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Paul Fort (1872-1960), Ballades françaises

Publié le 17/01/2022

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Par les nuits d'été bleues où chantent les cigales, Dieu verse sur la France une coupe d'étoiles. Le vent porte à ma lèvre un goût du ciel d'été! Je veux boire à l'espace fraîchement argenté. L'air du soir est pour moi le bord de la coupe froide où, les yeux mi-fermés et la bouche goulue, je bois, comme le jus pressé d'une grenade, la fraîcheur étoilée qui se répand des nues. Couché sur un gazon dont l'herbe est encore chaude de s'être prélassée sous l'haleine du jour, oh! que je viderais, ce soir, avec amour, la coupe immense et bleue où le firmament rôde. Suis-je Bacchus ou Pan? Je m'enivre d'espace, et j'apaise ma fièvre à la fraîcheur des nuits. La bouche ouverte au ciel où grelottent les astres, que le ciel coule en moi! que je me fonde en lui! Paul Fort (1872-1960), Ballades françaises

A la lecture de ce texte nous éprouvons d'emblée une heureuse surprise. Nous pensions qu'il s'agissait d'un texte en prose; or les rimes intérieures et le rythme nous font découvrir très vite qu'il s'agit en fait d'un poème dont l'auteur a masqué le caractère par un artifice d'écriture. Les rimes sont mêmes assez riches (cigale/étoile, chaude/rôde, etc.). A l'heure où tant de mystificateurs déguisent leur prose banale en poésie, en feignant d'écrire des vers qui ne sont en fait que des lambeaux de phrase, Paul Fort invente le délicat plaisir de dissimuler l'éclat de sa poésie sous le terne habit de la prose. Mais plus cet habit est modeste, plus il met en valeur ce qu'il recouvre. L'auteur semble se plier à la mode qui bannit toute poésie régulière mais ce n'est qu'une apparence qui ne trompe pas; il n'a rien abdiqué de son goût pour la versification classique. Paul Fort est un poète clandestin.

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