Objet d’étude : La poésie.
Publié le 18/01/2020
Extrait du document
CORPUS
TEXTE A. Nicolas Boileau, « Chant I », Art poétique, 1674.
TEXTE B. Victor Hugo, « Réponse à un acte d’accusation », Les Contemplations, Livre premier, VII, 1856.
: TEXTE C. Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, dite « du voyant », ' Charleville, 15 mai 1871.
ÉCRITURE
I. Après avoir lu les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante. Question (4 points)
Quelle est la conception de la poésie qui s’exprime dans chacun de ces textes ?
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants.
1. Commentaire (16 points)
Vous ferez le commentaire du texte de Victor Hugo (texte B).
2. Dissertation (16 points)
La rébellion contre l’héritage des poètes précédents est-elle indispensable à la création poétique ?
Vous répondrez en vous appuyant sur les textes qui vous sont proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.
3. Invention (16 points)
A sa parution, le texte de Hugo suscite un vif débat dans la presse. Vous écrivez alors un article polémique dans lequel vous défendez ou, au contraire, attaquez sa conception selon laquelle la poésie doit employer tous les moyens expressifs qu’elle désire, sans se plier aux règles.
Le corpus offre trois textes, dont deux versifiés, qui exposent la conception que leurs auteurs se font de la poésie, du travail sur la langue qu’elle implique. Le premier texte est un extrait de l’Art poétique de Nicolas Boileau, poète du Grand Siècle et représentant du classicisme, le deuxième est tiré d’un poème de Victor Hugo, placé dans le recueil des Contemplations. Hugo s’y montre bien le chef de file de l’esthétique romantique. Enfin, la Lettre à Paul Demeny, dite « du voyant », est un texte d’Arthur Rimbaud, auteur d’illuminations et du « Bateau ivre », poète prodige et inclassable qui inventa une langue poétique déroutante, hors des normes métriques et de toute démarche rationnelle.
Boileau, dans son Art poétique., s’adresse aux poètes et leur donne des recommandations comme le prouvent les fréquents impératifs à la deuxième personne du pluriel («Travaillez», «Hâtez-vous», «Polissez», «Ajoutez»). Première injonction : le poète se doit de respecter scrupuleusement le sens des mots, de bannir toute impropriété qui serait la conséquence d’une image, d’une figure originales. La poésie ne s’accomplit que dans la fidélité à une langue codifiée, elle n’a pas à en inventer une autre. Deuxième injonction, elle exige un travail lent et patient : « Hâtez-vous lentement [...] Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Ce travail a pour but la perfection du vers, la parfaite entente du sens et du son, l’harmonie de la langue. Boileau se méfie de la seule inspiration, libre, incontrôlée ; il préfère au poète-devin, créant dans un état second, le poète-artisan, qui cisèle, qui polit le vers. Ce parti pris s’exprime bien dans la métaphore du cours d’eau ainsi que dans l’antithèse* du ruisseau et du « torrent débordé ». Le ruisseau symbolise une beauté maîtrisée et sereine, qu’on qualifiera plus tard d’apollinienne, tandis que le torrent connote le désordre, l’irrégularité qui ravissait l’imaginaire baroque du premier xvne siècle, mais fait frémir le goût classique*. Enfin, l’œuvre d’art doit être soigneusement composée, construite. Un équilibre doit gouverner les différentes parties : « Que le début, la fin, répondent au milieu. » Cette exigence d’équilibre et d’unité exclut le détail saillant, saisissant, bannit « quelque mot éclatant ».
Le poème de Victor Hugo se veut une justification de ses positions esthétiques, de son combat contre les règles classiques imposant le cloisonnement des genres littéraires et des niveaux de langue. Hugo rappelle de manière imagée ce qu’était l’ordre classique et compare la hiérarchie des mots et des genres à une société strictement divisée en castes, puis rappelle, non sans une certaine théâtralité, la révolution qu’il opéra : «Alors, brigand, je vins [...] Je fis souffler un vent révolutionnaire. » La poésie ne saurait accepter de carcan lexical, elle doit user de tous les mots, puiser dans tous les milieux, pour exprimer l’idéal. Tel est le mot d’ordre de Hugo : « Pas de mot où l’idée au vol pur/Ne puisse se poser, tout humide d’azur! » Celui qui révolutionna le théâtre œuvre pour une libération de la poésie. Plus de lexique noble, plus de figures de style imposées.
Si Hugo veut utiliser toute la langue existante, sans réserve, le jeune Rimbaud, poète de dix-sept ans, veut en trouver une autre. « Trouver une langue », déclare-t-il en manière d’injonction. C’est donc avouer que tout pour le poète est à réinventer. Rimbaud, comme Hugo, éreinte au passage l’Académie et son entreprise de dictionnaire et rêve d’une langue qui serait « de l’âme pour l’âme », apte à saisir le « Tout » du monde, à rassembler toutes les sensations — on pense alors à l’idéal baudelairien des « Correspondances » — et toute la pensée. Mais cette nouvelle langue poétique n’est pas étrangère à l’ordre, à « l'Harmonie » et Rimbaud se réfère à la « Poésie grecque » qui se donnait une métrique.
I La représentation de l'ordre ancien : le cloisonnement des genres et des styles
Pour rappeler quelle était la hiérarchie des genres littéraires et des styles mise en place par les classiques au xvne siècle, Hugo recourt, tout au long de l’extrait, à une vaste personnification : les genres et les niveaux de langue sont les membres d'une société, divisée en castes parfaitement étanches.
1-1 La métaphore de la société d'Ancien Régime
Le poème assimile l’esthétique classique à la société d’ordres de l’Ancien Régime, que l’abolition des privilèges de 1789 mit à bas. Les mots deviennent des individus, comme l’attestent la référence à la naissance dès le premier vers (« bien ou mal nés ») ou encore les termes de « nobles », de « gueux », l’énumération du vers 11 s’appliquant au peuple des mots familiers et prosaïques. Il s’agit bien d’une métaphore filée puisque, dans la seconde partie, on trouve encore le « peuple noir des mots », et que le poète accorde à ceux-ci une dignité de citoyens en les déclarant «égaux, libres, majeurs». La division en « castes » correspond donc au cloisonnement des genres, interdisant le mélange des registres dans une même œuvre et l’emploi d’un lexique courant dans les genres nobles. Les premiers vers marquent bien ce cloisonnement en opposant « les uns » et « les autres » dans la même phrase. Ainsi Hugo consacre trois vers aux mots nobles réservés à la tragédie*, que l’énumération des trois personnages mythologiques (« les Phèdres, les Jocastes, les Méropes ») représente, et dix vers aux mots et aux genres « bas ». Les préjugés de castes de l’Ancien Régime et les mœurs de la Cour sont malicieusement évoqués pour critiquer les fondements de l’esthétique classique. Le participe passé péjoratif « parqués » souligne à la fois la contrainte et l’arbitraire institués par les règles classiques ; d’autres termes tout aussi dépréciatifs comme « hantant » ou « décorum » dénoncent l’emphase inhérente au genre élevé de la tragédie. C’est le vieux monde honni de la cour de Versailles, esquissé au vers 4, qui correspond complètement au classicisme, et que rejeta avec force le drame romantique. Révolution politique et révolution esthétique sont ici clairement apparentées.
1-2 Le mépris exprimé par les genres et les styles nobles
Tout comme les gens bien nés dédaignent les roturiers avant la Révolution, les genres nobles, comme la tragédie, méprisent « la prose et la farce », « les genres bas ». Hugo met en scène dans ce poème polémique les auteurs dramatiques du Grand Siècle. C’est bien sûr Racine qui incarne la défense de l’idéal classique : « Racine regardait ces marauds de travers », les marauds désignant les mots propres aux comédies* de Molière. Au purisme de Racine répond « le bonhomme Corneille », présenté avec sympathie. La langue de Corneille n’est pas encore aussi épurée que celle de son jeune rival, on y trouve, « blotti dans son vers », quelque mot manquant de noblesse. Hugo lui donne la préférence parce qu’il n’est pas soumis aux exigences classiques, il le présente même comme un résistant au nouvel ordre, refusant de modifier son lexique : « Il le gardait, trop grand pour dire : Qu’il s’en aille. » Hugo se place du côté d’un Molière et d’un Corneille, contre l’incarnation de la tragédie classique qu’est Racine, contre le grammairien Vaugelas, comparé au chef du « bagne Lexique », contre enfin le Voltaire auteur dramatique, héritier des règles classiques. On note dans les vers 18 et 19 l’opposition entre l’hystérie de Voltaire («Et Voltaire criait : Corneille s’encanaille ! ») et le silence plein de noblesse du « bonhomme Corneille ». A côté de cette société des mots, Hugo fait revivre quelques
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