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Paul Valéry écrit dans Variété (1924) : «L'homme s'enivre de dissipa-tion : abus de vitesse, abus de lumière, abus de toxiques, de stupéfiants, d'excitants, abus de fréquences dans les impressions, abus de diversités, abus de résonances, abus de facilités, abus de merveilles. Toute vie actuelle est inséparable de ces abus.» Partagez-vous la sévérité de ce point de vue ? Vous vous demanderez, en particulier, si les abus que dénonce Valéry sont tous aussi dangereux pour l'homme.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

La citation de Valéry est volontairement désordonnée (et intentionnelle-ment, pour mieux rendre compte de l'idée d'excès) : on aura intérêt à regrouper les divers exemples par «thèmes«... Certains abus paraissent systématiquement dangereux. On sera, comme la question posée nous y invite, plus indulgents pour d'autres. On soignera particulièrement la qualité des exemples...

 

I. Les abus dangereux

- Les abus sensoriels.

- Deviendrions-nous aveugles et sourds ?

- Les drogues de toutes sortes.

- Autres formes de drogues douces : jeux vidéo et autres.

II. Du bon usage de certains abus

- Éloge de la vitesse quand elle n'est pas confondue avec la précipita-tion...

- Les adeptes de la vitesse : une nouvelle manière de voir.

III. Le désir n'est-il pas supérieur à sa réalisation ?

- Le chemin vaut plus que le but à atteindre.

- Les charmes de la lecture.

- Les risques de la satiété.

 

« exemple où le pratiquant confronté à l'abondance d'images se trouve rapidement déconnecté du monde réel pours'évader dans un mode d'illusion qui risque de le couper des vrais problèmes.

Le point commun de toutes cesattitudes quasi pathologiques (même le modeste flipper peut entraîner, par un usage immodéré, des troubles ducomportement inquiétants), c'est en effet qu'elles finissent par isoler celui qui en use, des réalités environnantes.Chacun, muré dans son propre univers (les images virtuelles du dernier type renforcent encore cette sensation, endonnant l'illusion de voyager et de communiquer alors qu'on est irrémédiablement seul avec les faux-semblants et lesmensonges que la machine fabrique), est incapable dès lors de retrouver le sens de l'autre et de la solidarité.

Lesabus de ce genre mènent vite à l'isolement et à un refus du réel qui en certains cas peuvent déboucher auxfrontières de la folie.

Parmi les abus dénoncés par Valéry, il en est certainement qui présentent des risques bienmoindres. Le poète évoque ainsi les abus de la vitesse et depuis que Valéry a écrit son texte, les choses n'ont fait queprogresser dans ce domaine (osera-t-on dire sérieusement qu'elles ont «empiré» ?) : d'avions sub et supersoniquesen TGV, les moyens de transport sont de plus en plus efficaces, rapides, confortables, sûrs.

Gagner des minutesprécieuses, voire une heure ou deux, sur un trajet quelconque, qui le refuserait ? Nous parlons bien entendu de«transport», non de voyage de flânerie ou d'agrément.

Même pour les vacances ou le tourisme, pourquoi ne pasaccepter l'hypothèse d'être conduit sur place le plus vite possible ? Ne serait-ce que pour gagner du temps après,et pouvoir le perdre, ce luxe inestimable...

La vitesse en soi n'est donc pas négative, si justement elle n'est pas vraiment un abus mais unesimple utilisation rationnelle de ce que la technique met à notre disposition ; tant il est vrai que ce n'est pas lavitesse en soi qui est en cause, mais son application à des domaines où elle ne devrait rien avoir à faire : pourquoi,par exemple, gagner du temps lorsque nous prenons nos repas ? Il y a des activités qui doivent nécessairementexiger du temps pour être menées à terme et pour lesquelles la précipitation est condamnable : écrire, peindre,construire par exemple.

Il faut du temps aussi pour méditer, réfléchir : lire un livre, par exemple, nécessite qu'on yconsacre quelques heures, ce qui peut expliquer les réticences de certains enfants ou adolescents, auxquels ceteffort paraît insurmontable.

Il est certes plus commode de «zapper» grâce à la télécommande, engin redoutable etdiabolique s'il en est...

qui évite les temps morts, mais encourage la paresse d'esprit et la passivité : on risque ainside devenir un pur et simple consommateur, bouche et yeux ouverts devant le robinet à images (encore qu'on puissedire que le zappeur, qui change de programme sans cesse, est tout le contraire d'un esprit passif, puisqu'ilrecompose ses propres programmes au lieu de s'en laisser conter par les fabricants d'images...).

D'autre part, lalenteur n'est pas nécessairement souhaitable : elle est une gêne fort encombrante pour le candidat aux examens etconcours, ainsi que pour toutes les personnes exerçant une activité professionnelle qui les mette en contact avec lepublic : remployé derrière son guichet sera très apprécié s'il est rapide (à condition qu'il ne fasse pas d'erreurs),comme l'enseignant qui n'attend pas un mois avant de rendre le paquet de copies qu'on lui a confié...

On accorderaque l'abus est mauvais là aussi, mais nous savons bien que vitesse n'est pas précipitation et qu'il ne suffit pas nonplus d'aller lentement pour faire bien...

Dans de nombreux domaines, c'est simple affaire de tempérament personnel :on pourra toujours opposer aux six années de travail consacrées par Flaubert à l'Education sentimentale les modestes cinquante jours dont eut besoin Stendhal pour dicter la Chartreuse de Parme...

Seul ici compte le résultat : départager les deux oeuvres, est une simple affaire de goût.

Comme dit Alceste, «le temps ne fait rien à l'affaire».On peut faire de l'excellent en quelques heures et du médiocre en plusieurs mois.

Les élèves qui remettent leursdevoirs en retard ne créent pas nécessairement des chefs-d'oeuvre pour y avoir prétendument consacré plus detemps... Il est certain néanmoins que la vitesse a ses drogués, pour lesquels seul compte l'abus : ainsi foncer sur l'autorouteà des vitesse illégales, que ce soit en voiture ou sur une moto, procure à ses adeptes des sensations extrêmes sanslesquelles ils ne sauraient plus vivre.

La vitesse peut être grisante, chacun peut en faire l'expérience, ne serait-ceque dans certains manèges forains où beaucoup d'attractions sont fondées sur la peur, le vertige qu'elle engendre(grand-huit, etc.).

La sensation de vivre dangereusement peut aussi séduire certains qui y voient une façon dedonner à leur vie grise un peu de couleurs fraîches...

Cette vitesse peut d'ailleurs, transformée par un écrivain ou unpoète, devenir source de création esthétique : ainsi Paul Morand nous racontant la vie d'un homme pressé ou VictorHugo racontant dans une de ses lettres les sensations qu'il a ressenties au cours d'un voyage en chemin de fer :nouvelle manière de voir le monde, recomposition des formes et des couleurs, restructuration des paysages : pourcelui qui sait voir, l'abus de vitesse (question intéressante : à partir de quel moment, pour quelque cause que cesoit, peut-on déclarer qu'il y a abus ?) peut être source de découvertes ; le revers de la médaille, ce sontnaturellement les risques (physiques) encourus.

Pire encore, la sensation d'habitude que tout cela engendre, lepremier émerveillement passé.

Aucun abus ne peut satisfaire puisqu'on en veut toujours plus... Là est le danger majeur que les abus font courir à leurs victimes, généralement consentantes : il en est ainsi, parexemple, des «abus de facilités» dont parle Valéry.

Certes faciliter la vie présente d'indéniables avantages et seulsceux qui n'ont jamais lavé de linge dans l'eau glacée d'un lavoir un matin d'hiver ou plongé les mains dans unelessiveuse bouillante peuvent regretter l'époque où l'on faisait tout sans passer par les machines.

Il serait indécentde parler ici d'abus.

Ce que dénonce Valéry, ce sont d'autres abus : il est certain qu'arriver en voiture au sommetd'un col ne procure pas les mêmes sensations, ni les mêmes émotions que si le sommet n'est atteint qu'au termed'une longue promenade à pied ou d'un long parcours à bicyclette.

Les moyens ici valent largement le but àatteindre, et celui-ci n'est rien en soi ; ce qui compte c'est ce qui se passe avant ; l'effort pour arriver au sommet,les beautés du paysage que l'on découvre à chaque tournant (à condition de ne pas faire la course ni de vouloirbattre un record !), tels sont les éléments essentiels du plaisir, comme les coins d'ombre que l'on traverse, ou leszones de soleil, les variations de la lumière.

Toutes choses qui échappent à l'amateur de facilité (et de vitesse) et. »

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