On a souvent loué la puissance et la fécondité de l'imagination de Victor Hugo. Montrez comment, dans la représentation du pouvoir issu du coup d'État du 2 décembre 1851, il met la puissance de l'image poétique au service de son combat politique. Vous vous appuierez sur des exemples précis tirés des Châtiments.
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
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Victor Hugo attaque le caractère inhumain de ce pouvoir; la « politique spectacle » qui voile la réalité tragique dupays et masque la pratique autoritaire du pouvoir ; la corruption liée au règne de l'argent ; l'incohérence d'unepolitique où alternent principes démocratiques (l'usage du suffrage universel, par exemple) et tentations tyranniques(le coup d'État).Le coup d'État est un meurtre.
Le poème allégorique « Confrontations » (I, 15) résume bien ce que pense Hugo del'acte inaugural du Second Empire : les principes les plus saints, les qualités sociales les plus hautes (Probité,Pudeur, Raison, Vertu), les piliers essentiels de la société (Religion, Justice), tous personnifiés, sont montréspoignardés par ceux qui en étaient responsables.
Le coup d'État du 2 décembre apparaît comme un attentat contrele corps social dans son ensemble.
En associant systématiquement le coup d'État et les événements tragiques du 4décembre, Hugo rappelle au peuple de France que le pouvoir de Napoléon III s'est construit sur son cadavre.
Un prince sanguinaire.
Auteur de ce meurtre, Napoléon est un « assassin qui rôde dans les plaines» (« Sacer esto »,IV, 1).
On voit ainsi, dans des scènes extrêmement violentes, l'Empereur tuer à qui mieux mieux : « il a tué, sabré,mitraillé sans remords », poignarder ses victimes puis se gorger de leur sang avec un plaisir sadique, exhalant «l'affreux hoquet de sang » (II, 7) .
Par des images grandioses d'assassinat collectif, Hugo identifie l'attitude dupouvoir au cannibalisme et au vampirisme.
La Seine est rouge de sang et les criminels, à la manière des loups, selèchent leurs babines ensanglantées.Le bagne.
La répression et la déportation qui suivirent le coup d'État fournissent l'occasion d'une autre image fortemanifestant la cruauté et le cynisme du prince : le bagne.
Le pouvoir, en effet, exile, proscrit, déporte en Afrique,plus spécialement en Algérie ou à Cayenne: «À Cayenne, en un bagne abîmé d'agonie ».
Pauline Roland connaîtra lesbagnes d'Afrique, « enfers qu'a sondés Ribeyrolles ».
Au début des Châtiments, la longue description du bagne deToulon et de la vie des bagnards présente de façon symbolique la France impériale, société asservie et maintenuedans les fers, réduite au silence par un bourreau sanguinaire.
Un pouvoir corrompu.
Le poète montre, dans son oeuvre, que Louis-Napoléon a choisi délibérément d'enrichir ses amis, ses zélateurs, pour s'assurer de leur soutien indéfectible.
L'empereur «sème l'or [...] et sa largesse éclate» («Éblouissements», VI, 5).
Le règne de l'or se matérialise dans la Bourse, une bourse qui « rit», des boursiers sans scrupules: «Boursier qui tonds le peuple, usurier qui le triches » (I, 10).
C'est aussi le triomphe de la finance internationale et du cosmopolitisme « impur» que les adversaires reprocheront constamment à l'empereur; et l'antisémitisme récurrent de l'époque n'est pas loin : «Amis de Fould le juif et de Maupas le grec».
Le règne de la prostitution, la multiplication des lieux de plaisirs et des rendez-vous galants, qu'affectionnait particulièrement Napoléon III, sont évoqués à travers des images d'orgies, de ripailles (voir I, 10 et III, 9, I), mais aussi par celles de la « fange », de la « boue», des « immondices», qui trouvent leur accomplissement dans l'image de « l'égout» (« L'Égout de Rome »).
On voit ainsi « l'immondice au sommet de l'Etat» et Troplong est le « récureur d'égout » d'une « cité bourbier» où le vice est roi.
Un pouvoir théâtral.
Le pouvoir de Napoléon III a l'hypocrisie des tyrannies, qui dissimulent leurs exactions, mais il en a aussi les fastes.
Les lieux où il s'exerce sont d'abord des lieux de représentation.
Que ce soit l'Élysée, en fête,«où l'on chante et où on déblatère» ou le Louvre, le château de Saint-Cloud, de Compiègne où l'on mène joyeuse vie et où « L'empereur s'amuse » (III, 10), partout l'on fait ripaille et le prince, au son d'un orchestre, se donne en spectacle, «fait la roue et trône au centre de la fête» («Nox»).
«II chasse aux femmes dans les théâtres», se montre à la cantonade (V, 7), fréquente les lieux à la mode, tel que l'hippodrome de Franconi.
Le voilà comme«écuyer du cirque Beauharnais », parodiant Napoléon I er, jouant au pitre Bobèche, «près de Troplong Paillasse et de Baroche pitre» (fin de « L'Expiation », V, 13).
La foule accourt au spectacle et bat «la grosse caisse».
L'épopée napoléonienne tourne à la mascarade, à la courtille du mercredi des Cendres (VI, 16).
Le prince n'a plus d'impérial que le masque, «un vil masque à moustache»; c'est un bouffon entouré de «pasquins » et l'on peut se demander si l'assassin dépasse l'« histrion » ou l'inverse.
Ainsi la face présentable du régime, qui tourne au burlesque et au grotesque, ne parvient pas tout à fait à dissimulerles coulisses nauséabondes.
Victor Hugo met en évidence deux facettes contradictoires du prince (l'histrion et lebrigand) pour mieux dénoncer l'ambiguïté de sa politique.
Un pouvoir ambigu.
Tour à tour sanguinaires et grotesques, comiques et tragiques, Napoléon III et ses séides sont, pour Hugo, de «grands hommes nains».
Alliant les contraires pour mieux leurrer son monde « altesse en ruolz, prince en chrysocale », maniant à la fois la force et la ruse, le prince «appui de l'ordre.., bon catholique» (VI, 13) a provoqué le chaos en mettant «Paris sens dessus dessous».
Toutes les valeurs paraissent inversées: « la vertu devient faute et le bien devient mal» (VI, 13) ; ni républicain, ni royaliste, le prince-président emprunte à ces deux régimes antithétiques.
Il provoque un coup d'État pour mettre finà la République, mais il tire sa légitimité du suffrage universel (même si, pour Hugo une telle consultation du peupleétait faussée : «Ils ont voté, dit-il.
Mais qui donc a vu clair dans ce scrutin nocturne».
Napoléon III est «l'escroc du scrutin», IV, 3).
Proche du socialisme, du moins au début, et du parti de l'ordre, Louis-Napoléon oblige ses adversaires à des contorsions et à un comportement ambigu..
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