui fait l'apologie de la langue
nationale; les Œuvres poétiques; l'Art poétique et
l'Amour des amours; la Savoye; les Louanges.
Jusqu'à
une période récente, la critique a surtout retenu les
Œuvres poétiques comme faisant date dans l'histoire lit
téraire, marquant la transition de Marot à Ronsard et du
Bellay, et a considéré l'A rt poétique comme l'expression
la plus accomplie de la doctrine de la Pléiade, certains
allant jusqu'à regretter que les vers de Peletier ne fussent
pas à la hauteur de leur rôle historique.
Pasquier appellera Scève, Bèze et Peletier « les avant
coureurs des autres poètes >>.
Si ce peut être exact pour
l'un d'eux, c'est bien pour Peletier, dont le recueil de
1547, outre qu'il contient les premiers vers publiés de
Ronsard et de Du Bellay -une « Ode de Pierre de
Ronsard à Jacques Peletier: Des beautez qu'il voudroit
en s'Amie», et un dizain de « J.
du Bellay à la ville du
Mans» -, définit un programme dont les idées ne sont
pas neuves mais qui n'anticipe pas moins la Deffence et
Illustration de Du Bellay ( 1549) :
J 'esc ri e n lang ue m ater nell e,
Et tasche à la mettre en valeur :
Affin de la rendre éternelle,
Comme les vieux ont fait la leur.
Selon l'épigramme « A un poète qu i n'escrivoit qu'en
latin >>, les écrivains doivent anoblir leur langue et la
rendre classique, l'« illustrer>> et J'« enrichir>>, comme
le disait déjà Peletier dans sa dédicace à la traduction de
l' Art poétique d'Horace, où il attribuait notre infériorité
par rapport aux Anciens à notre « mepris et contenue
ment de notre langue native, laquelle nous laissons
arriere pour entretenir la langue grecque et la langue
latine>>.
Il y a une utilité de la traduction, qui est pour
1852 un
écrivain d'« amplifier sa langue>> , et c'est pourquoi
les Œuvres poétiques de Peletier commencent par tra
duire les deux premiers livres de l'Odyssée, le 1er livre
des Géorgiques, des sonnets de Pétrarque et des odes
d'Horace.
Viennent ensuite les «Vers lyriques de l'in
vention de l'auteur>>.
On a vanté le sentiment de la
nature tout virgilien des «Saisons » de Peletier, qui sont
ses meilleures pièces.
Mais leur intérêt réside avant tout
dans le souci nouveau de la disposition et de la clarté.
Chaque poème répond à un plan rigoureux, vise à la
concision et à l'expression exacte.
Peletier évite l'obscu
rité des métaphores, néologismes et références mytholo
giques dans lesquels Ronsard se complaira longtemps; il
en fait la critique dans l'épigramme «A un poete escri
vant obscurément».
Ses vers emploient une grande
variété de mètres, de l'hexasyllabe à l'alexandrin, et ses
rimes sont élaborées.
Contre les genres trop rigides qui
ont l'allure d'exercices, il adopte le sonnet venu d'Italie
(Marot en a composé quelques-uns, mais ceux de Peletier
multiplient d'un coup le répertoire français, jouant sur
toutes les combinaisons des rimes des tercets), et l'ode,
qu'il recommandera également à Ronsard et à du Bellay.
L'Art poétique de Peletier, à la différence de la Def
fence et Illustration, n'est pas un pamphlet, et il tente de
concilier les poètes anciens et les nouveaux : il y réussit
incontestablement, abordant la promotion de la poésie
française après les préceptes généraux -non pas les
recettes -de la poésie.
La première partie traite des
rapports de l'art et de la nature, de l'imitation et de la
tradition, en termes proches de Quintilien.
La seconde
partie, qui expose une conception patriotique du poète,
est plus originale.
La rime et Je mètre, le rythme et le
genre sont examinés sans pédantisme ni dogmatisme; le
sonnet est le plus loué, et 1' ouvrage conclut à une éthique
de la poésie œuvrant pour l'enrichissement de la langue.
[Voir aussi ARTS POÉTIQUES].
Peletier ne saurait être défini exclusivement comme
un précurseur de la Pléiade; ce serait ignorer l'Amour
des amours de 1555, dont l'étalage de science, de mytho
logie, d'érudition tranche avec la
des Œuvres poétiques de 1547; Je recueiJI fut longtemps
jugé d'un «pétrarquisme intolérable>>.
Ce sont pourtant
les poèmes les plus curieux de Peletier, où, «Toujours
voulant son pouvoir essayer», son exigence de connais
sance va le plus loin.
Après 96 sonnets en vers décasylla
bes, qui chantent bien abstraitement une dame, viennent
16 odes, consacrées au monde physique et au cosmos,
«J'Uranie».
Cette poésie scientifique a rebuté.
Peletier
en donnait la clé dans son Art poétique, où il disait Je
sonnet «quasi tout philosophique en conceptions >>.
Les
sonnets de l'Amour des amours, divisés en sept groupes,
sont une enquête sur les mystères du monde, une purifi
cation du néo-platonisme de Ficin, la recherche d'une
connaissance inconnue et d'une unité originelle perçue
à travers l'amour : « 0 un! ô deux, dont tout l'œuvre
commence!» Les odes finales rapportent l'envol de
l'esprit vers les lois du cosmos.
Au lieu de l'histoire d'un
amour ou d'une poésie didactique, l'Amour des amours
est la voie d'une quête spirituelle qui découvre peu à
peu la vérité dans le mouvement même de l'expression
lyrique :
Vous, langue, aussi faites votre devoir [ ...
)
Faites servir le dire au concevoir.
Dans les Louanges, notamment dans « Louange de la
science >>, on retrouve la même aspiration à l'infini des
mystères célestes.
Sans libérer tout à fait Peletier de la
position de précurseur, ses deux derniers recueils témoi
gnent d'une originale conciliation de la poésie et de la
science, qui fait que Peletier ne fut sans doute ni un poète
ni un homme de science, mais pleinement un homme de
la Renaissance..
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