On a dit que la véritable originalité des grands romanciers réalistes était « d'avoir transformé la réalité vulgaire en oeuvre d'art ». En vous appuyant sur l'étude précise d'un roman réaliste, vous justifierez ce jugement.
Publié le 11/09/2014
Extrait du document
C'est pourtant à partir de cette réalité vul‑
gaire que Flaubert a créé une oeuvre d'art, et cette transformation s'explique quand on prend conscience du soin qu'il a apporté à la composition. Rien n'est plus savant mais rien non plus n'est plus discret que la manière dont s'agencent les éléments au cours de la progression du roman. Le lecteur assiste aux menus faits quotidiens rapportés, semble-t-il, sans choix et sans apprêt, dans l'ordre qu'impose la stricte chronologie. Mais, de chacun d'entre eux, l'auteur met en lumière la valeur significative : ils révèlent les nuances d'un caractère, ils éclairent l'évolution d'un sentiment. Car c'est bien en définitive la banalité étouffante des jours qui pèse sur Emma. On la voit se débattre désespérément contre l'ennui et pour s'y soustraire aller de folie en folie selon un crescendo inexorable.
«
FLAUBERT
Adelphine, Emma s'éprendra successivement d'un vo1sm de
campagne et d'un clerc de notaire.
L'un et l'autre ressemblent
d'ailleurs fidèlement aux modèles qui les ont insplfes.
Rodolphe Boulanger en particulier offre l'exacte réplique de
Louis Campion, le premier amant de Madame Delamare, un bellâtre assez vulgaire qui menait une vie dissolue et se trouva
complètement ruiné au bout de quelques années.
On a même
retrouvé la trace de la petite servante qui fournit à Flaubert le per
sonnage de Félicité.
Elle vivait encore près de Rouen aux environs
de 1900.
On n'a pu déterminer avec certitude quels êtres réels
Flaubert avait dépeints sous les traits de l'abbé Bournisien et du
pharmacien Homais.
Pour ce dernier au moins on a cité plusieurs
originaux possibles et tout porte à croire que le portrait a été
composé à partir d'éléments puisés à diverses sources.
Mais quoi
qu'il en soit, ces deux comparses s'harmonisent parfaitement
avec la médiocrité de l'ensemble.
Le cadre L'évocation du cadre contribue à renforcer la
même impression.
On y respire une atmosphère de
rusticité et le romancier se complaît à peindre avec minutie les
détails propres à la créer.
La première rencontre de Charles et d'Emma se passe dans la ferme du père Rouault et à la suite du médecin nous longeons le hangar qui abrite charrues et charrettes, nous détaillons à loisir tout le matériel agricole qui s'y trouve entreposé, tandis que s'étale au premier plan un large fumier sur lequel picore la volaille.
Et c'est sous ce même hangar que sera dressée la table du repas de noces.
La petite
maison du médecin, à Tostes, donne une impression de médio
crité et de mauvais goût avec ses pièces minuscules et mal entre
tenues, sa tapisserie jaune serin qui tremble sur une toile mal
tendue, ses rideaux de calicot blanc bordés d'un galon rouge.
Quant au bourg de Yonville-l'Abbaye où vient ensuite s'installer le ménage Bovary, il n'est guère attirant à en juger, de prime abord, par la grande place où la diligence vient déposer les
voyageurs.
La mairie s'y donne pompeusement des airs de
temple grec avec ses colonnes ioniques et elle
s'orne curieuse
ment d'un « coq gaulois, appuyé d'une patte sur la Charte et tenant de l'autre les balances de la justice».
La pharmacie
étale ses bocaux rouges et verts tandis que l'auberge arbore au-dessus de la porte sa pompeuse enseigne : un « vieux lion d'or déteint par les pluies » qui « montre aux passants sa frisure
de caniche ».
Le décor prosaïque, prétentieux et sans goût est
bien à l'unisson des personnages..
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