Paul Verlaine, « L'enterrement », Poèmes saturniens
Publié le 20/05/2014
Extrait du document
«
Verlaine, la goguenardise en bandoulière, fait feu de tout bois, bien décidé à ne pas
s'en laisser compter.
L'humour noir sert un feu nourri d'images assez hilarantes et toujours
moqueuses.
Dans ce sonnet d'une facture somme toute très classique ou convenue, le poète
saupoudre tantôt des sarcasmes, tantôt traits humoristiques, pour le moins inconvenants.
Une galerie de portraits s'offre à nos yeux éberlués par leur incongruité.
Le lecteur
s'attendrait, et le titre l'y invite, à voir les proches du défunt prendre le manteau de deuil : les
pleureurs de funérailles, la famille rongée par le chagrin, et pourqu oi pas une veuve
agenouillée, éplorée et sanglotante.
Pour les moins désolées, avec au moins la larme à l'œil.
Et bien non.
C'est tout le contraire.
Des silhouettes assez guillerettes se succèdent, avec une
cruelle lenteur, sous nos yeux : un fossoyeur , un ministre du culte, un enfant de chœur...
Et
puis, pour clore la marche, des employés des pompes funèbres au visage rubicond,
passablement avinés.
De ceux qui braillent dans les cafés.
Le fossoyeur pousse même la
chansonnette, avec une voix de croque -mitaine, s'imagine -t-on.
Des croque -morts qui sont
loin d'être d'une humeur funèbre surgissent tout à trac dans le décor.
On entend des voix qui
chantent mal, qui déraillent, celle des enfants de chœur en pleine mue adolescente (« L'enfant
de chœur avec s a voix fraîche de fille », vers 5).
Un bon élan vocal qui fait entendre, comme il
se doit à cet âge, des enrouements, comme pour annoncer les poussées pubertaires.
Finalement, tout paraît dissoner dans ce poème.
Même les rimes détonnent avec le titre q ui
surplombe le sonnet : une bordée de mots -rimes « brille », « trille », « douillettement »,
« éboulement », « fille », « drille » entre en dissonance avec le thème de l'inhumation d'un
corps, comme pour mieux briser les tabous.
Et casser le lyrisme musi cal des alexandrins.
Au
débouler, apparaît dans notre champ visuel, un autre personnage : un prêtre, peu nonchalant,
qui, à force de débiter fiévreusement des prières à Dieu et à la Vierge, en perdrait son latin !
Visiblement, Verlaine déteste la bigote rie...
Surgit alors une escouade de croque -morts
ventripotents (« tout rondelets » - vers 10), à la face avinée, assez cossus d'ailleurs puisque
leurs poches sont bourrées d'argent (« les croque -morts au nez rougi par les pourboires » -
vers 11).
La descri ption est assez réaliste, car sans vouloir forcer le trait, ces employés
passaient à l'époque pour de fieffés ivrognes ! Une autre figure de la discordance fait son
entrée dans le texte : l'hypallage.
Le fait d'attribuer la couleur rubescente des cloiso ns nasales
aux pourboires est doublement comique. Cette gratification financière est remise,
étymologiquement, « pour boire »...
Dans le même temps, elle n'excuse pas l'ivrognerie.
Qui
plus est, cette hypallage sert narquoisement à vilipender la funeste tradition du bakchich
respectée scrupuleusement par la bourgeoisie des villes.
Les bourgeois, par snobisme, veulent
montrer qu'ils ont de l'argent, et ceci, en toutes circonstances. Certaines expressions
sollicitent l'observation attentive du lectorat.
Le surplis blanc ne doit pas prêter à confusion, il
est traditionnellement porté sur la soutane.
Toujours de couleur blanche.
L'expression « le
prêtre en blanc surplis » à la fin du p remier quatrain est donc pléonastique.
En revanche, le
fossoyeur tient plus du chanteur d'opéra que de l'employé du cimetière.
Les croque -morts,
ventripotents « sous leur frac écourté », ne font pas meilleur effet ! Le frac est une tenue de
cérémonie en qu eue de morue.
Bien sûr, il n'a pas pas rétréci au lavage.
Nos porteurs de
cercueil ont sans doute abusé des galopins de bière ou des chopines de tord -boyaux, ce qui
explique pourquoi ils ne rentrent plus dans leur costume de parade.
Leurs bedaines indiqu ent
qu'ils sont rassasiés par les collations.
On croirait ces personnages repus et grassouillets tout
droit sortis des tableaux flamands de Jérôme Bosch ou de Brueghel ! Avec des nez rouges à
l'image des clowns de cirque ou des Augustes de foire ! La clo che n'arrête pas de faire des
pirouettes dans son campanile.
Le lecteur qui prend du champ aux premières loges pourrait se
convaincre que le clocher se place au milieu de la paroisse.
Et que ses ouailles continuent à
aimer fraternellement les hommes. Que nenni !
Au fil du récit se profile une fresque déroutante, se présentent de face ou en silhouette des
officiants qui se pavanent comme à la revue.
Et surtout, l'auteur ramène la descripti on à des.
»
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