Parfum exotique de BAUDELAIRE
Publié le 14/09/2006
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« Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, Je respire l'odeur de ton sein chaleureux, Je vois se dérouler des rivages heureux Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone; Une île paresseuse où la nature donne Des arbres singuliers et des fruits savoureux; Des hommes dont le corps est mince et vigoureux, Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne. Guidé par ton odeur vers de charmants climats, Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encor tout fatigués par la vague marine, Pendant que le parfum des verts tamariniers, Qui circule dans l'air et m'enfle la narine, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers. «
C'est l'un des rares sonnets dont les rimes sont absolument régulières, ABBA, ABBA, CCD, EDE. Ce choix s'explique par la parfaite adéquation de la forme au sujet qui caractérisera la poétique baudelairienne fondée sur la discipline et la rigueur. Rien de fortuit, rien de gratuit dans ces vers marqués par une recherche véritablement artisanale de justesse de l'expression et de cohérence structurale. Dans ce sens, bien qu'ouvrant la voie à la modernité, Baudelaire est aux antipodes des surréalistes qui, à tant d'égards, appartiennent à sa lignée. Pourtant, la poétique baudelairienne est entièrement centrée sur la singularité, le caractère arbitraire d'une sensibilité qui méprise les conventions poétiques, comme son auteur méprisait les conventions sociales. C'est ce que Baudelaire appelait « la souveraineté poétique «. Le sentiment individuel prévaut toujours sur les lois de la rhétorique. Baudelaire, dans sa poésie, se raconte, et cet abandon, ce ton confidentiel qui préfère le murmure à la profération romantique, est d'autant plus convaincant qu'il est servi par une exigence extrême de la propriété des termes. Cette volonté d'exactitude ne doit pas se comprendre comme une fidélité à la lettre du langage, mais à son esprit. Comme tout grand poète, Baudelaire parle sa propre langue. Il utilise le fonds commun à sa manière et cherche beaucoup plus à déchiffrer les signes mystérieux d'une réalité enfouie en lui, dans sa vie intérieure, que les images visibles de la réalité extérieure.
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profération romantique, est d'autant plus convaincant qu'il est servi par une exigence extrême de la propriété destermes.Cette volonté d'exactitude ne doit pas se comprendre comme une fidélité à la lettre du langage, mais à son esprit.Comme tout grand poète, Baudelaire parle sa propre langue.
Il utilise le fonds commun à sa manière et cherchebeaucoup plus à déchiffrer les signes mystérieux d'une réalité enfouie en lui, dans sa vie intérieure, que les imagesvisibles de la réalité extérieure.
Cet alliage de liberté et de nécessité apparaît ici dans le contraste entre la fluidité narrative et la constructionformelle qui paraîtrait factice si elle n'était pas à ce point déterminée par le sujet lyrique.
On retrouve dans larépétition symétrique des structures syntaxiques («Je respire...
», «Je vois se dérouler...
», «Je vois un port...
»),des effets de parallélisme concordant avec la régularité de la prosodie et qui conviennent parfaitement à la tonalitésereine de ce poème.Aucun «secret douloureux » ne vient troubler l'harmonie du paysage marin.
Le rythme ternaire du premier versproduit un balancement berceur qui introduit le lecteur (ou la lectrice, puisque le poème est dédié à Jeanne Duval)dans une atmosphère de rêverie et de griserie.
Ce mouvement pareil à celui de la houle exprime le désir de setransporter « ailleurs ».
Cette aspiration à fuir la réalité présente deviendra l'une des constantes de la poésiebaudelairienne.
« Quand les deux yeux fermés...
» signifie non seulement une circonstance, mais la condition mêmede cette absence au monde actuel, absence appelée à être remplie par la vision d'un monde lointain dans l'espaceet dans le temps.Ce n'est pas un hasard si le moment propice à l'avènement de cette vision est un «soir chaud d'automne ».
C'estl'heure et la saison baudelairiennes par excellence, car elles sont le symbole du déclin et signifient à la foisl'épuisement et l'apaisement.
Plus tard, dans le sillage de Baudelaire, l'automne deviendra l'une des références deprédilection des poètes symbolistes et décadents qui chanteront la mélancolie des civilisations finissantes.
Ici,aucune signification névrotique ne s'attache à cette fin du jour, comme ce sera le cas, par exemple, dans le poèmeen prose intitulé « Le crépuscule du soir ».
On pensera plutôt aux premières phrases sur lesquelles s'ouvre un autrepoème en prose : « Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes! Ah! pénétrantes jusqu'à la douleur! Car ilest de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité, et il n'est pas de pointe plus acéréeque celle de l'Infini.
»Mais l'Infini ne semble pas avoir encore fait sentir sa pointe au poète heureux qui respire ce « parfum exotique ».Peut-être est-ce l'analogie (et de nouveau le parallélisme) renforcée par un effet d'assonance entre la chaleur dusein et la chaleur du soir qui rend celui-ci seulement « pénétrant » et « délicieux » sans que l'intensité de cettesensation aille jusqu'à la douleur.
L'association «soir chaud d'automne » serait presque contradictoire si on ne devaity voir plutôt une valeur d'atténuation : la chaleur qui s'applique à la fois au soir et à l'automne est une chaleurdouce, apaisante, consolante comme celle du sein féminin, rappel, peut-être, du sein maternel.
Le bercement de lahoule marine n'est-il pas aussi celui qui apaise la douleur au lieu de la raviver? On perçoit à nouveau une analogie etun parallélisme entre ce bercement et celui de la respiration qui soulève le sein chaleureux, où le poète trouverefuge.
Cette fusion charnelle, cette béatitude non exempte de connotations érotiques apportent le calme, le repos,et protègent des pensées torturantes, de l'aiguillon de l'Infini, comme la mère protège l'enfant contre les mauvaisrêves.
L'image du paradis exotique va naître et se dérouler à partir de cette sensation bienheureuse de repli dansune présence « chaleureuse » non plus au sens physique, chaleur du soir, chaleur du sein, mais au sens moral,affectif, chaleur de l'amour, et moins la chaleur ardente du désir que la chaleur douce de la tendresse qui réunit,confond les âmes et les corps.
On peut penser aux vers de « Sonnet d'automne » où Baudelaire murmure à sa bien-aimée :
«Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite...Je hais la passion et l'esprit me fait mal !Aimons-nous doucement.
»
L'ampleur des rimes riches confirme cette impression de douceur et de plénitude.
Ce poème est peut-être le premieroù apparaissent les correspondances.
Mais la sensation olfactive reste dominante.
Elle est le tronc sur lequel segreffent les autres associations.
Celles-ci ne s'organisent pas selon une gradation; elles s'enchaînent de façonlinéaire et continue.
L'évocation des « rivages heureux » se déroule avec la même régularité que brillent « les feuxd'un soleil monotone ».
Le rappel du premier vers des tercets : « Guidé par ton odeur...
» n'a pas seulement lavaleur d'une reprise, au sens musical, mais a un effet d'insistance qui instaure pleinement « l'odeur » de la femmedans sa fonction de sujet actif du poème.
A aucun moment, l'île paresseuse ne se voit accorder une existence autonome.
Elle est tout entière contenue dansl'odeur qui est elle-même une métonymie désignant le corps de la femme.Non seulement la vision se déploie à partir de cette odeur, mais elle est présentée jusqu'au bout comme l'émanationde ce «parfum exotique » porteur de désir et de rêve.
La dernière strophe accomplit cependant une synthèse et unepercée.Une synthèse, car l'idée de simultanéité introduite par «pendant que » semble donner à chacune des troissensations évoquées une valeur égale : la vision, le parfum et le chant semblent mis sur le même plan, appelés àdéployer toutes les potentialités de l'odeur féminine.
Mais cette même simultanéité opère une ouverture et undépassement des données sensorielles vers un accomplissement spirituel.
Ce mouvement est parallèle à celui quidans le deuxième quatrain avait amplement développé le thème tactile expressément indiqué par la mention des.
»
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