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O poètes, s'écriait Leconte de Lisle, vous n'êtes plus écoutés, parce que vous ne réunissez qu'une somme d'idées désormais insuffisante; l'époque ne vous entend plus, parce que vous l'avez importunée de vos plaintes stériles, impuissants que vous étiez à exprimer autre chose que votre propre inanité (Discours de réception à l'Académie française, 1887). Que pensez-vous de ce reproche adressé aux poètes français du XIXe siècle ?

Publié le 05/05/2011

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discours

Leconte de Lisle s'acharne sur les poètes romantiques avec autant de violence que Malherbe sur les poètes de la Pléiade; à tous il reproche de prodiguer leur Moi, d'exposer au public leur vie intime, de cultiver leur sensibilité au lieu de rechercher la beauté. Musset, Hugo l'exaspèrent particulièrement. Aussi dans toutes ses oeuvres prend-il le contrepied de la poésie personnelle en s'efforçant d'atteindre l'impersonnalité et l'impassibilité, d'être un descriptif, non un lyrique.

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« hommes par la sincérité de son inspiration : la douleur de Lamartine à la mort d'Elvire, celle de Musset devant la trahison de George Sand, celle de Victor Hugo à la mort de sa fille Léopoldineappartiennent au patrimoine commun de l'humanité.De plus, la poésie romantique n'a pas ignoré les idées autant que Leconte deLisle l'insinue.

On peut tirer de Victor Hugo toute une philosophie (cf.

Livre VIdes Contemplations) peut-être confuse et obscure, mais grandiose.

Les poèmesde Vigny sont riches de pensée et sobres de confidences : La Maison du Bergerest une véritable méditation sur le sens de la nature, la valeur de la poésie, lerôle de la femme; Les Destinées posent l'éternel problème de la Providence etde la Liberté humaine.Enfin, les grands poètes romantiques ont eux-mêmes compris la nécessité derenouveler leurs thèmes d'inspiration.

Lamartine a renié le lyrisme personnel desMéditations pour chanter les souffrances et les aspirations de tous sescontemporains (Cf.

Lettre à M.

Félix Guillemardet).

De 1830 à 1848, lespréoccupations politiques et sociales l'emportent sur les problèmes purementlittéraires.

Non seulement les poètes se sont maintenus en contact avec la viedu pays, mais ils ont pris part aux luttes : on connaît .le rôle de Lamartine dansla Révolution de 1848 et celui de Victor Hugo dans la résistance au coup d'Etatdu 2 décembre.

La longue carrière de Victor Hugo manifeste un souci constantd'actualité et d'universalité, qu'exprime exactement l'image de l'écho sonore.Les critiques de Leconte de Lisle sont donc excessives; elles ne visent qu'unaspect de la poésie romantique : le lyrisme passionné, et ne s'appliquent qu'auxécrivains secondaires.Commentaire.

Un poète peut-il s'abstraire de son « Moi » ? Leconte de Lisle est-il absent de ses poèmes ? — Sansdoute, on ne trouve pas de confidences sur ses déceptions sentimentales, sur sa façon de vivre, son entourage,ses goûts; mais de poèmes, en apparence impersonnels, se dégage une conception de la vie, qui révèle le caractèredu poète.

Le pessimisme de Leconte de Lisle, son stoïcisme sont le résultat de son expérience; avant 1848, lepoète, qui militait dans les rangs socialistes et partageait les espérances de Fourier, souhaitait une réorganisationpolitique et sociale que la Révolution de 1848 ne réalisa pas et que le Second Empire détruisit.

L'amertume de cetéchec transparaît dans les Poèmes Antiques et dans les Poèmes Barbares.

Dans les premiers, il s'évade du morneprésent pour retrouver la beauté dans la Grèce antique; dans les seconds, il stigmatise à plusieurs reprises lasociété contemporaine et il crie aux hommes assoiffés d'or :Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.Aux désillusions politiques s'ajouta une déception sentimentale, dont le souvenir dura toute sa vie.

Aussi ne doit-onpas s'étonner si les portraits de femmes sont souvent durs et malveillants.

Comme Vigny, Leconte de Lisle ne voitdans la Femme qu'un être sensuel et perfide.

Nurmahal ne craint pas de tuer son mari pour épouser un roi(Nurmahal, Poèmes Barbares), la reine des Elfes tue le cavalier fidèle à sa fiancée, enfin Ekhidna, monstre moitiénymphe, moitié reptile, dévore tous ceux que sa beauté a séduits : Sa proie est éternelle et l'amour la lui mène. (Ekhidna, Poèmes Barbares) Peut-être le poète a-t-il désiré avoir un impassible coeur, sourd aux rumeurs humaines, mais il n'a atteint cetteimpassibilité ni dans le domaine politique, ni dans le domaine sentimental. CONCLUSION Les poètes romantiques ont su exprimer autre chose que leur propre inanité.

Leconte de Lisle a subi lui-même leurinfluence, et à un demi-siècle de distance, il apparaît plus comme leur continuateur que comme leur adversaire.Sans contester le renouveau qu'il a apporté à la poésie, il serait inexact' d'imaginer qu'il a rompu tout lien avec sesdevanciers immédiats et qu'il a atteint la parfaite impassibilité.

Aussi Anatole France a-t-il pu soutenir, non sansvraisemblance, que ce poète finalement ne montre que sa propre pensée.. »

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