On a dit que, dans un roman comme Robinson Crusoé, il y avait un savoir historique, géographique, social, technique, botanique, anthropologique. D'une façon générale, un roman n'est-il pour vous que la somme des connaissances qu'il véhicule ?
Publié le 24/02/2011
Extrait du document
I. Le roman, une manière agréable de s'instruire A. Des romanciers qui nous instruisent : intentions et réalisations B. Des techniques d'écriture au service du savoir II. Les savoirs apportés par le roman A. Le romancier; la géographie et l'histoire B. Sociologie et étude des milieux C. L'analyse du coeur humain III. Les inconvénients des romans instructifs A. Ce savoir est une illusion B. Le roman satisfait un besoin d'évasion C. Le roman est une belle histoire, une œuvre d'art
«
moyennement.
Le savoir du lecteur dérive des connaissances véhiculées par la fiction.
L'écriture de L'Étranger de A.Camus nous pénètre ainsi mieux qu'un long développement philosophique sur l'Absurde.
Aucun thème de savoirs n'est étranger au roman qui est de la sorte une mine de renseignements.
Sans quitter notrechambre, nous voyageons dans un fauteuil.
Nous visitons quartiers, villes, régions où nous n'irons peut-être jamaiset qui nous deviennent familiers.
La géographie physique et humaine n'a plus de secret pour nous.
Le Voyage aucentre de la terre de J.
Verne fait de nous des spéléologues du siècle dernier.
Le Père Goriot de H.
de Balzac nousfait descendre dans l'enfer des bas-fonds parisiens.
Nous nous initions à des formes de civilisation qui enrichissentnotre culture.
Le romancier se fait historien, sociologue, ethnologue, linguiste et parfois même économiste oupolitologue.
Selon Claude Roy, le roman historique recrée un passé plus vrai que celui des historiens : « Ce que leshistoriens imaginaires nous donnent peut-être, c'est la véritable histoire de la vie réelle, l'Histoire que n'ont jamaisécrite les historiens » (Défense de la littérature).
Les héros de romans historiques sont d'ailleurs souvent fictifs :Gauvain dans Quatre-vingt-treize de Victor Hugo n'a jamais existé.
Mais tels qu'ils sont, les romans historiques sontsouvent de remarquables outils de vulgarisation.
Ils ont la chaleur de la vie qui manque aux lourds traités rationnels.
Les romans de société peuvent être lus comme des pages d'Histoire.
On considère que La Comédie humaine de H.
deBalzac est un excellent tableau de la société française sous la Restauration.
H.
Barbusse, dans Le Feu, R.
Dorgelès,dans Les Croix de bois, et M.
Genevoix, dans Ceux de 14, font revivre les tranchées de 1914.
De même, à l'époquecontemporaine, on peut lire dans Bonjour Tristesse de F.
Sagan un écho du spleen des années soixante.
Le roman réaliste, policier ou même populiste vaut à cet égard une enquête sociologique ou un reportagejournalistique.
Décors, costumes, attitudes des personnages, idéologies et particularités de langage révèlent descatégories socio-culturelles ou socio-professionnelles qui retiennent notre attention par leur exotisme et par leurcharme.
M.
Proust, dans La Recherche du temps perdu, épingle les moindres stéréotypes des grands bourgeois etdes aristocrates, des petits-bourgeois et des artistes du tournant de ce siècle.
Les romans policiers de G.
Simenon,par exemple, renouvellent leur suspens en étudiant dans chaque roman un milieu différent.
Le roman est un genre sitentaculaire qu'il absorbe les sujets les moins romanesques : la science, l'artisanat et les techniques avec desromans comme Le Pendule de Foucault d'U.
Eco, ou certains romans de science-fiction ou d'anticipation.
Le romanjoue avec la science qu'il vulgarise, la politique et toutes les relations sociales, et enrichit ainsi notre connaissancede l'homme et des hommes.
L'un de ses domaines de prédilection reste, semble-t-il, le coeur humain.
Les techniques d'exploration du psychismevarient : G.
Flaubert veut rester « impassible » et décrire ses personnages de l'extérieur.
Marivaux au contraireessaye d'inventer un langage qui restitue les émotions de l'intérieur.
Les romanciers modernes nous rendentcomplices du subconscient de leurs personnages ; ainsi, les monologues intérieurs de J.
Joyce et de W.
Faulknerattirent notre attention sur le chaos intérieur.
Le roman d'analyse explique tout, étudie tout : les sensations deJeanne dans Une vie de G.
de Maupassant, les émotions de la princesse de Clèves dans le roman de Madame de LaFayette, les
tourments de l'amour chez Stendhal, M.
Proust et d'autres.
Mais le roman ne trahit-il pas sa vocation première quand il ne vise qu'à nous instruire ? Car il est avant tout une «histoire » qui comble notre soif d'évasion et notre désir de beauté.
L'érudition tue le romanesque.
Les descriptions etles commentaires du romancier intéressent le lecteur patient, attentif, et curieux.
Mais ils lassent le lecteur avided'émotions, de sensations, d'aventure.
Ils ralentissent le développement de l'action et distendent les liens quiunissent le lecteur au personnage auquel il s'identifie.
Le savoir du romancier n'est pas toujours convaincantd'ailleurs.
Effectivement, la réalité décrite peut avoir pris des rides et le contenu paraître rétrospectivement presqueridicule.
L'érudition date lorsque le progrès des sciences, l'évolution des mentalités et les changements du goût l'ontremise en cause.
La botanique de Rousseau ou de Senancour, auteur de la fin du XVIIIe siècle, la théorie descouleurs de Goethe ne valent plus guère aujourd'hui que par leur caractère poétique.
Le savoir romanesque relèvealors presque du mythe.
Ainsi M.
Genevoix a décrit la ville antique d'Olympie sans jamais y avoir mis les pieds.
C'estque le romancier ne décrit jamais en définitive que des paysages intérieurs.
Le savoir historique du romancier peutlui aussi être subjectif.
À chacun sa représentation de l'Histoire en fonction du pays dans lequel on vit, de l'époqueà laquelle on écrit, du public à qui on destine le récit, de l'éducation et de l'idéologie qui est la nôtre.
V.
Hugo etStendhal ne décrivent pas la même bataille de Waterloo.
Certains romanciers comme Alexandre Dumas se servent de l'Histoire comme simple toile de fond ou décorpittoresque, et elle satisfait notre soif d'évasion et notre goût de l'exotisme.
Car je romancier n'imite pas la réalité :il la transfigure.
C'est ainsi que É.
Zola recoupe plusieurs grèves réelles pour en conter une seule inventée dansGerminal En soi, les machines de Cyrano de Bergerac ou de J.
Verne, les robots de science-fiction ne nousapprennent rien.
Mais ils étan-çhent notre soif de merveilleux et d'horreur.
Effectivement, le roman comble avant tout un besoin d'évasion.
Il faut qu'il arrive quelque chose d'extraordinairedans une vie où en général il n'arrive rien.
Emma Bovary substitue à la routine d'un village normand un monded'aventure, d'amour et de luxe qu'elle trouve dans de mauvais romans.
Le lecteur de romans fuit l'agression du.
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