Parthénon, sur l'Acropole d'Athènes - Chateaubriand
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
« Il faut maintenant se figurer tout cet espace tantôt nu et couvert d'une bruyère jaune, tantôt coupé par des bouquets d'oliviers, par des carrés d'orge, par des sillons de vignes ; il faut se représenter des fûts de colonne et des bouts de ruines anciennes et modernes sortant du milieu de ces cultures ; des murs blanchis et des clôtures de jardins traversant les champs (?); Il faut supposer toutes ces montagnes dont les noms sont si beaux, toutes ces ruines si célèbres, toutes ces îles, toutes ces mers non moins fameuses éclairées d'une lumière éclatante. J'ai vu, du haut de l'Acropolis, le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette ; les corneilles, qui nichent autour de la citadelle mais qui ne franchissent jamais son sommet, planaient au-dessous de nous (?) Athènes, l'Acropolis et les débris du Parthénon se coloraient de la plus belle teinte de la fleur du pêcher ; les sculptures de Phidias, frappées horizontalement d'un rayon d'or, s'animaient et semblaient se mouvoir sur le marbre par la mobilité des ombres du relief ; au loin, la mer et le Pirée étaient tout blancs de lumière : et la citadelle de Corinthe, renvoyant l'éclat du jour nouveau, brillait sur l'horizon du couchant comme un rocher de pourpre et de feu .(?) Où sont allés les génies divins qui élevèrent le temple sur les débris duquel j'étais assis ? Ce soleil qui peut-être éclairait les derniers soupirs de la pauvre fille de Mégare, avait vu mourir la brillante Aspasie. Ce tableau de l'Attique, ce spectacle que je contemplais, avait été contemplé par des yeux fermés depuis deux mille ans. Je passerai à mon tour : d'autres hommes aussi fugitifs que moi viendront faire les mêmes réflexions sur les mêmes ruines. Notre vie et notre c?oeur sont entre les mains de Dieu : laissons-le donc disposer de l'une comme de l'autre. «
Vue d'ensemble
Ainsi qu'il est découpé dans la suite du récit de Chateaubriand, le texte se présente comme une méditation engendrée par le spectacle décrit par l'auteur. L'unité du texte repose sur le fait que la description est déjà entièrement conçue en fonction de la méditation qu'elle appelle.
Mouvement du texte
Les deux paragraphes du texte s'opposent nettement quant à la forme : A. Description du panorama (I. 1 à 31) : Tableau concret. Deux moments : — (l. 1 à 14) Tableau d'ensemble faisant appel à l'imagination du lecteur. Emploi de l'infinitif (mode impersonnel). — (l. 14 à 31) Une scène précise vécue par l'auteur. Narration. Emploi de l'indicatif aux temps du passé. B. Méditation engendrée par ce spectacle (I. 32 à 54) : — (l. 32 à 42) Contraste entre la grandeur passée d'Athènes et sa misère présente : opposition entre les conditionnels (l. 32 à 38) et les indicatifs (l. 38 à 42). — (l. 42 à 54) Réflexion sur le Temps et sur le destin de l'homme face à lui. Cette réflexion aboutit à la soumission à Dieu. Cohérence de la pensée de Chateaubriand dans ses différents ouvrages.
«
— (l.
4 à 7) Cette dualité se poursuit : «ruines sortant du milieu de ces cultures» ; «...
murs et clôtures de jardinstraversant les champs».
A cette première dualité s'en ajoute une seconde : la coexistence d'éléments du passé :fûts de colonne, et du présent : murs blanchis, clôtures.
Ceci est souligné encore par l'expression : «ruinesanciennes et modernes» (l.
5).
On voit que ces éléments ne sont pas simplement décoratifs, mais introduisent déjàla notion du Temps maître des hommes et des civilisations à laquelle s'attachera la méditation de la seconde partie.La description n'est donc pas gratuite, mais orientée vers la réflexion qu'elle a engendrée.— (l.
7 à 11) Des Albanaises...
qui lavent...
les robes des Turcs.
Quand Chateaubriand visite la Grèce, celle-ci estencore sous la botte turque.
C'est à partir de 1821 qu'elle se libérera progressivement, aidée en particulier par laFrance, l'Angleterre et la Russie.
Les écrivains romantiques, tant en France qu'en Angleterre (Byron), ont joué unrôle certain dans cet appui, en particulier Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII.Dans cette phrase, il est à remarquer que l'auteur parle d'Albanaises, soulignant ainsi que la population qu'il a sousles yeux diffère de celle de la Grèce antique ; il présente ces femmes occupées à des tâches serviles au profit del'envahisseur.
Ceci sera repris dans la méditation par l'expression populace esclave (l.
40).— (l.
11 à 14) Dans la dernière partie de cette longue phrase, l'auteur reprend les différents éléments du paysageen une vue d'ensemble trouvant son unité dans l'éclairage : une lumière éclatante (l.
14).
La répétition (quatre fois)du mot toutes souligne le caractère exhaustif de cette description.Chateaubriand insiste sur la célébrité des lieux : «noms si beaux...
ruines si célèbres...
mers non moins fameuses».Ici encore cela prépare la partie de la méditation (l.
32 à 42) opposant ce que fut la Grèce et ce qu'elle estdevenue.— (l.
14) J'ai vu.
L'optique change brutalement : asyndète (absence de liaison) entre ces deux phrases.
— (l.
15) Acropolis.
Citadelle d'Athènes.
Chateaubriand préfère garder la forme grecque, peut-être pour la sonorité.L'Hymette est bien à l'est de l'Acropole mais n'a qu'un sommet.
A l'exactitude photographique, Chateaubriand préfèreune vue inexacte mais pouvant frapper l'imagination du lecteur.— (l.
16 à 18) Autre exemple d'inexactitude volontaire et visant à l'effet poétique : on ne voit pas pourquoi lescorneilles ne franchiraient jamais (l.
17) le sommet de la citadelle, haut d'une centaine de mètres.
Mais l'auteursemble ainsi dominer complètement le paysage qui s'offre à lui, les oiseaux eux-mêmes évoluant dans un mondeinférieur, «au-dessous de nous» (l.
18).— (l.
19 à 31) Progression dans l'apparition des couleurs avec la lumière du jour : d'abord des teintes de pastel :«glacées de rose»....
«fumée bleue et légère» puis des couleurs plus chaudes : «la plus belle teinte de la fleur dupêcher»...
«un rayon d'or» ; enfin la clarté complète : «tout blancs de lumière».
Une semblable progression estsoulignée par les indications de temps et de lieu : «premiers reflets du jour» ; l'ombre règne encore «le long desflancs de l'Hymette», tandis qu'au loin «la mer et le Pirée» qui ne sont pas à l'ombre de l'Hymette sont déjà «toutblancs de lumière».— (l.
26) S'animaient...
Chateaubriand souligne l'apparition du mouvement dans ce tableau par une allitération :s'animaient...
se mouvoir...
le marbre...
la mobilité.— (l.
29) La citadelle de Corinthe.
Même par temps clair il est peu probable que Chateaubriand l'ait réellement vuedu haut de l'Acropole (elle est distante de 80 km !) Ici encore, l'auteur préfère la composition artistique àl'exactitude.
Son coup d'oeil est panoramique : il a d'abord regardé du côté où se lève le soleil, l'est, l'Hymette ; puisce qu'il a à ses pieds, Athènes, et au sud, le Pirée ; enfin à l'ouest, Corinthe, dont la description imaginaire dot laphrase avec majesté : rocher de pourpre et de feu.— (l.
32 à 37) Nous aurions pu voir...
entendre...
ouïr.
La répétition du conditionnel souligne que seul le Tempsempêche la réalisation de ces actes, le lieu étant semblable : du lieu où nous étions placés.
C'est donc sur le Tempsque portera la méditation des lignes 42 à 54.Chateaubriand évoque successivement divers aspectsessentiels de la grandeur d'Athènes dans ses beaux jours : la puissance maritime et politique ; le génie artistique etthéâtral ; la vertu de l'éloquence et le goût de l'indépendance : en effet Démosthène n'est pas seulement le plusgrand orateur grec mais aussi celui qui le dernier a tenté de susciter chez ses concitoyens un sursautd'indépendance contre l'occupation macédonienne.
En citant son nom, Chateaubriand pense certainement à cesdeux aspects de l'orateur.— (l.
38 à 42) En effet le contraste entre Athènes au temps de sa splendeur et l'Athènes moderne est d'abordsensible par l'ouïe : aucun son...
à peine quelques cris.
Les oppositions sont fortes : cris échappés à une populaceesclave voix d'un peuple libre.— (l.
42) Je me disais.
Comme dans le paragraphe précédent, Chateaubriand passe d'une vue générale et collective(nous aurions pu...) à un point de vue personnel.— (l.
43 à 50) A trois reprises, Chateaubriand évoque un objet qui subsiste et l'oppose à deux sortes de spectateurs: ceux du passé et ceux du présent :• Le temple ; les génies divins qui [1'] élevèrent ; Chateaubriand assis sur ses débris.• Le soleil ; la pauvre fille de Mégare (que Chateaubriand avait soigné lors de son passage dans cette ville voisined'Athènes) ; la brillante Aspasie (maîtresse de Périclès et dont l'esprit égalait la beauté).• Le tableau de l'Attique ; les yeux fermés depuis deux mille ans ; Chateaubriand lui-même.Dans les deux premiers cas le temps a apporté un appauvrissement : le temple n'est plus que débris ; ce ne sontplus des femmes brillantes comme Aspasie qui vivent là, mais de pauvres filles anonymes.
Dans le troisième cas enrevanche Chateaubriand se croit certainement l'égal (au moins) des spectateurs antiques.— (l.
50) Je passerai à mon tour...
Passage au futur : ce qui était présent (Chateaubriand) jugeant le passé, rejointce passé.— (l.
51 et 52) La répétition de les mêmes souligne la permanence des réflexions entraînées par ces ruines et leurcaractère presque obligatoire.— (l.
52) Notre vie et notre coeur.
Remarquer que Chateaubriand ne dit pas : notre corps et notre âme.
Il souligne.
»
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