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MYTHE ET LITTÉRATURE

Publié le 25/11/2018

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MYTHE ET LITTÉRATURE. « Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera pas. Voilà notre œuvre, notre œuvre révolutionnaire » : ainsi pérore, en 1906, devant la Chambre, Viviani, un des apôtres de la laïcisation; le positivisme, alors, prétend remplacer l’explication religieuse et mythique du monde par la connaissance rationnelle, la foi par le savoir. Mais, au même moment, les poètes symbolistes reprennent et modulent les anciens mythes; Freud installe l’Œdipe au cœur de la formation et de la vie du moi. Tant il est vrai que le mythe, renvoyé à un passé archaïque par le rationalisme scientiste, resurgit, métamorphosé, pour éclairer et enrichir l’expérience du présent, et poursuit avec la littérature un dialogue millénaire, une alliance conflictuelle, mais féconde.

Le sacré mythique et le profane littéraire

Le mot mythe — du grec muthos « parole », puis « récit » — a subi des avatars sémantiques si surprenants qu’il importe d’en définir avec précision la signification première, pour mesurer l’écart des dérivations. Selon Pierre Grimai, « on est convenu d’appeler mythe, au sens étroit, un récit se référant à un ordre du monde antérieur à l’ordre actuel et destiné, non pas à expliquer une particularité locale et limitée (c’est le rôle de la simple légende étiologique), mais une loi organique de la nature des choses ». Ainsi toutes les « histoires » de Dieu, du monde et de l’homme — théogoniques, cosmologiques, anthropogoniques —, qui assurent le passage de l’unité primitive à la multiplicité d’aujourd’hui : mythes de la création du monde et de l’homme, des âges que parcourt l’univers pour se dégrader, depuis « le temps primordial, le temps fabuleux des commencements » (Mircea Eliade), jusqu’à un état historique, prosaïque, qui permette une vie paisible, moins exposée au vent perturbateur du sacré. Récit vrai (car il relate des réalités), religieux (car il met en œuvre des êtres surnaturels), d’une création originelle, le mythe est connaissance totale et globale : quand on le réactualise dans le rite, « on est saisi par la puissance sacrée, exaltante, des événements qu’on remémore » (Eliade); le fidèle, illuminé, transformé, peut maîtriser et transformer le réel, selon les modèles de conduite fournis par les dieux et les héros.

L’émergence d’un rationalisme empirique (un des aspects du « miracle grec ») substitue à la compréhension mythique une epistêmê nouvelle : au lieu d’expliquer les caractères généraux du donné à l’aide d’une histoire particulière, on pose des lois et des principes généraux qui gouvernent la réalité jusque dans ses aspects les plus particuliers. La chaleur solaire n’est plus attribuée au pouvoir d’un dieu parcourant l’éther sur son char lumineux, mais à des phénomènes physiques (comme les réactions des quatre éléments). Aux antipodes de logos (connaissance rationnelle) et d'historia (enquête scientifique), le mythe apparaît désormais comme un instrument dépassé, confus, où ne se distinguent pas la lettre et l’esprit, le signifiant et le signifié, un langage sans rigueur démonstrative ni précision déno-tative (alors que la pensée philosophique naissante s’efforce à une claire définition des mots).

Bientôt le christianisme, dont le dogme et la doctrine, totalitaires, n’admettent pas de partage, achève de reléguer le mythe parmi les mensonges et les mystifications. Ce qui fut une histoire absolument vraie devient une fiction absolument fausse et, en fin de compte, une manipulation; comme l’écrit Roland Barthes dans Mytholo-gies, « le mythe est une parole volée et rendue. Seulement la parole que l’on rapporte n’est plus tout à fait celle que l’on a dérobée » : ce « moment furtif d’un truquage » résulte du parasitage d’un système premier de signification (l’intrigue, l’anecdote) par un concept (le symbolisé, le sens du mythe); Jeanne d’Arc, Mirabeau, Bonaparte au pont d’Arcole, le poilu de 1914 deviennent ainsi des images mythiques de la France. A la limite, on nomme mythes de simples concepts donnés comme justifications fausses et occultes des institutions : les mythes du progrès, du bien-être..., bref, comme aurait dit Durkheim, des « représentations collectives » qui légitiment l’arbitraire, qui « naturalisent » le culturel en le présentant comme allant de soi.

« C’est un mythe » équivaut désormais à « c’est de la littérature », pour confiner une proposition dans le pur domaine verbal et la priver de référence à la réalité. Or cette équivalence, au terme d’une longue dérive du concept, se préparait depuis les origines. La littérature — parole échappant à la pure fonctionnalité de la communication quotidienne, à l’inanité du babil social, considérée comme forme et contenu dignes d’être transmis — naît du mythe, qu’elle interprète et développe : légendes, contes populaires, épopées, rameaux parallèles de l’immense littérature orale qui précède et déborde l’écriture, modulent et monnayent les schèmes mythiques fondamentaux, comme la naissance divine, l’initiation, la transgression, les exploits héroïques, la descente aux enfers. La légende particularise et anecdo-tise le mythe, en brodant sur les aventures des dieux et des héros, ou en inventant des récits qui expliquent telle coutume dont le sens s’est perdu, telle singularité géographique (un chaos de rochers devient la « hottée » dispersée par un géant fatigué). Le conte met en scène, dans un passé intemporel (« Il était une fois... »), sans lieu précis, des personnages de toutes conditions, schématiques et paradigmatiques (le père, la mère, le roi, les sept fils...), qui savent utiliser les forces magiques d’une nature primitive (les animaux qui parlent, les pouvoirs des enchanteurs...) pour conquérir leur autonomie et fonder un foyer (« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants... »). L’épopée engage l’« essentiel» mythique dans l’événementiel historique : les divinités, les héros et la collectivité y dominent leurs dissensions pour s’unir dans une action productive et novatrice (expansion, fondation d’un Etat, reconquête d’un territoire sacré...).

Ainsi, aux lisières du mythe, prolifèrent des récits à demi profanes, où le dire est encore gorgé d’une efficacité surnaturelle, mais s’engage dans des arrangements formels, des techniques, des artifices proprement littéraires. Le symbolisme, latent dans l’unité mythique, ce discours massif, hiératique, insécable, tend à s’expliciter, à se codifier en allégorie. Bientôt, le mythe se « spectacu-larise » dans la tragédie grecque, où le dramaturge fait comparaître les acteurs originels devant un « tribunal » populaire (le chœur), qui commente, discute, frémit, réprouve ou conseille, au cours d’un conflit entre deux morales, deux conceptions du monde (Antigone doit-elle obéir à la loi non écrite du clan ou à la raison d’État?). Quand le mythe perd son prestige ancestral, la littérature, tout à fait émancipée en apparence, submerge de ses paroles multipliées l’usure des récits sacrés; avec la religion et la philosophie, elle hérite des pouvoirs immémoriaux du mythe, désormais dépecé, qu’elle réfracte en mythologies (arrangement, rationalisation, synthèse des histoires divines ou héroïques), en rhapsodies thématiques (comme les Métamorphoses d’Ovide), voire en parodies (comme les dialogues du Grec Lucien).

Les métamorphoses littéraires du mythe

Le mythe fut la première littérature; il trace les figures des poètes absolus — Orphée, Linos — qui apaisent toutes forces sauvages; les prêtres qui le conservent s’opposent à sa dégénérescence en fiction (la tragédie athénienne rencontre les résistances des milieux religieux; l’Église, en France, interdit les mystères en 1548; le rigoriste Boileau proscrit, par respect pour l’Écriture sainte, l’usage du « merveilleux chrétien », chéri des auteurs baroques); les théoriciens « réactionnaires », comme Platon, bannissent l’art — imitation artificieuse — de leur État idéal, tout en réhabilitant la connaissance mythique, seul moyen de communiquer l'ineffable par l’analogie symbolique (ainsi les mythes du Banquet, ou, dans la République, celui de la caverne); le néoplatonicien Plotin confine au monde inférieur des hommes le rationalisme discursif : « La sagesse des dieux et des bienheureux ne s’exprime pas par des phrases, mais par de belles images ». Le mythe apparaît donc comme le père « œdipien » d'un littéraire qu'il essaie de dévorer, de retenir dans son sein et de contenir dans les limites d’une parole canonique.

La littérature, fille nostalgique et toujours amoureuse, ne « liquide » pas le lien œdipien; elle ne se résout pas sans regret à refléter la diversité des choses, à se soumettre aux impératifs obscurs des circonstances. A son plus haut niveau, elle se veut une écriture chiffrée qui « transperce le temps », pour reprendre l’expression de Karl Jaspers; elle entend, comme le mythe, légitimer un aspect fondamental du réel ou traduire une expérience psychologique essentielle, et, dans cette volonté de s’approprier l’autorité des récits sacrés, elle entretient avec eux des rapports ininterrompus : connivence secrète, imitation, rivalité, dépassement.

Le mythe s’offre à la littérature en état de fragilité : livré par des traditions mouvantes et parfois divergentes, il met en scène des personnages peu caractérisés, sans aucun souci de réalisme naturaliste, et comporte un certain nombre de « mythèmes », éléments qui s’articulent en un récit logique et chronologique et peuvent se superposer en ensembles thématiques (Lévi-Strauss appelle cette redondance nécessaire à l’expressivité symbolique le « feuilletage » du mythe : transgression de l'oracle et infraction aux normes des relations familiales commises par Laïos, par Œdipe, son fils, par Étéocle et Polynice, ses petits-fils...). L’écrivain, dans cette « matière première », choisit selon les besoins de son époque et l’effet qu'il veut produire. Même au Moyen Age, Ovide, Stace, les compilateurs de la latinité tardive inspirent le Roman de Thèbes, le Roman de Troie (de Benoît de Sainte-Maure), Piramus et Tisbé, Narcisus, œuvres du XIIe siècle où les mythes grecs s’actualisent avec force anachronismes, merveilleux de conte de fées et galanterie courtoise. A partir de la Renaissance, on puise sans fin dans le vocabulaire allégorique et symbolique légué par l’Anti-quité : combien de traitements subissent Iphigénie, Hercule, Thésée, Achille? A l’intérieur de cette culture classique désormais omniprésente, chaque mythe connaît son lieu et son temps, ses zones de silence et ses éclipses : Phèdre, au xviie siècle, Prométhée, aux xviiie et xixe siècles, ont leurs heures de vogue; Pygmalion, après l’époque des Lumières, s’efface; Daphné est liée à l’âge baroque, comme Protée, Circé, Calypso, qui président aux métamorphoses. Une adaptation s’opère sans cesse entre l’offre mythologique et la demande du moment; l’écrivain réutilise des histoires et des personnages prestigieux pour se mesurer à ses devanciers en un subtil exercice de reproduction, de critique implicite, de variation personnelle, pour annexer l’auréole de grandeur qui s’attache aux héros légendaires, en obtenir des effets d’écho, de stéréoscopie, en capter les puissances fascinantes et angoissantes; le remploi de mythes particuliers répond aux besoins du temps : ceux d'un État (fournir une légitimité historique, comme Ronsard calquant dans sa Fran-ciade [1572] le dessein de l'Enéide de Virgile); ceux d’une société (Antigone de Garnier en 1580, celle de Rotrou en 1637, celle de Ballanche en 1814 reflètent successivement les divisions fratricides que sont les guerres de Religion, l’affrontement entre Richelieu et l’aristocratie, la Révolution française); ceux enfin d'un individu (Orphée, Pygmalion, Prométhée deviennent des allégories du créateur, ou de l'homme de génie, aux prises avec les résistances et l’hostilité du milieu).

Cette « surintentionnalité », liée à la diversité des situations et des esthétiques, impose au mythe des réélaborations parfois sévères : les personnages revêtent un costume au goût du jour; figures autrefois hiératiques, ils deviennent des personnes singulières; de là les sarcasmes des romantiques contre la description de civilités de cour chez Œdipe à Thèbes, ou chez Agamemnon, quand on attendrait une âpre et primitive sauvagerie. Les modernes ont joué de ces discordances, en un traitement ironique et humoristique : Gide fait descendre son « Prométhée mal enchaîné » sur les boulevards, où il fréquente les terrasses des cafés; Cocteau et Giraudoux, avec la Machine infernale (1934) ou Amphitryon 38 (1929), montrent l’irruption des dieux, éternels messagers de destins cruels, dans l’existence la plus quotidienne. Pour accroître l’expressivité, les « mythèmes » jugés accessoires sont délaissés, et le mythe se mutile : le Prométhée joueur, espiègle, introducteur de la discorde dans l'harmonie qui unissait mortels et Olympiens, disparaît presque toujours, au profit du « philanthrope », père du progrès, des sciences et des arts; une variante qui fait de Prométhée le créateur d'une nouvelle race d'hommes prend souvent un poids prépondérant. Ou, au contraire, s’ajoutent aux mythèmes traditionnels des épisodes nouveaux : Racine donne à Iphigénie un amant, Achille, et une rivale qui sera immolée à sa place, Ériphile; il complique d’intrigues amoureuses Andromaque ou Phèdre. Ainsi, sans cesse surchargé et investi par les idées, les aspirations ou les traits culturels d’une époque, le mythe fluctue, s’affaiblit en décor ou en allégorie, ploie sous le romanesque ou les finalités morales et métaphysiques.

La création mythique en littérature

Il serait partial de ne voir dans la littérature qu’érosion ou accrétion s’exerçant sur un stock fini d’histoires; l’évolution même de certains mythes, usure, dénaturation, aboutit à une sorte de création : le Prométhée de Gide, qui découvre la gratuité et se libère d’une conscience pesante (symbolisée par son aigle), prend l’allure d’un mythe nouveau, dont chaque élément revêt des significations opposées à celles d’Eschyle. D’autre part, l'influence de la tradition judéo-chrétienne et des événements historiques gauchit l’héritage classique : très tôt, Prométhée est interprété comme une figure du Christ, un saint, un prophète. Les mythes, en essaimant et en se transformant, s’« aliènent »; ils subissent bientôt une mutation de nature, ils deviennent autres : Orphée veille, comme une référence discrète, sous le Jean-Christophe de Romain Rolland; dans le personnage de Caïn, si fré

« rout à fait émancipée en apparence, submerge de ses paroles multipliées l'usure des récits sacrés; avec la reli­ gion et la philosophie, elle hérite des pouvoirs immémo­ riaux du mythe, désormais dépecé, qu'elle réfracte en mythologies (arrangement, rationalisation, synthèse des histoires divines ou héroïques), en rhapsodies thémati­ ques (comme les Métamorphoses d'Ovide), voire en parodies (comme les dialogues du Grec Lucien).

Les métamorphoses littéraires du mythe Le mythe fut la première littérature; il trace les figures des poètes absolus -Orphée, Linos -qui apaisent toutes forces sauvages; les prêtres qui le conservent s'op­ posent à sa dégénérescence en fiction (la tragédie athé­ nienne rencontre les résistances des milieux religieux; l'Église, en France, interdit les mystères en 1?48; le rigoriste Boileau proscrit, par respect pour l'Ecriture sainte, l'usage du , comme Platon.

bannissent l'art-imitation artificieuse -de leur État idéal, tout en réhabilitant la connaissance mythique, seul moyen de communiquer l'ineffable par l'analogie symbolique (ainsi les mythes du Banquet, ou, dans la Répubiique, celui de la caverne); le néoplatoni­ cien Plotin confine au monde inférieur des hommes le rationalisme discursif : > pas le lien œdipien; elle ne se résout pas sans regret à refléter la diversité des choses, à se soumet­ tre aux impéraLifs obscurs des circonstances.

A son plus haut niveau, elle se veut une écriture chiffrée qui «transperce le temps>> , pour reprendre l'expression de Karl Jaspers; elle entend, comme le mythe, légitimer un aspect fondamental du réel ou traduire une expérience psychologique essentielle, et, dans cette volonté de s'ap­ proprier l'autorité des récits sacrés, elle entretient avec eux des rappons ininterrompus :connivence secrète, imi­ tation, rivalité, dépassement.

Le mythe s'offre à la littérature en état de fragilité : livré par des traditions mouvantes et parfois divergentes, il met en scène des personnages peu caractérisés, sans aucun souci de réalisme naturaliste, et comporte un cer­ tain nombre de« mythèmes >>, éléments qui s'articulent en un récit logique et chronologique et peuvent se super­ poser en ensembles thématiques (Lévi-Strauss appelle cette redondance nécessaire à l'expressivité symbolique le « feuilletage » du mythe : transgression de l'oracle et infraction aux normes des relations familiales commises par Laïos, par Œdipe, son fils, par Étéocle et Polynice, ses petits-fils ...

).

L'écrivain, dans cette «matière pre­ mière », choisit selon les besoins de so,n époque et l'effet qu'il veut produire.

Même au Moyen Age, Ovide, Stace, les compilateurs de la latinité tardive inspirent le Roman de Thèbes, le Roman de Troie (de Benoît de Sainte­ Maure), Pi ramus et Tisbé, Narcisus, œuvres du xn• siècle où les mythes grecs s'actualisent avec force anachronis­ mes, merveilleux de conte de fées et galanterie courtoise.

A partir de la Renaissance, on puise sans fin dans le vocabulaire allégorique et symbolique légué par l' Anti­ quité : combien de traitements subissent Iphigénie, Her­ cule, Thésée, Achille? A l'intérieur de cette culture clas­ sique désormais omniprésente, chaque mythe connaît son lieu et son temps, ses zones de silence et ses éclipses : Phèdre, au xvn• siècle, Prométhée, aux xvm• et xtx• siè­ cles, ont leurs heures de vogue; Pygmalion, après l' épo­ que des Lumières, s'efface; Daphné est liée à l'âge baro- que, comme Protée, Circé, Calypso, qui président aux métamorphoses.

Une adaptation s'opère sans cesse entre l'offre mythologique et la demande du moment; l'écri­ vain réutilise des histoires et des personnages prestigieux pour se mesurer à ses devanciers en un subtil exercice de reproduction, de critique implicite, de variation per­ sonnelle, pour annexer l'auréole de grandeur qui s' atta­ che aux héros légendaires, en obtenir des effets d'écho, de stéréoscopie, en capter les puissances fascinantes et angoissantes; le remploi de mythes particuliers répond aux besoins du temps : ceux d'un État (fournir une légiti­ mité historique, comme Ronsar9 calquant dans sa Fran­ ciade [1572] le dessein de I'Enéide de Virgile); ceux d'une société (l'Antigone de Garnier en 1580, celle de Rotrou en 1637, celle de Ballanche en 1814 reflètent successivement les divisions fratricides que sont les guerres de Religion, l'affrontement entre Richelieu et l'aristocratie, la Révolution française); ceux enfin d'un individu (Orphée, Pygmalion, Prométhée deviennent des allégories du créateur, ou de l'homme de génie, aux prises avec les résistances et l'hostilité du milieu).

Cette >, liée à la diversité des situations et des esthétiques, impose au mythe des rééla­ borations parfois sévères : les personnages revêtent un costume au goût du jour; figures autrefois hiératiques, ils deviennent des personnes singulières; de là les sarcas­ mes des romantiques contre la description de civilités de cour chez Œdipe à Thèbes, ou chez Agamemnon, quand on attendrait une âpre et primitive sauvagerie.

Les modernes ont joué de ces discordances, en un traitement ironique et humoristique : Gide fait descendre son « Pro­ méthée mal enchaîné >> sur les boulevards, où il fréquente les terrasses des cafés; Cocteau et Giraudoux, avec la Machine infernale (1934) ou Amphitryon 38 ( 1929), montrent l'irruption des dieux, éternels messagers de destins cruels, dans l'existence la plus quotidienne.

Pour accroître l'expressivité, les > jugés acces­ soires sont délaissés, et le mythe se mutile :le Prométhée joueur.

espiègle, introducteur de la discorde dans l'har­ monie qui unissait mortels et Olympiens, disparaît pres­ que toujours, au profit du « philanthrope >>, père du pro­ grès, des sciences et des arts; une variante qui fait de Prométhée le créateur d'une nouvelle race d'hommes prend souvent un poids prépondérant.

Ou, au contraire, s'ajoutent aux mythèmes traditionnels des épisodes nou­ veaux : Racine donne à Iphigénie un amant, Achille, et une rivale qui sera immolée à sa place, Ériphile; il complique d'intrigues amoureuses Andromaque ou Phè­ dre.

Ainsi, sans cesse surchargé et investi par les idées, les aspirations ou les traits culturels d'une époque, le mythe fluctue, s'affaiblit en décor ou en allégorie, ploie sous le romanesque ou les finalités morales et méta­ physiques.

La création mythique en littérature Il serait partial de ne voir dans la littérature qu'érosion ou accrétion s'exerçant sur un stock fini d'histoires; l'évolution même de certains mythes, usure, dénatura­ tion, aboutit à une sorte de création : le Prométhée de Gide, qui découvre la gratuité et se libère d'une conscience pesante (symbolisée par son aigle), prend l'allure d'un mythe nouveau, dont chaque élément revêt des significations opposées à celles d'Eschyle.

D'autre part, l'influence de la tradition judéo-chrétienne et des événements historiques gauchit l'héritage classjque: très tôt, Prométhée est interprété comme une figure du Christ, un saint, un prophète.

Les mythes, en essaimant et en se transformant, s'« aliènent»; ils subissent bientôt une mutation de nature, ils deviennent autres : Orphée veille, comme une référence discrète, sous le Jean-Christophe de Romain Rolland; dans le personnage de Caïn, si fré-. »

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