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NAPOLÉON Ier et LA LITTERATURE

Publié le 24/11/2018

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NAPOLÉON Ier (1769-1821). L’Histoire fut l’interlocuteur privilégié de Napoléon Ier — « J’en appelle à l’histoire », écrit du Bellérophon qui le conduit vers son dernier exil le vaincu de Waterloo. Elle trace une ligne de partage entre l’œuvre de Bonaparte où l’écriture, dans l’ensemble très théorique ainsi qu’en témoignent les titres — Réfutation de Roustan (1788), Parallèle entre l'amour de la patrie et l'amour de la gloire (1787), Discours sur le bonheur (aussi appelé Discours de Lyon, 1791), etc. —, paraît concentrer toutes les ambitions du jeune militaire déçu dans ses aspirations politiques et sentimentales, jouant ainsi un rôle cathartique, et l’œuvre du chef d’État, en grande partie faite de proclamations, de discours, de rapports, dans lesquels la parole et l’action s’appellent et se commentent mutuellement. Enfin, il y aurait lieu de distinguer l’œuvre du proscrit, essentiellement composée de dictées à but apologétique — « Il ne faut pas passer sur cette terre sans laisser des traces qui recommandent votre mémoire à la postérité », écrit-il le 14 octobre 1807 au ministre de l’intérieur, Crétet — destinées à faire pièce à la montée de la « légende noire ». Ainsi, l’homme du pouvoir qui avait canalisé la littérature — exil des écrivains, constitution d’une littérature officielle, censure, etc. — trouvait-il en elle l’arme ultime de sa légende.

 

Entre deux mondes

 

Si l’on excepte de médiocres travaux de versification, l’œuvre littéraire de Bonaparte se compose de textes à caractère philosophique ou politique, dont l’idéologie puise dans le fonds rousseauiste et dont la forme emprunte tantôt au conte voltairien, tantôt au dialogue à la Diderot. Ainsi le Discours de Lyon, entrepris pour le concours proposé par l'Académie rhodanienne en 1790, traite-t-il d’un sujet fort peu romanesque, « déterminer les vérités, les sentiments qu’il importe le plus d’inculquer à l’homme pour son bonheur», moins par des réflexions abstraites que par des scènes symboliques : Bonaparte crée ainsi divers personnages — un prêtre, un notaire, un « vénérable vieillard » — qui, tels les marionnettes croisées par Candide, proposent tous au héros des solutions qui conduisent à une sorte de sagesse bourgeoise proche de l’idéal du «jardin» : «Sois homme, mais sois-le vraiment; vis maître de toi. Sans force, mon fils, il n’est ni vertu ni bonheur ». Et l’on pense à Diderot pour ce Souper de Beaucaire (1793) où Bonaparte tente de convaincre les contre-révolutionnaires méridionaux de leur faiblesse stratégique : « Celui qui reste derrière ses retranchements est battu; l’expérience et la théorie sont d’accord sur ce point », et de leur isolement idéologique : « Il y a dans votre opiniâtreté de la folie », le tout parsemé de sentences moralisatrices dignes du plus mauvais catéchisme : « L’apanage des bons sera toujours d’être mal famés chez le méchant ». Mais ni l’humour voltairien, ni le balancement dialectique de Diderot ne viennent animer ce qu’il faut bien appeler des récits; le discours théorique fige les personnages et les propos dans un manichéisme

 

mieux justifié par le genre épique qu’atteindra la parole orale de Napoléon. Toutefois, le refus de l’abstraction pure au profit de la forme romancée — même embryonnaire — indique clairement vers quel genre s’oriente l’œuvre de Bonaparte. Ainsi Clisson (publié en 1967) est-il l’aboutissement logique de toute cette période : on y retrouve les thèmes philosophiques jusqu’alors abordés in abstracto — l’héroïsme, la gloire, l'amour, le bonheur... — ici mis en situation dans une véritable trame romanesque (Clisson, jeune militaire couvert de gloire dont « l’âme n’est pas satisfaite », rencontre Eugénie, s’éprend d’elle, l’épouse, mais doit s’en séparer pour conduire ses troupes à la victoire; à l’aube de l’ultime bataille, il écrit une lettre d’adieux à son aimée et trouve une mort héroïque... qui n’est en fait qu’un suicide déguisé) que subvertit un lyrisme exacerbé par la solitude, la rêverie et la nature. En effet Clisson, en rompant avec la rhétorique du xviiie siècle, donne un des premiers exemples français du romantisme, du « mal du siècle » (René ne date que de 1802) : l'appel au bonheur suprême, l’usure du temps —

« 1807) -et conclut par une péroraison brève qui déplace l'objet du discours du prés en t dans l'avenir de l'Hi sto ire - «Vous rentrerez alors dans vos foyers et vos conci­ toyens diront en vou s montrant : "Il était de 1' armée d'Italie" >> (M il a n, 1er prairia l an IV); « ...

que la postérité la plus reculée cite votre conduite dans cette journée; que l'on dise de vous : "Il était à cette gra nd e bataille sous les murs de Moscou !" » (Borodino, 7 septembre 1812).

Si J'on excepte J'in tér êt formel des procl amations et autres discours.

ces textes import en t dans la mesure où ils entretiennent une relation étroite avec la correspon­ dance amoureuse de l'Empereur : en effet, une fois passé l'enthousiasme des premiers éc h an g es avec Joséphine, l'Empereur trai te av ec son épouse des mêmes sujets q u'a vec ses soldats.

Ce ne sont que chiffres de canons pris à l'ennemi, généraux faits prisonniers, batailles gagnées ...

Bien mieux, dans le même temps que Napo­ léon passe avec Joséphine des formules le s p lu s lyriques -«mio dolce amor »(décembre 1795), «mon adorable amie» (24 avril 1796) -aux stéréotypes les plus tradi­ tionnels -« Mon amie>> à partir de 1804 -, il adop te une attitude de plus en plus patern alist e avec ses gro­ gnards : « Me� soldats, ce so nt mes enfants ! >> (Ulm, 20 octobre 180.5).

Tout se passe donc comme si l' a rmée devenait 1' épouse légitime de Napoléon, sa famille, et répondait à sa confiance, tandis que l' impéra trice , v o la ge et stérile, se dérobe aux vœux de l'Empereur.

Un grand écrivain? L'œuvre rédigée à Saint e-H élèn e fut dictée aux pro­ ches de 1 'Empereur, et il est fort difficile de déterminer avec précision la part d'e x pre ssion propre à Napoléon [voir LAS CASES] : si les plans et les grandes idées sont incontestablem�nt sortis de la volonté de l'Empereur, il e st en revanche impossible de trouver une unité stylisti­ que aux Mémoires, Journaux et Histoires qui répondent au projet annoncé lors du premier exil (Fo ntainebleau , 20 avril 1814) :«Si j 'a i consenti à me survivre>>, dit- il à sa g arde rassemblée, « c'est pour servir encore votre gloire.

Je veux écr ire les gran des choses que nous avo ns faites ensem ble >>.

D ern ie r dépl ac ement de la relation entre 1 'écriture et J'histoire : Nap oléo n ne tente plus de forcer son cours, il ne l'influence plus directement, mais, priso nnie r d'elle, il cher ch e à o:rganiser définitivement sa mémoire.

Le jugement des générations futures importe alors plus que l'action immédiate.

Et sans do ute l'exilé eût a ppré cié les louanges décernées par la critique qui , de Stendhal - > (les Œuvres et les Hommes, 1893).

Et de fait , s'il est aujour­ d'hui diff ic ile de soutenir que Napoléon a «fait école et contrecoup >> comme le clame encore Sainte-Beuve, s'il est tout aussi difficile de pre n d re un véritable intérêt à la prose des écrits philosophiques ou même du Souper de Beaucaire, honnis d'un strict point de vue his to rique, on ne peut que reconnaître, à la suite de Maupassant, J'adéquation d'un sty le et d'un projet dans les proclama­ tions : dans ce genre particulier, Napoléon (L an son) .

Enfin, et peut-être surtout, il faudrait dans le cadre d'une étude sur le romantisme français revenir aux quelques pages du Clisson -ou les découvrir -qui brillent dans cet ensemble théorique et rhétorique comme la seule œuvre d 'imag ination de leur auteur.

BIBLIOGRAPHIE Il n'existe pas d'édition moderne des œuvres complètes de Napoléon.

On pourra lire ses Écrits personnels (2 vol.) dans l'éd.

J.

Tulard, Club français du livre, 1969; ses Lettres d'amour à Joséphine, éd.

J.

Tu lard, Fayard, 1981, et se procurer des textes séparés de la correspondance, des discours et proclamations (réé­ dités en« 10/18 >>),etc., dans des éditions de la fin du x1x• siècle.

Pour prendre un contact synthétique avec l'écriture napoléo­ nienne on pourra se reporter à la thèse deN.

Tomiche, Napoléon écrivain, A.

Colin, 1951 (approche très classique, plutôt para­ phrastique et psycholog isante, qui donne d'assez précieux rensei­ gnements sur la méthode de travail de l'Empereur).

à compléter par F.G.

Healey, The Literary Culture of Napoleon, Droz.

1959.

Sur Napoléon comme. »

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