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Observations sur l'Oedipe-Roi

Publié le 12/03/2011

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oedipe

   Dans sa structure générale, l'Oedipe-Roi ne s'écarte pas du type de tragédie qui a été défini précédemment d'après l'Ajax, l'Antigone et l'Electre. Comme ces trois pièces, celle-ci est construite autour du personnage principal. Toutes les parties sont en rapport étroit avec son rôle ; toutes servent à développer ses sentiments, à les mettre en vive lumière, à concentrer sur lui l'intérêt. Et c'est encore sa volonté qui est le ressort presque unique de l'action. Fait d'autant plus remarquable qu'il ne résulte pas naturellement des données acceptées par le poète, mais bien plutôt, comme nous l'avons observé, d'un dessein librement formé par lui.    Seulement la volonté d'Oedipe diffère sensiblement de celle des protagonistes dont nous avons parlé plus haut. Chacun de ceux-ci a un objet, nettement défini dès le début de l'action, et qui reste le même jusqu'au dénouement. Ils suivent, pour ainsi dire, une ligne toute droite, dont ils ne dévient pas un seul instant.

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« Lacédémoniens demandèrent aux Athéniens d'expulser Périclès, qui, suivant eux, souillait leur ville par sa présence,comme descendant par sa mère des Alcméonides, coupables plus d'un siècle auparavant d'un meurtre sacrilège ? Ilest vrai que le même Sophocle, composant plus tard son Oedipe à Colone, a mis dans la bouche du vieillardl'apologie qui semble manquer à l'Oedipe-Roi.

Mais il a pu le faire sans manquer à son principe, parce que là, commenous le verrons plus loin, les circonstances et le milieu même étaient tout différents.

Tout ce qu'on peut enconclure, c'est qu'en pareille matière, la convenance et l'effet dramatique étaient ses seuls guides.

Dans Y Oedipe-Roi, il s'est proposé de frapper son public par un contraste, aussi impressionnant que possible, entre les deuxsituations de son personnage, celle du début et celle du dénouement. Au reste, en dehors même de ce contraste, il ressort des observations qui précèdent que le rôle d'Oedipe tout entierse distingue, entre tous ceux dont nous avons parlé jusqu'ici, par une variété psychologique d'autant plusremarquable qu'elle est associée à une action simple et naturelle.

Elle y est même si étroitement associée qu'on peutdire avec une égale vérité que l'action procède des sentiments et que les sentiments sont déterminés par l'action.C'est avec aisance et souplesse que le poète passe d'une situation à une autre, sans que jamais nous ayons lapensée d'être en présence d'une combinaison artificielle.

Et, dans chaque situation successive, tout est si juste, siheureusement approprié, que tout semble commandé par la nature même. II Si, maintenant, après le personnage principal, nous considérons les personnages de second plan, nous devonsadmirer quelle valeur Sophocle a su donner à ces rôles subordonnés, bien que tous, sans exception, fussent avanttout destinés dans sa pensée à concourir au développement complet de celui d'Oedipe. Parmi ces figures secondaires, la plus importante est celle de Jocaste.

Certes, sur une scène moins assujettie que lascène grecque au principe de la subordination des rôles, il eût été facile d'attirer sur elle autant d'intérêt et de pitiéque sur Oedipe lui-même.

Victime également innocente d'un même destin, elle n'est pas frappée moins cruellement.Ses malheurs remontent même plus loin que ceux d'Oedipe.

Epouse de Laïos, elle a été contrainte par la peur d'unoracle, d'exposer son enfant à une mort certaine, pour le soustraire au double crime auquel il était prédestiné, poursauver la vie de son mari et pour échapper elle-même à une souillure abominable.

Plus tard, elle a vu Laïos assassinépar des inconnus, la ville, dont elle était reine, assiégée par un monstre et préservée tardivement de la destructiontotale par un étranger, à qui elle a dû se donner.

Et lorsque, après tant d'épreuves, elle a enfin retrouvé, dans unevie calme, un peu de bonheur, voici qu'éclate l'effroyable révélation qui l'accable autant qu'Oedipe.

N'était-elle pas,elle aussi, plus même que lui peut-être, un personnage à mettre en scène au premier plan ? Mais cela, le poète nepouvait le faire sans violer un des principes fondamentaux de son art.

Il fallait donc qu'il trouvât le moyen decomposer son rôle de telle façon que, sans égaler en importance celui d'Oedipe, en contribuant même à en faireressortir certains aspects, il ajoutât cependant quelque chose par sa personnalité à l'intérêt pathétique du drame.Nulle tâche n'était plus délicate ; nulle non plus n'était plus propre à manifester la souple adresse d'un talent, quisemblait se jouer des difficultés. Dans les deux premières parties de la pièce, elle ne paraît pas.

Et l'action est conduite de telle manière que lespectateur n'a aucune occasion de penser à elle.

Captivé par le spectacle d'une cité entière en détresse, par laproclamation émouvante d'Oedipe, par l'intervention du devin et sa terrible dénonciation, par le conflit entre le roi etCréon, comment penserait-il à une femme que rien n'appelle hors du palais et dont le nom n'a même pas étéprononcé ? C'est ce conflit qui l'amène sur la scène.

Elle y vient en conciliatrice ; tout son rôle se réduit d'abord àcalmer quelque peu la violence d'Oedipe.

Nous sentons là l'influence qu'elle a sur lui.

C'est précisément le trait dontle poète a voulu se servir pour le rôle qu'il jugeait opportun de lui attribuer dans sa pièce.

Ne doutons pas qu'il n'aitété inspiré en cela par les moeurs athéniennes de son temps.

On sait combien la femme, dans l'Athènes du Vesiècle, vivait peu en dehors et combien la loi la retenait encore dans la dépendance étroite de son mari.

Mais il s'enfaut de beaucoup que la loi soit en aucun temps ni en aucun pays l'expression exacte de la réalité.

Bien que noussoyons, en somme, assez mal informés de ce qui se passait dans ces maisons athéniennes si fermées, certainstémoignages, qu'on peut recueillir dans les comédies du temps et aussi dans les plaidoyers des orateurs, nepermettent pas de méconnaître l'autorité morale que la mère de famille possédait très fréquemment et qu'elleexerçait même sur son mari.

N'était-ce pas la nature et la force des choses qui obligeaient celui-ci très souvent à laprendre pour confidente, à lui demander même conseil, lorsqu'il avait reconnu sa prudence, son sens pratique, lafinesse de son intelligence ? Aucun Athénien ne pouvait être surpris de voir Oedipe se conduire à cet égard commelui-même s'était comporté bien souvent dans sa vie domestique. C'est, en effet, à titre de confidente que Jocaste est mêlée à l'action.

Oedipe s'est laissé apaiser par elle ; il laprend en quelque sorte comme arbitre, quand il lui expose la raison des soupçons qu'il a conçus contre Créon.

MaisJocaste ressemble aussi à beaucoup de femmes, athéniennes et autres, par un second trait de son caractère, dontSophocle a fait le principal de son rôle.

Le sentiment chez elle l'emporte sur la réflexion.

Elle aime Oedipe ; elle levoit troublé par les paroles d'un devin ; elle ne songe qu'à le rassurer.

Dépassant la mesure, du premier coup, cen'est pas seulement la révélation de Tirésias qu'elle met en doute, c'est la véracité des oracles en général, elle quipourtant craint les dieux autant que personne, elle qui sera la première, quelques instants après, à prier Apollon, àporter des offrandes sur son autel.

On a vu comment un mot qu'elle a prononcé sans y attacher d'importance estpour Oedipe le premier trait de lumière qui jette le trouble dans son esprit.

Ce trouble, elle semble à peine yparticiper.

Et peut-être y a-t-il là, de la part de Sophocle, une simplification du rôle qui blesse quelque peu lavraisemblance.

Mais c'était sur Oedipe surtout, et presque uniquement sur lui, qu'il voulait, à ce moment de sapièce, attirer l'attention et la pitié.

Il n'a pas cru bon d'en détourner une partie sur Jocaste.

Il ne lui a donc accordé. »

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