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Nocturne - Jean GIONO, Que ma joie demeure.

Publié le 22/02/2012

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giono

Dehors, pas de bruit. La lune glissait le long des montagnes de l'ouest. Les loutres étaient parties. Un chat-huant guettait sans bruit sur la poulie du grenier. De temps en temps il ouvrait ses yeux rouges. L'étang suçait doucement les sables de ses petites plages. Les champs étaient noirs. La terre labourée ne se laisse pas éclairer par la lune. Seuls luisaient les talus d'herbe. La brume s'était fondue. Sous un amandier fleuri, le renard se léchait les pattes. Les sauterelles vertes chantaient. Elles étaient toutes immobiles sur les chardons pelucheux qui gardent la chaleur du jour. L'herbe s'étira. Un rayon de lune se refléta dans une longue feuille d'avoine. Le reflet éclaira les yeux de pierre d'une sauterelle. Le renard s'arrêta de lécher ses pattes. Il regarda ces deux petits points d'or. II se mussa, sauta; la sauterelle lui partait d'entre les pattes, le renard la vit luire et s'éteindre. Il sauta sur place comme pour essayer de mordre la nuit, puis il se coucha et hurla doucement. Loin vers la forêt, au-delà de la route, un perdreau entendit, s'éveilla, vola d'un vol court. II retomba dans l'herbe, s'endormit, retrouva sa peur, s'envola, retomba, s'endormit, et il resta enfin dans l'herbe, frissonnant mais alourdi de nuit. Des blaireaux marchaient dans les labours en traînant le ventre. Sous l'arbre fleuri, le renard avait recommencé à sauter après les sauterelles. La lune descendait dans un col lointain de la montagne. Jean GIONO, Que ma joie demeure.  

Vous présenterez de ce texte un commentaire composé que vous organiserez à votre gré. Vous pourrez par exemple montrer l'art et la sensibilité avec lesquels l'auteur évoque l'atmosphère de cette nuit de Provence et les liens qui unissent entre eux les éléments de la nature.   

■ Né à Manosque d'un père cordonnier et d'une mère repasseuse, qui le choyaient, Giono est cependant à demi autodidacte.    ■ Ayant arrêté ses études avant le baccalauréat, il se façonna lui-même une culture où la Bible, Homère et les grands tragiques grecs avaient une place de choix.    ■ Cette influence antique marque sa création et l'on voit souvent en lui un grand classique.    ■ De même son attachement à sa Provence est une de ses principales caractéristiques.    ■ Même s'il « montait « à Paris plus souvent à la fin de    sa vie, il fut toujours, selon son expression, « un provencial gauche et farouche«.     

giono

« Après les fortes chaleurs d'une journée du Midi, sorte d'éveil nocturne : la nature revit. Cette première impression : calme, paix, silence (répétition de «pas de bruit», «sans bruit», coup sur coup) esttraduite par des phrases brèves. Puis premiers types de mouvements : feutrés ou en attente.

Les bêtes agitées (loutres) sont parties.

Cf.

peinturesimilaire chez Selma Lagerlöf : Le merveilleux voyage de Nils Holgerson. L'oiseau nocturne, aux mouvements toujours au ralenti, épie : il vit mais ne bouge pas. Seul mouvement, mais lent, marque d'une durée continue mais indéterminée : celui de la lune.

Celle-ci n'est pas unastre fixe (cf.

Chateaubriand et sa description d'une « nuit dans les déserts du Nouveau Monde » (Voyage enAmérique), ou celle de la présence lunaire au cours de la veillée funèbre d'Atala). Son mouvement insensible, tout en étant réel, contribue à souligner l'immobilité générale, mais une immobilité qui«guette», en attente.

La lune affecte souvent le réel d'une certaine incertitude. Notion moelleuse du mouvement lunaire. Une vie sourde mais certaine palpite : certes le guet du chat-huant (précision d'observation : « sur la poulie » —cf.

Colette dans Sido : les oiseaux de nuit recherchent les greniers sombres...

et où se trouvent souvent souris,rongeurs...

Son mouvement silencieux mais régulier se répète : «De temps en temps, il ouvrait...

») Deuxième mouvement (accompagné d'un son léger) : un certain clapotis d'eau, mais c'est une eau stagnante(étang) d'où le mouvement d'eau est lui aussi au ralenti, comme est presque imperceptible le bruit qui le double : «suçait doucement», d'autant plus qu'il se rencontre avec une matière molle, sans grande résistance : «les sables ». Apparaissent peu à peu les notations visuelles et colorées.

Toujours à travers des phrases brèves, nettes,précises, d'observation : yeux rouges» de l'oiseau de nuit, « sauterelles vertes »... Surtout cette indication brève : « Les champs étaient noirs».

Rythme de la phrase identique chez Hugo (Boozendormi) : « L'herbe était noire ».

L'adjectif « noir » toujours suggestif est, chez les deux auteurs, mis en valeurforte (coupe ou point, d'où l'accent porte sur «noir», dernier mot de la phrase). Même désir d'antithèse : noir/luminosité.

Mais chez Hugo l'essentiel est cette opposition.

Chez Giono elle se doublede l'observation presque scientifique d'un rural.

Il sait, lui, que l'herbe n'est pas noire.

Ce sont les mottes de terreretournées qui « ne se laissent pas éclairer, tandis que «les talus d'herbe» «lui[sent] ». Notions auditives, toujours parallèles à l'éveil, donc aux manifestations de vie, vont se préciser au fur et à mesureque la nature est délivrée de l'apesantissement du jour, dû à la « chaleur » : — l'herbe «s'étira» (passage au passé simple, ce qui souligne l'activité prêtée aux plantes qui se mettent enfin àjouir de l'existence) ; — les sauterelles, encore immobiles, «changent] ».

Donc la vie s'est d'abord éveillée dans ses bruits. Quand lumières et bruits sont pleinement associés, c'est le réveil complet, toute la vie. La lune en est le chef d'orchestre.

C'est parce qu'elle « se refléta » sur une feuille que le « reflet éclaira les yeuxde pierre (notation qui suggère une couleur d'un noir brillant) d'une sauterelle». A la suite de ce rayon lumineux, tout se met en train. Curieusement, le 1er mouvement qui ne soit plus feutré est précédé d'un «arrêt» — cf.

soupir en musique avantnouvelle mélodie. Le geste précédent du renard faisait partie en effet d'une certaine immobilité ; il était sur place en « léch[ant] sespattes» ; sa vie était encore à demi assoupie. Maintenant il s'arrête pour mieux se manifester.

D'où succession de verbes : « s'arrêta, regarda, se mussa, sauta»,aux sonorités allitératives.

Giono affectionne particulièrement les verbes.

Style aux images champêtres.

Noter :«Comme pour mordre dans la nuit.

» Ce n'est pas une vraie chasse.

Plutôt un jeu.

Parallélisme de saut des deux bêtes. Après le crescendo lumineux : « la vie luire et s'éteindre», le mouvement du nocturne retombe.

Il est structuré de. »

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